Comment la propagande chinoise s’infiltre dans les médias en France

Par La Rédaction
24 juin 2021 06:08 Mis à jour: 8 septembre 2021 13:41

Depuis l’apparition de l’épidémie du Covid-19, les autorités chinoises n’ont cessé de renforcer leur contrôle de l’information. La Chine n’hésite plus à faire pression sur les médias, à recourir à l’intimidation et au harcèlement pour imposer sa ligne idéologique et manipuler l’information à l’échelle mondiale.

Le message du Parti communiste chinois (PCC) est que la Chine est devenue une puissance pacifique et écologique qui a éradiqué la pauvreté. Rien n’est plus éloigné de la vérité. De nos jours, Pékin est tente d’annexer militairement la mer de Chine méridionale, Pékin menace d’envahir Taïwan et réprime le mouvement démocratique à Hong Kong. La pauvreté n’a pas été éradiquée et le niveau de pollution dépasse celui de l’ensemble des pays développés. Mais peu importe les faits, puisque la propagande chinoise vous dit le contraire.

En 2021, la Chine est toujours la plus grande prison au monde pour les journalistes et les défenseurs de la liberté de la presse. Hors de ses frontières, Pékin cherche à promouvoir son modèle répressif et à instaurer un « nouvel ordre médiatique mondial » sous son influence.

Voici les différents moyens utilisés par le régime chinois pour infiltrer les médias en France et dans le monde entier.

Les encarts publicitaires et publirédactionnels : la politique du cheval de Troie
« Injecter de l’énergie positive dans le développement du monde » tel est le titre d’un article du Quotidien du Peuple publié en mars 2021. Le journal d’État chinois se félicite de la propagation de ses articles dans la presse occidentale. En effet, en 2020, plus de 750 sujets ont été publiés dans près de 200 médias étrangers dans 40 pays.

En mars 2021, le journal L’Opinion publiait deux articles du Quotidien du Peuple (People’s Daily). Sans avertissement supplémentaire, les lecteurs lisaient un article glorifiant la capacité de la Chine à « réduire la pauvreté par la préservation écologique ». Le second article vantait la résilience de l’économie chinoise assurant qu’une « centaine de nouvelles entreprises à capitaux étrangers sont créées en moyenne chaque jour ». Pour ce type d’encart, L’Opinion a pu toucher entre 17 000 et 30 000 euros l’unité, selon leur grille tarifaire d’après Marianne.

(FRED DUFOUR/AFP via Getty Images)

Le hic est que le Quotidien du Peuple est l’un des nombreux organes de presse officiels financés par le comité central du Parti communiste chinois (PCC) dont le but est de promouvoir la propagande du régime.

En mars 2019, lors de la visite officielle de Xi Jinping en France, c’est l’agence de presse chinoise Xinhua qui a acheté et diffusé de nombreux publirédactionnels dans Le Parisien, Le Figaro, Les Échos ou Le Monde pour faire la promotion du modèle économique et politique chinois, selon L’Express. Selon les calculs de France 2, cette campagne en France « pourrait avoir coûté plus d’un million d’euros » à Xinhua.

Selon un rapport de Reporters sans Frontières (RSF) publié en 2018, des grands médias comme Wall Street Journal, Daily Telegraph ou Le Figaro insèrent régulièrement des suppléments gratuits de China Watch. Ces feuillets sont entièrement rédigés par China Daily, un autre organe de presse du Parti communiste chinois. Ce supplément totalisait une circulation dépassant les 13 millions d’exemplaires en 2019, distribués sous forme d’encarts dans une trentaine de grands quotidiens occidentaux, ciblant des lectorats composés de cadres et d’influenceurs.

Selon une information de Libération, en juin 2019, alors qu’un million de personnes défilaient pour demander le retrait du projet de loi d’extradition vers la Chine continentale, China Daily publiait une désinformation des plus grossières : «800 000 personnes disent ‘oui’ à la loi». La semaine suivante, après la suspension du texte, un quart des 7,4 millions d’habitants étaient dans la rue pour demander la démission de la cheffe de l’exécutif. Pour China Daily, les «Hongkongais marchaient contre l’ingérence américaine». Selon The Guardian, cité par Libération, le Daily Telegraph recevrait 860 000 euros par an pour ce type de publication mensuelle. Une manne financière difficile à refuser pour des grands quotidiens en perte de vitesse.

