La sagesse confucéenne a-t-elle disparu de Chine ?

21 novembre 2015 11:18 Mis à jour: 21 novembre 2015 11:18

Dans son dernier ouvrage publié chez l’éditeur Brookings Institution Press, le professeur He Huaihong propose une nouvelle éthique sociale pour la société chinoise dont beaucoup, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, ont observé son état de crise morale.

Historien, éthicien, critique social et fervent défenseur du confucianisme, le professeur He propose des lignes de conduite pour restaurer une éthique sociale en Chine. Cela nécessite de guider les gens dans leurs comportements les uns avec les autres. Ce travail permettra à la Chine, selon He Huaihong, de prendre place sans honte parmi les autres nations. Le professeur He a également présenté son ouvrage à la Brookings Institution, le 6 novembre : Social Ethics in a Changing China: Moral Decay or Ethical Awakening? (Éthique sociale dans une Chine en mutation : décadence morale ou réveil éthique ?)

He Huaihong est professeur de philosophie à l’université de Pékin. Son livre est la compilation de 19 essais, écrits principalement entre 2002 et 2013.

« Actuellement, nous rencontrons un problème assez grave de moralité dans la société chinoise. Les principales difficultés est que nous manquons de gentillesse et de la confiance élémentaire. » annonce He.

He Huaihong, professeur de philosophie à l'université de Pékin, présente son livre Social Ethics in a Changing China: Moral Decay or Ethical Awakening? et partage ses idées sur la reconstruction de l'éthique sociale en Chine, à la Brookings Insititution, le 6 novembre. (Gary Feuerberg/Epoch Times)
He Huaihong, professeur de philosophie à l’université de Pékin, présente son livre Social Ethics in a Changing China: Moral Decay or Ethical Awakening? et partage ses idées sur la reconstruction de l’éthique sociale en Chine, à la Brookings Insititution, le 6 novembre. (Gary Feuerberg/Epoch Times)

Ce qui est particulièrement endémique est la méfiance du peuple envers les représentants de la politique. « Quoi que dise le gouvernement, le peuple n’en croit pas un mot. Même lorsque les politiciens annoncent des choses pourtant vraies, le peuple ne les croit toujours pas », affirme He. Il indique que cette défiance est également partagée par les membres du Parti communiste et les représentants de l’État.

« Le sujet de la décadence morale et du manque de confiance dans la Chine actuelle ne sont pas des sujets sensibles et encore moins des tabous politiques de la République populaire de Chine (RPC) », poursuit Cheng Li, directeur du John L. Thornton China Center à la Brooking Institution, qui est à l’initiative de la venue du professeur.

En introduction de son livre, Li fournit une longue liste d’exemples de pratiques couramment répandues, qui illustrent de sévères problèmes de moralité : « escroquerie commerciale, fraude fiscale, arnaque financière, projets de construction bâclés et dangereux, faux produits, lait contaminé, pain empoisonné, médicaments toxiques, sans parler du déclin de l’éthique professionnelle parmi les enseignants, les médecins, les avocats, les moines bouddhistes et particulièrement les représentants du pouvoir. »

Le professeur He précise que la corruption ne touche pas seulement le haut du gouvernement. Même « les chefs de villages, les maires, les chefs d’équipe des petites banques sont capables d’engendrer des dizaines voire des centaines de millions de yuan (l’équivalent de milliards voire de dizaines de milliards d’euros) sous forme de pot-de-vin. Un chef de district est capable d’être propriétaire de dizaines de maisons. »

Il existe (…) une indifférence généralisée envers autrui, un manque d’empathie. Les gens ne se soucient pas de la vie humaine, ni de la politesse, ni de la loi
– He Huaihong

Le professeur He est davantage inquiet à propos de la disparition de la gentillesse dans la société chinoise. Dans son intervention, il donne comme exemple que si une vieille personne tombait, un grand nombre de personnes n’oserait pas lui venir en aide pour se relever, de peur qu’on leur extorque de l’argent. Ils s’imagineraient devoir payer la facture à la pharmacie ou chez le médecin. Dans son livre, He Huaihong exprime sa stupeur devant l’absence de réaction de dizaines de passants devant une petite fille de deux ans qui se fait renverser par deux véhicules.

