Chine : le commerce des dessous de tables des fonctionnaires

2 septembre 2016 10:27 Mis à jour: 19 septembre 2016 14:07

Dans la société chinoise actuelle, plus extravertie – et terriblement corrompue –, la pratique consistant à offrir des cadeaux aux fonctionnaires a fini par occuper une place de choix dans l’économie locale. Le phénomène a atteint un tel point que des magasins se sont spécialisés dans ce créneau et font de l’argent en revendant les marchandises initialement offertes par les populations aux fonctionnaires pour s’attirer leurs faveurs ou juste ne pas voir leurs demandes reléguées « au fond du tiroir ».

En 2012, l’Institut de recherche sur l’industrie du cadeau en Chine a estimé que les achats de cadeaux représentaient chaque année quelque 768 milliards de yuans (environ 102,7 milliards d’euros) – une activité tentaculaire étroitement liée au monde de la corruption et du blanchiment d’argent.

Mao Yushi, un économiste chinois de renom, a souvent observé comment les gens entraient dans les bureaux du gouvernement de South Yuetan Street à Pékin les bras chargés de sacs et en ressortaient plus tard les mains vides. En regardant le manège de sa fenêtre, il pouvait voir les fonctionnaires quitter leur bureau avec les sacs et se diriger vers les commerces de proximité pour y revendre leurs cadeaux.

Selon une parution du magazine Phoenix Weekly de Hong Kong en juin 2012 rapportant les propos de Mao Yushi, les articles sont ensuite revendus aux personnes qui arrivent à Pékin et qui sont à la recherche de cadeaux à offrir.

Un magasin à Nanjing (via CCTV)
Un magasin à Nanjing (via CCTV)

Selon le magazine, le secteur adopte différentes formes, avec plus de 200 boutiques rien qu’à Pékin. L’agence de presse d’État Xinhua explique que la pratique a émergé au début des années 2000, avec l’essor de la croissance économique du pays.

Certains commerçants se spécialisent dans la revente d’alcools et de vins. Certains de ces commerçants tiennent des boutiques physiques, tandis que d’autres offrent des services en ligne notamment de comparateurs de prix.

Certains revendeurs n’ont pas de magasin à leur disposition. Xinhua a rapporté le cas d’une femme qui se tenait devant un commerce de détail. Elle achetait pour 850 yuans à des fonctionnaires des cadeaux d’une valeur de 1 000 yuans, avant de les remettre à des tiers qui les revendaient à 900 yuans.

Face à la corruption

D’après un article de 2004 de Radio Chine Internationale, l’industrie du cadeau a ouvert la voie permettant aux fonctionnaires de transformer les dons qu’ils reçoivent en argent liquide.

La corruption est courante en Chine, mais elle est parfois couverte par un voile de courtoisie qui veut qu’on offre des cadeaux plutôt que de l’argent.

Wang Huaizhong, ancien gouverneur adjoint de la province d’Anhui, a été exécuté en 2004 pour corruption. Il avait accepté plus de 5 millions de yuans de pots-de-vin (environ 670 000 euros). Dans le communiqué de retranscription du pouvoir judiciaire de l’État publié par le Procuratorial Daily, Wang s’est justifié : « Pendant les vacances et les célébrations du Nouvel An, beaucoup de personnes viennent me rendre visite pour exprimer leurs bons sentiments. » Et de poursuivre : « Il s’agit simplement d’une politesse réciproque. Comment peut-on considérer cela comme une forme de corruption ? »

Condamné à perpétuité en 2000 pour avoir accepté des dessous-de-table d’environ 500 000 yuans, des milliers de dollars américains et 15 000 yuans de dons, Ding Yangning, l’ancien secrétaire du Parti communiste d’un village, a expliqué aux enquêteurs avoir simplement suivi la tradition chinoise du Nouvel An, consistant à donner et recevoir des enveloppes rouges contenant de l’argent liquide, rapporte le Procuratory Daily.

Selon la Télévision Centrale Chinoise, contrôlée par l’État (CCTV), la revente des cadeaux est illégale et les autorités ne délivreraient pas de licence commerciale pour les magasins qui en font leur spécialité. Mais en 2012, l’avocat Wang Liang a déclaré à Xinhua, l’agence de presse du Parti communiste, qu’aucune loi n’interdisait spécifiquement d’acheter et de revendre des articles offerts en cadeaux.

En 2014, la chaîne de télévision CCTV avait diffusé un reportage d’une demi-heure sur la corruption liée à l’industrie de l’achat. À Hangzhou, il y avait plus d’une centaine de boutiques d’achat de cadeaux, majoritairement à proximité, voire dans les édifices gouvernementaux. Selon CCTV, certains propriétaires de magasins ont admis que les citoyens lambda ne constituaient qu’une minorité de leurs clients.

L’activité de rachats des cadeaux semble avoir vraiment explosé dès 2001, après la publication par Xinhua d’un article consacré à cette pratique lucrative. Interrogé sur les injonctions du Parti communiste appelant ses fonctionnaires à la retenue et sur l’impact éventuel de cet appel sur leur commerce, un propriétaire de magasin a déclaré : « Les autorités ont toutes sortes de slogans mais les gens continuent d’offrir des cadeaux. Que peut bien y faire le gouvernement ? »

Serrer la vis aux extravagances

Les industries du luxe et les entreprises associées des rachats de cadeaux semblent sur le déclin depuis que la campagne anti-corruption lancée par le dirigeant chinois Xi Jinping en 2013 – un an après sa prise de pouvoir – a fait des ravages auprès des milliers de contrevenants.

En janvier 2014, le site internet d’information People’s Net, sous contrôle de l’État, a signalé une chute des demandes d’articles de tabac et d’alcools haut de gamme.

En avril dernier, dans l’ouest de la Chine, le Silver Evening News, sous l’égide de Pékin, a publié un article sur son compte WeChat, déclarant que l’industrie de rachat à Baiyin, dans le centre-nord de la province du Gansu, périclitait à cause du code de règlement en huit points mis en place par Xi Jinping en 2012. Cette proclamation annonçait la campagne anti-corruption et exigeait plus de discipline de la part des des fonctionnaires du Parti communiste.

Dans toute la zone côtière de la province du Zhejiang, le Qianjiang Evening News a rapporté que le commerce des boutiques locales de rachat avait décliné.

Fu Shuaixiong, docteur en économie appliquée à l’université de Pékin, a déclaré à Xinhua en 2014, que les ordonnances de l’État avaient réduit l’extravagance et conduit le marché du cadeau dans une direction plus abordable. Selon lui, plus de retenue refléterait un « développement sain et rationnel ».

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.