Les presses nationale et internationale ne sont pas les seules à être visées. Toujours selon Libération, depuis le mois de novembre 2018, BFM Business diffuse chaque soir «Chine Eco», une émission parrainée par le média d’État Radio Chine International (RCI). Après quelques sujets fournis par RCI sur la France et la Chine, un invité économique vient parler de l’intérêt d’investir en Chine. «Nous avons beaucoup de mal à réaliser une émission si nous n’avons pas de partenariat », expliquait Stéphane Soumier, ancien directeur de la rédaction, à Laurence Defranoux de Libération. « RCI nous a proposé : vous parlez du business en Chine, et on vous sponsorise.»

En choisissant des médias comme Le Figaro, L’Opinion, Le Parisien, Les Échos, Le Monde, BFM, etc. le gouvernement chinois entend importer à coup de contrats publicitaires et de publirédactionnels son nouvel ordre médiatique en France, utilisant la notoriété des grands médias pour déformer la vérité et désinformer massivement.

Le chantage aux visas

« Surveillez, tracés, expulsés » : le titre du rapport annuel 2021 publié par le Club des correspondants étrangers de Pékin (FCCC) laisse peu de place au doute. En 2021, la Chine n’a jamais expulsé autant de journalistes étrangers « depuis Tiananmen ». Le rapport fait état d’une nouvelle augmentation, avec la crise sanitaire, du harcèlement des journalistes étrangers et révèle un contrôle technologique et humain sans précédent sur les journalistes étrangers et leurs collaborateurs chinois.

Selon le rapport, le régime a développé un véritable arsenal d’intimidations et de harcèlement comprenant écoutes téléphoniques, piratages informatiques et surveillance physique. Et les menaces sur les sources chinoises sont devenues tellement importantes que les journalistes hésitent désormais à les contacter, de peur de les mettre en danger.

Ursula Gauthier, correspondante à Pékin pour L’Obs, franchit le portique de sécurité de l’aéroport avant de prendre son vol de retour vers la France, à Pékin, le 31 décembre 2015. Les autorités chinoises ont expulsé Madame Gauthier, l’accusant de soutenir le terrorisme. (FRED DUFOUR/AFP via Getty Images)

Selon la présidente du FCCC, Hanna Sahlberg, « ce que nous avons vécu […] montre combien les autorités sont devenues beaucoup plus sophistiquées dans leurs moyens de surveillance, au point que les pressions sur nos sources nous empêchent même de traiter un sujet ».

Selon un rapport de RSF, le chantage au visa est une méthode d’intimidation très connue qui fonctionnait tout à fait bien en coulisse jusqu’à l’incident d’Ursula Gauthier. En 2015, journaliste à L’Obs, Ursula Gauthier s’était vu refuser le renouvellement de son visa à cause d’un article évoquant la répression des Ouïghours au Xinjiang. Les correspondants «temporairement punis» connaissent les règles du jeu : il suffit de rester relativement silencieux pendant quelque temps sur les sujets jugés sensibles, comme l’évocation du massacre de la place Tiananmen en 1989, la répression au Tibet, le Falun Gong, etc. pour qu’un visa et une accréditation soient de nouveau attribués.

De telles punitions ont valeur d’exemple pour les journalistes voulant un jour se déplacer en Chine.

L’invitation des journalistes étrangers en Chine contre des contreparties

Pékin veut aussi jouer de son « soft power » avec les journalistes étrangers. L’objectif est de courtiser des rédacteurs et des influenceurs du monde entier pour que leurs reportages confèrent de la crédibilité au régime chinois, notamment pour prouver au peuple chinois que le monde entier approuve les politiques du Parti communiste. Des bataillons de journalistes étrangers sont ainsi choyés par Pékin via de fastueux programmes de formation, en contrepartie d’une couverture médiatique positive sur la Chine.

Selon RSF, en décembre 2018, un groupe de 22 journalistes zambiens a été invité par l’Administration nationale de la radio et de la télévision chinoise (cet organisme se vante d’avoir accueilli plus de 3 400 professionnels des médias issus de 146 pays sur les cinq continents ces dernières années). Le séjour comprenait une visite de la ville thermale et touristique de Chongqing et de ses chaînes de télévision et stations de radio aux équipements high tech dernier cri. À leur retour, ces journalistes, pourtant professionnels, ont écrit qu’ «avec le temps, la société chinoise s’est modernisée et ses médias ont aussi développé des tendances modernes, mais avec des caractéristiques chinoises». Ajoutant que «la Constitution de la République populaire de Chine garantit à ses citoyens la liberté de parole et d’information».

Ces formations en Chine, tous frais payés, se traduisent par une contrepartie positive pour l’image du Parti et les journalistes s’autocensurent eux-mêmes concernant les sujets interdits par la Chine communiste, reprenant même les expressions stéréotypées de la propagande chinoise.

Ce ne sont pas les seuls moyens pour le PCC de s’infiltrer dans les médias.

