Journée mondiale de la trisomie 21: changer le regard des soignants et l’accessibilité aux soins

Par Nathalie Dieul
20 mars 2024 21:37 Mis à jour: 20 mars 2024 22:42

Depuis près de vingt ans, la journée mondiale de la trisomie 21 a lieu le 21 mars pour sensibiliser la population aux enjeux de ceux qui vivent avec ce chromosome en plus. Cette année, Trisomie 21 France a décidé de mettre l’emphase sur l’accès aux soins. Alors que l’on parle beaucoup d’accessibilité pour les personnes qui ont un problème physique, peu se préoccupent de l’accessibilité pour celles qui ont des troubles du développement intellectuel.

Le nombre de répondants au baromètre Handifaction qui n’ont pas pu accéder aux soins dont ils avaient besoin est en hausse. Entre le 1er octobre et le 31 décembre 2023, ils étaient 24% à déclarer ne pas avoir pu accéder aux soins, 16% à à avoir subi un refus de soins, des chiffres alarmants.

“Les personnes avec trouble du développement intellectuel ont davantage de problèmes de santé et font face à plus d’obstacles dans leur environnement », remarque Nathanaël Raballand, président de Trisomie 21 France, dans un communiqué.

Afin de mieux comprendre les enjeux de cette problématique, Epoch Times s’est entretenu avec Jean-Loup Pulicani, président de l’association TéCap21 Quercy Gascogne et papa de trois filles dont Emma, jeune femme de 22 ans avec trisomie 21. Il participe à plusieurs groupes de travail et à la commission communication de Trisomie 21 France, la fédération qui regroupe les associations locales.

Le regard des autres

« En France on a un gros problème », explique le père de famille, « c’est que pendant des décennies, toutes les personnes avec trisomie et toutes les personnes avec des retards de développement intellectuel ont toutes été mises dans des établissements ou sont restées dans les familles. » Résultat : on ne les voyait jamais, ce qui est encore le cas aujourd’hui, contrairement à ce qui se passe dans tous les autres pays européens.

« Autour de nous, en Espagne, en Italie, les enfants trisomiques comme les autres enfants vont tous à l’école ordinaire et donc on les voit comme on voit les autres enfants se balader », développe M. Pulicani, qui a pu le constater régulièrement. Le regard sur les personnes avec trisomie 21, un handicap qui se voit sur le faciès, est donc différent en France par rapport à ce qu’il est dans les autres pays européens.

« Quand on pose la question aux personnes adultes : ‘Qu’est-ce qui est le plus difficile à vivre pour vous en tant que personne avec trisomie ?’ Ils nous répondent systématiquement : ‘c’est le regard des autres' ».

Des soignants qui ont peur de la différence

La différence fait peur, pas seulement au sein de la population en général, mais tout autant au sein des soignants. « Beaucoup de soignants, qu’ils soient infirmiers, médecins ou autres, sont des personnes comme les autres en France et un certain nombre d’entre eux ont du mal avec ces personnes-là parce qu’elles en ont peur. Ils ne savent pas comment elles vont réagir », constate le président de l’association locale.

Cette peur peut se refléter dans un refus de soins. C’est arrivé à Emma, la fille de Jean-Loup Pulicani, lors de l’une de ses premières visites chez un dentiste, à une époque où les parents ne connaissaient que très peu le handicap. « Le dentiste n’a pas voulu soigner notre fille parce qu’il ne savait pas comment s’y prendre et qu’il avait peur », se souvient-il.

Une bienveillance ressentie de manière très forte

Cette peur est liée aux réactions fortes que peuvent avoir les personnes avec trisomie. Le chargé de communication précise que « les réactions fortes ne sont pas dues aux soins mais sont dues à ce que la personne ressent du soignant : si le soignant est bienveillant avec la personne avec trisomie, eh bien la personne avec trisomie le ressent de manière très forte et donc elle va adhérer et suivre ce que la personne lui demande de faire. »

« Par contre, si elle sent de la peur, de l’énervement, elle le sent encore plus que nous puisque les personnes avec trisomie ont moins de filtres au niveau émotionnel que nous », développe M. Pulicani. « À ce moment-là, elles peuvent réagir de manière très forte, voire très dure, voire violente éventuellement. Les choses vont mal se passer, alors que s’il y a bienveillance, ça peut être extraordinaire. »