« Il y a eu des accidents à répétition impliquant des cars de ramassage scolaire ; autre exemple, lorsque des camions se renversent, les passants ne tentent pas d’apporter secours aux victimes, au lieu de ça ils en profitent pour voler la marchandise », est-il mentionné dans le huitième essai intitulé Moral Crisis in Chinese Society (Crise morale dans la société chinoise).

« Il existe (…) une indifférence généralisée envers autrui, un manque d’empathie. Les gens ne se soucient pas de la vie humaine, ni de la politesse, ni de la loi », a-t-il affirmé.

La révolution culturelle
Le professeur He Huaihong identifie plusieurs origines historiques à ce déclin moral, la plus prégnante étant de loin la Révolution culturelle (1966-1976), lorsque le pays a plongé dans le tréfonds de la dégénérescence. La campagne « Écraser les quatre vieilleries » – à savoir la pensée antique, la culture traditionnelle, les coutumes et habits traditionnels – a fait que l’éthique traditionnelle « ne tenait plus qu’à un fil ».

« De nombreux ouvrages, objets et sites antiques historiques ont été touchés dans cette destruction. Les tombes de certains personnages honorables de l’histoire ont été démolies et parfois même les restes ont été déterrés. (…) On obligeait les enfants à dénoncer les membres de leur famille et parfois même à prendre part au tabassage de leurs proches. (…) Les politiques se sont totalement supplantées à la moralité. Le seul critère pour distinguer le bien du mal était la loyauté envers le dirigeant au pouvoir, Mao Zedong. »

Le noyau dur de la Révolution culturelle était les Gardes rouges, qui étaient à leur apogée les deux premières années, de 1966 à 1968, pendant lesquelles « le pays connaissait une anarchie virtuelle ». Leur nombre a considérablement diminué à partir de juillet 1968, lorsque Mao les a envoyé dans les campagnes. À l’âge de 12 ans, He Huaihong est devenu Garde rouge. Il a été témoin de certaines de leurs activités et de leur extrême violence. Il a commencé en marge, en étant d’abord observateur.

Un des points-clés du mouvement des Gardes rouges était sa « propension à la violence ». L’un de ses slogans favoris était notamment : « Longue vie à la terreur rouge ! » Dans son livre, le professeur fait part d’un incident qui l’a fait devenir inquiet de cette « violence absolue ».

« La morale passait après la politique », dénonce He Huaihong. Depuis la chute de la dynastie Qing et la guerre contre le Japon, les valeurs étaient celles de l’Union soviétique et de Staline : « la Chine du 20e siècle a subi un renversement complet de nos traditions, de nos anciennes valeurs. »

Pendant la Révolution culturelle, les politiques se sont totalement supplantées à la moralité.
– He Huaihong

À travers sa critique acerbe des Gardes rouges, le professeur accuse Mao et semble absoudre le Parti communiste chinois. Pourtant, sans être explicite, les accusations contre le PCC sont dites à demi-mot. Il fait référence par exemple aux cent années de tumulte précédant les 30 dernières années d’économie de marché, dont il a dit qu’elles avaient laissé un héritage suspect.

Les attentes d’égalité au siècle dernier devraient faire partie d’une reconstruction de l’éthique, a-t-il proposé, tandis que « les théories extrémistes comme la lutte des classes et la pensée du zéro conflit ne font pas partie des héritages que nous devrions accepter (page 77) », écrit He Huaihong en référence aux doctrines fondamentales du Parti communiste.

Sans nommer le PCC, le professeur He écrit que l’ancienne idéologie s’était développée à partir d’une théorie révolutionnaire et non pas à partir d’une théorie de gouvernance. « Cela a débuté par l’importation de concepts étrangers, qui se sont par la suite incarnés sous forme d’attaques contre les cultures traditionnelles de Chine. » Il observe que les récentes théories politiques, telles que « la société harmonieuse », sont « toujours excessivement idéologiques et en décalage avec la réalité chinoise. »

Pour He Huaihong, la société chinoise vient juste d’émerger d’une « période de convulsion transitoire » et bien que le pays connaisse la paix en ce moment, « nous devons constamment être sur nos gardes contre le retour de la tempête. » Il y a donc urgence à construire un nouveau genre de  société et le « premier pas dans ce processus est d’établir des fondements moraux », a-t-il écrit.