L’agence de presse Xinhua : l’exportation du modèle médiatique chinois

En 2013, Li Congjun, ancien président de l’agence de presse Xinhua, préconisait dans un entretien au Quotidien du Peuple, la création d’un «nouvel ordre mondial des médias» afin de renverser le rapport de force avec les médias occidentaux : «Si nous ne pouvons pas gouverner efficacement les nouveaux médias, ce sont les autres qui prendront le terrain, ce qui remettra en cause notre rôle dominant dans la conduite de l’opinion publique.»

L’agence de presse chinoise a été créée en novembre 1931 sous le nom d’ « agence de presse de la Chine rouge ». Avec 4 000 journalistes à travers le monde, Xinhua (aussi connue comme Chine Nouvelle) fait partie des plus grandes agences de presse mondiale, présente en 18 langues et avec un chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros. « C’est une grande agence de presse chinoise qui est aussi un appareil de propagande », expliquait en 2019 Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, sur France 2 « parce qu’elle est sous la tutelle directe du Parti communiste. »

L’objectif, pour le régime communiste est d’exporter le modèle médiatique et la propagande chinoise en Occident. Avec l’aide d’un ancien journaliste français de Xinhua, Reporters sans frontières a « mis en évidence la manipulation des faits, la haine contre les ennemis (notamment les Etats-Unis et le Japon) et le parti pris pour les pires régimes du monde dans le traitement de l’actualité internationale. » explique RSF dans un rapport sur l’agence de presse.

Selon un ancien directeur d’un groupe de médias français interviewé par Laurence Defranoux de Libération, «au début, la copie destinée aux étrangers était de mauvaise qualité. Pour améliorer le niveau, ils se sont servis dans le vivier de journalistes au chômage. Aujourd’hui, les salles de rédaction de CCTV [télévision d’État, appelée aussi CGTN, ndlr] ou de Xinhua sont remplies d’Occidentaux très bien payés. La stratégie commerciale est très agressive, avec des prix très bas».

En 2013, Xinhua a renforcé son implantation en France en ouvrant une galerie de 400 mètres carrés, rue du Faubourg-Saint-Honoré, à deux pas du palais de l’Élysée. La galerie Xinhua est destinée à être une « plateforme pour les échanges culturels entre la France et la Chine » dans la capitale française, « centre culturel de l’Europe », a expliqué son PDG, Long Songlin. Aucun chiffre n’a été donné, mais cet investissement coûteux dans la rue la plus prisée de Paris pour ses locaux commerciaux est hautement symbolique.

En décembre 2018, l’Agence de presse Xinhua (Chine nouvelle) et l’Agence France-Presse (AFP) convenaient de renforcer leur coopération dans les domaines tels que la vidéo, les photos, la téléphonie et les nouveaux médias.

La propagande par le biais de publicités sur les réseaux sociaux

Selon Le Monde, les médias sociaux servent aussi de plateforme pour diffuser la propagande du régime chinois. « Début 2020, l’activité publicitaire de la chaîne CGTN (anciennement CCTV, ndr) a largement promu les articles liés à la pandémie », notent dans leur étude la chercheuse de Stanford Vanessa Molter et la spécialiste en désinformation Renee DiResta. Sur Facebook, les publicités de la chaine d’État chinoise CGTN ont permis de toucher une large audience anglophone au début de l’année 2020, avec plus de 80 millions d’affichages.

Les contenus publicitaires ont également évolué, passant par la promotion d’articles venant d’autres sources, montrant sous un jour favorable la gestion du PCC.

En avril 2021, le Figaro Partner publiait par exemple une campagne publicitaire sur Twitter en partenariat rémunéré avec China Xinhua News. L’article intitulé « Réduction de la pauvreté: des retombées au delà de la Chine » a été conçu et proposé par Xinhua News et publié « comme » un article du Figaro.

Capture d’écran Twitter, en avril 2021

On peut y lire que « la Chine offre une lueur d’espoir » au monde dans le contexte de l’épidémie de Covid-19 et que le « fruit de ses efforts n’est pas sans effet sur la réduction de la pauvreté au niveau mondial ». Quelques phrases plus loin, on apprend que depuis 7 ans, « la Chine a réussi à sortir 850 millions d’individus de la pauvreté ». Mais, selon une récente étude du Financial Times, les chiffres de la pauvreté avancés par la Chine sont complètement falsifiés. Pourtant le publirédactionnel est toujours publié sur le Figaro et utilisé pour la propagande du régime sur les réseaux sociaux.