Par exemple, lorsqu’elle avait 6 ou 7 ans, Emma a eu besoin d’aller voir un médecin ORL pour déboucher ses oreilles de bouchons de cire. Le médecin, dépourvu de bienveillance, a demandé au père de famille de tenir son enfant, mais le papa n’a pas réussi à le faire tellement sa fille était énervée. « On est allé voir un autre spécialiste pour ça, qui très calmement et gentiment, s’y est pris avec un petit instrument. Ma fille n’a strictement rien dit, il a sorti les bouchons sans aucune difficulté. »

Une absence d’accessibilité pour les personnes qui ont des difficultés cognitives

La bienveillance est un aspect primordial pour permettre aux personnes avec trisomie de recevoir les soins, mais ces dernières se heurtent aussi à d’autres difficultés. « On parle beaucoup d’accessibilité pour le handicap moteur, d’accessibilité au fauteuil roulant, d’accessibilité aux non-voyants, mais l’accessibilité pour les personnes qui ont des difficultés cognitives, on ne s’en préoccupe quasiment jamais. »

En effet, alors que l’on essaie de favoriser au maximum l’autonomie des personnes avec trisomie, celles-ci se retrouvent perdues lorsqu’il s’agit d’aller à l’hôpital ou chez un professionnel de la santé. Elles doivent se faire accompagner par un membre de la famille ou de l’entourage proche « parce qu’on ne fait rien pour rendre accessibles ces lieux à ce type de personnes », déplore le père d’Emma.

« Dans un univers énorme comme un hôpital, il y a de moins en moins de personnel pour accueillir, pour informer les gens. Pour se repérer, pour trouver, c’est impossible », remarque Jean-Loup Pulicani.

(Trisomie 21 France)

Un combat de (presque) tous les jours

Pour le président de l’association TéCap21 Quercy Gascogne, le fait qu’une personne avec trisomie soit capable ou non de lire, d’écrire, de se déplacer et de faire preuve d’autonomie est avant tout une question de stimulation et d’éducation. Les parents doivent beaucoup s’impliquer.

Selon son expérience, être parent d’une personne avec trisomie est un combat. Pas de tous les jours, mais presque. Il faut s’opposer aux institutions telles que les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) « qui décident de l’orientation de ces personnes aussi bien pour l’école que pour la vie professionnelle ».

Ainsi, on avait dit à Emma qu’il fallait qu’elle aille en institution si elle voulait avoir une vie professionnelle. Il en était hors de question, pour la jeune femme comme pour ses parents, alors père et fille sont allés défendre son point de vue et démontrer qu’Emma pouvait travailler dans un vrai restaurant. Après différents stages, la jeune fille a maintenant une promesse d’embauche dans un restaurant. La prochaine étape sera pour elle d’avoir un logement autonome.

Emma en plein travail au restaurant, le 20 mars 2024. (Jean-Loup Pulicani)

La réussite ou non des stages en restauration d’Emma a beaucoup varié selon le regard des personnes sur le handicap. « Soit elles regardent d’abord la personne avant de regarder la personne handicapée, soit elles regardent un handicapé d’abord. Et quand elles regardent un handicapé, souvent elles ont peur », constate M. Pulicani.

Là aussi, tout comme avec les soignants, cette peur est ressentie de manière « très très forte » par les personnes avec trisomie, ce qui peut les amener à réagir très mal.

Lorsque la famille allait au restaurant et remarquait de la bienveillance au sein de l’équipe, elle demandait s’ils prenaient des stagiaires. « Quand ça s’est fait comme cela, ça s’est toujours très bien passé parce que le regard était bien et il y avait une bienveillance », remarque le père d’Emma.

Lorsque le stage a été imposé par une structure et que les restaurateurs ont vu le handicap avant de voir la personne, le résultat était tout autre. La jeune femme ressentait tellement fort que « quelque chose n’allait pas en face d’elle » qu’elle réagissait en faisant toutes les bêtises possibles et imaginables en l’espace de quelques heures seulement.

Des outils pour les professionnels de la santé

Du côté des soignants, Trisomie 21 France recommande que tous les professionnels de la santé, quelle que soit leur spécialité, participent à un stage au contact de personnes avec handicap lors de leur formation, afin d’être sensibilisés aux besoins particuliers de celles-ci.

Pour les professionnels de la santé qui souhaitent mieux accompagner les personnes avec trisomie, plusieurs outils existent. On peut les retrouver dans le communiqué de Trisomie 21 France.

(Trisomie 21 France)

En cette journée mondiale de la trisomie 21, n’oubliez pas de mettre des chaussettes dépareillées afin de porter la parole des personnes qui ont ce chromosome en extra, les aider à faire entendre leurs droits et à faire valoir leur place dans notre société !

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