ENTRETIEN – Donald Trump a annoncé la suspension des droits de douanes réciproques sauf pour la Chine. Le conseiller maître honoraire à la Cour des comptes et président de l’association FIPECO (Finances Publiques et Économie) François Ecalle décrypte pour Epoch Times la politique économique du président américain. Il revient également sur le déficit commercial de la France.
Epoch Times : Quel regard portez-vous sur la suspension des tarifs douaniers réciproques ?
François Ecalle : L’annonce de la suspension des droits de douanes est une bonne nouvelle, mais je reste méfiant puisqu’elle n’est censée durer que 90 jours. Autrement dit, tout peut recommencer dans trois mois !
Cette décision du président américain n’est également pas très claire : elle concerne seulement les pays qui n’avaient pas adopté de mesures de rétorsion à l’encontre des États-Unis. Nous savons que la Chine n’est de facto pas concernée par cette décision puisqu’elle a très rapidement riposté, mais quid de l’Union européenne qui avait déjà préparé une première salve de contre-mesures sur l’acier, l’aluminium et d’autres produits ?
Un autre problème demeure : les droits de douane sont quand même maintenus à 10 % pour tout le monde, ce qui est encore trop important.
Cependant, je pense que le revirement de l’administration Trump vient du fait qu’elle a réalisé que les Américains sont les premiers perdants de ces hausses de taxes douanières. Toutes les études le montrent et les marchés ne se sont pas trompés. Dans ce contexte de temporisation de la Maison-Blanche, l’Europe n’a pas intérêt à céder quoi que ce soit à l’Amérique.
Instaurer des tarifs douaniers visant des produits fabriqués dans des États républicains n’est, à mon sens, pas la bonne réponse. Nous sommes trop divisés et trop fragiles pour résister à une possible réponse américaine ciblant des pays européens particuliers. Je suis davantage partisan de droits de douanes à hauteur de 2 ou 5 % sur l’ensemble des produits américains sans faire de distinction, mais sans faire monter les enchères comme Pékin non plus.
Le locataire de la Maison-Blanche cherche notamment à réindustrialiser les États-Unis. Ces mesures protectionnistes peuvent-elles permettre de faire revenir des industries sur le sol américain ?
Des entreprises vont revenir sur le sol américain. Beaucoup estimeront qu’il est moins cher de produire aux États-Unis qu’ailleurs. Maintenant, vont-elles être nombreuses à relocaliser leur production ? Pas sûr.
Les entreprises ont besoin de stabilité. Je ne suis pas certain qu’en ce moment la politique économique américaine offre une grande stabilité et visibilité à ces dernières.
Ensuite, elles devront trouver de la main-d’œuvre. Dans un pays où le taux de chômage avoisine les 4 % et où un président a l’intention de renvoyer les travailleurs immigrés, ce n’est pas évident de recruter.
Par ailleurs, à court terme, ces mesures vont augmenter les prix des produits industriels, pénalisant ainsi le consommateur américain.
Selon des données des douanes rapportées par l’AFP, le déficit commercial de la France s’est creusé en février à 7,2 milliards d’euros, soit plus 1,1 milliard d’euros par rapport au mois de janvier. Quels sont les problèmes structurels du commerce extérieur français ?
Le commerce extérieur français est déficitaire depuis le début des années 2000. Ce déficit est compensé par un excédent des services, mais si nous additionnons les deux, la France reste structurellement en déficit.
Derrière ce déficit, il y a un problème de compétitivité. Entre les économistes, il y a un débat autour de cette notion : certains affirment qu’il y a un problème de compétitivité en termes de prix et prônent des baisses d’impôts sur les entreprises ; et d’autres estiment qu’il s’agit d’un enjeu de compétitivité en termes de qualité et défendent une hausse des dépenses dans l’Éducation nationale ou la formation pour permettre aux entreprises d’avoir une main d’œuvre mieux qualifiée.
Je pense qu’il faut prendre en compte les deux analyses. C’est un problème de rapport qualité-prix. On a des produits qui sont trop chers pour leur qualité ou de qualité insuffisante pour leur prix.
Cependant, il est plus aisé d’agir sur les coûts que sur la qualité. Jouer sur la qualité demande plus de temps, de recherches. La formation d’une main-d’œuvre qualifiée ne se fait pas du jour au lendemain. La France n’y arrive d’ailleurs pas réellement en ce moment.
De manière plus générale, pour réduire le déficit, nous devons vraiment faire attention à ne pas augmenter de manière trop importante les prélèvements sur les entreprises comme compte le faire l’État avec l’impôt sur les sociétés.
Sur quels secteurs la France pourrait-elle capitaliser pour améliorer la situation ?
Ce n’est pas à l’État de définir les secteurs sur lesquels il faut capitaliser. La politique industrielle à la française a consisté pendant longtemps à tenir ce genre de raisonnement.
L’État n’a jamais su faire de choix. Il a toujours aidé, à la fois, les secteurs d’avenir (numérique…) et les entreprises en difficulté comme celles de l’industrie textile.
Nous devons laisser faire le marché, les entreprises se spécialiseront elles-mêmes.
De son côté, l’Italie a affiché en 2024 un excédent commercial de 54,9 milliards d’euros. Après avoir été longtemps considérée comme « l’homme malade de l’Europe », Rome peut-elle devenir un modèle pour la France ?
En termes de finances publiques, je ne suis pas convaincu que l’Italie soit un modèle. La dette publique italienne est plus importante que celle de la France.
Le déficit public de nos voisins transalpins reste également très élevé. Cela étant, il était très élevé depuis trois ans à cause d’un super crédit d’impôt pour la transition énergétique que le gouvernement de Giorgia Meloni est en train de supprimer. Les chiffres d’Eurostat ne sont toujours pas disponibles pour 2024, mais leur déficit était très certainement plus faible que le nôtre l’an dernier.
En matière d’exportations, les Italiens sont, à l’évidence, plus performants que nous. Ce succès s’explique en partie par la présence dans le nord de l’Italie, d’un tissu de petites entreprises très dynamiques, performantes et compétitives qui se placent sur des secteurs plus traditionnels et proposent des produits à des prix peu élevés.
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