L’armée des 50 centimes

Le régime chinois emploie également des commentateurs en ligne pour faire avancer son programme idéologique sur Internet. Ils sont communément appelés « l’armée des 50 centimes » parce qu’ils sont payés 50 centimes de yuan (soit environ 0,07 euro) pour chaque post faisant l’éloge du Parti. Leur mission est officiellement décrite comme du «management de l’orientation de l’opinion publique».

Selon Slate, la stratégie du gouvernement chinois est d’inonder internet de commentaires pro-régime. Mais comme l’écrivent les auteurs d’une étude de Harvard en 2017, « le gouvernement chinois invente [aussi, ndr] des posts de médias sociaux pour distraire les gens ». Cela fait partie de leur nouvelle stratégie de contrôle de l’information.

Selon des documents officiels récupérés par Epoch Times, il s’agit d’« utiliser le jargon typique des internautes pour exprimer l’opinion officielle du Parti » et de guider l’opinion publique sur les sites d’information, les blogs, forums en ligne et autres plateformes de médias sociaux en Occident et en Chine.

Menaces des ambassades chinoises

En mars 2021, Lu Shaye, ambassadeur de Chine en France, s’était déchaîné contre le chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) Antoine Bondaz. « Petite frappe », « hyène folle », « troll idéologique », avait commenté l’ambassadeur chinois lui reprochant ses positions « antichinoises ». Suite à un projet de visite de parlementaires français à Taïwan, l’ambassadeur avait menacé la France de sanctions. Spécialiste de la Chine, Antoine Bondaz avait alors critiqué les « injonctions » chinoises à l’encontre des parlementaires français.

En avril 2020, suite à une interview dans L’Opinion, Lu Shaye s’en prenait aux médias français via le compte de l’ambassade chinoise : « Je remarque que, les médias français, j’espérais qu’ils soient indépendants, mais en fait, pendant cette période de lutte contre l’épidémie, ils n’ont pas fait preuve d’indépendance. »

Cette nouvelle polémique s’inscrit dans une campagne chinoise menée par les ambassadeurs chinois pour réfuter notamment les problèmes liés aux Ouïghours et à l’épidémie de Covid-19.

L’édition scientifique aussi menacée

Selon le dernier rapport de RSF sur le contrôle de l’information de la Chine, la censure du régime chinois s’est récemment étendue aux éditeurs scientifiques et universitaires internationaux. Les études scientifiques qu’ils publient, écrites avec rigueur et évaluées de manière anonyme et indépendante, représentent une menace pour Pékin. Les conclusions de ces études, qui font autorité dans le monde, sont difficilement démontables par la rhétorique idéologique du Parti communiste chinois, alors une censure s’opère par le régime chinois pour empêcher leur publication.

***

Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), prend la parole lors d’une conférence de presse pour présenter le classement mondial de la liberté de la presse 2018 de l’organisation de surveillance, le 25 avril 2018 à Paris. (BERTRAND GUAY/AFP via Getty Images)

La Chine, plus grande prison du monde pour les journalistes

Selon Reporters sans frontières, la Chine est placée au 176e rang sur 180 au classement de la liberté de la presse. Des dizaines de journalistes et de blogueurs sont emprisonnés pour avoir publié des informations censurées par le régime communiste. L’outil répressif du Parti communiste chinois (PCC) inclut des enlèvements, la détention secrète et sans jugement, des tortures et des confessions forcées.

Un système de censure technologique extrêmement avancé limite les informations accessibles aux 800 millions d’internautes chinois et un appareil sophistiqué de propagande et de surveillance réduit leurs possibilités de s’informer et de commenter librement. Des internautes chinois sont régulièrement emprisonnés pour avoir publié des messages pro-démocratie ou pour avoir voulu contourner la censure.

Le rôle des journalistes en Chine est formulé dans le manuel de propagande mis à disposition des cadres du PCC. Dans ce manuel, les journalistes sont décrits comme un outil au service du Parti pour encadrer le peuple afin de «contribuer à créer un modèle de société socialiste qui se transmet de génération en génération».

Publics comme privés, en Chine ou à l’étranger, les médias chinois ont l’obligation de suivre les instructions du régime chinois. Spécialement pour les thèmes jugés sensibles par Pékin : le Tibet, le Xinjiang, le massacre de la place Tiananmen, la persécution du Falun Gong, la répression du mouvement pro-démocratie à Hong Kong, etc. Le Département de la propagande chinoise a la main sur l’action de 14 ministères et communique chaque jour à tous les médias une liste de thèmes à mettre en avant et une liste de sujets qu’il est interdit de traiter sous peine de sanctions.

Une version corrigée de l’article a été publié le 9 juillet, ajoutant ou corrigeant les sources de certaines citations.

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