La diabolisation de Confucius
En tant que spécialiste du confucianisme, le professeur décrit le déracinement de « l’essence » de la culture traditionnelle, lorsque des écrivains qui s’étaient consacrés au confucianisme ont ensuite participé aux attaques contre Confucius, à une période pas si lointaine de nous.

« Confucius, l’école confucéenne, les rites et les principes moraux confucéens apparaissent comme des gros mots pour les gens du commun. Les effets de cette diabolisation sont toujours visibles aujourd’hui (2013) et les dommages que cela a produit sur la moralité ne sont pas exagérés. »

Non seulement le fanatisme et la violence des Gardes rouges, mais aussi l’absence d’éducation d’une génération entière lors de la Révolution culturelle ou encore l’envol de l’économie florissante de la Chine ces trente dernières années ont contribué à mettre à mal la moralité. « La moralité a été enterrée pour la seconde fois par l’économie de marché », a-t-il affirmé. « C’est la principale raison pour laquelle nous rencontrons ces problèmes moraux aujourd’hui en Chine », a-t-il déclaré.

Un nouveau cadre d’éthique sociale
Le professeur a présenté une synthèse de l’éthique en usage pendant les 3000 ans qui ont précédé l’ère moderne. Il fournit ainsi au lecteur un cours condensé sur le confucianisme, dans son premier essai intitulé « New Principals: Toward a New Framework of Chinese Social Ethics » (Nouveaux principes : vers un nouveau cadre chinois d’éthique sociale).

Son point de départ est Mencius, le disciple le plus connu et le plus influent de Confucius. Mencius croyait à la bonté innée de l’homme. « Les êtres humains sont tous en mesure de ressentir la compassion », a écrit He Huaihong, citant Mencius.

Le professeur reprend les « constantes vertus » citées dans les classiques de l’Antiquité et démontre qu’elles pourraient être appliquées à l’ère moderne : la bienveillance, la droiture, les rites de politesse, la sagesse et la fidélité (aussi traduit par « fiabilité » en chinois). Ces cinq vertus sont toujours valables et ne nécessitent que de nouvelles interprétations, écrit-il.

« Les êtres humains sont tous en mesure de ressentir la compassion »
– Mencius, disciple de Confucius

Par exemple, la bienveillance peut être vue comme la source de toute moralité. Lorsqu’elle est affaiblie par des facteurs étrangers, elle ne dirige plus notre conduite, comme on peut le constater par les cœurs dénués de tout sentiment dans les exemples contemporains cités précédemment. Les rites de politesse impliquent de se dévouer à la courtoisie. « La retenue est le prérequis pour préserver la bienséance », cela signifie de se donner une limite à nos désirs, particulièrement pour nos aspirations matérielles, a-t-il précisé. La sagesse permet de reconnaître ce qui est juste et de « porter un jugement approprié (…) y compris de trouver l’équilibre, ou encore rechercher le juste milieu ».

Une des applications de la pensée confucéenne est vraiment fascinante, il s’agit de la « rectification des étiquettes ». Le professeur He Huaihong a analysé que les précédentes idéologies politiques étaient déconnectées de la réalité sociale. « Les rhétoriques creuses sont monnaie courante. » a-t-il écrit. La confiance est rompue, en particulier entre les autorités et le public. Cela a provoqué une crise sans précédent. Le professeur poursuit en indiquant que les Chinois « font face en permanence à l’hypocrisie ; nous nous y sommes habitués. »

Par exemple, des « représentants » du gouvernement désignés en tant que « serviteurs publiques » créent une discordance entre la signification d’un terme et la réalité qu’il désigne. Les représentants du gouvernement utilisent leur pouvoir de manière irresponsable et amorale, ce qui conduit à « une colère et une haine sans précédent du public envers ces mêmes représentants ». La solution à cela : « laissons les représentants être représentants, mais rectifions la signification du terme ‘représentant’ ».

La nouvelle éthique diffère de l’ancienne sur un point important. Précédemment, la relation entre un seigneur et ses sujets impliquait le travail des sujets pour leur seigneur, qui assurait en contrepartie leur protection. Aujourd’hui, c’est à celui qui se trouve au plus haut échelon de remplir son devoir envers le peuple en bas de l’échelle et d’être responsable envers les « citoyens ». Les politiciens « doivent accepter le peuple comme leur maître fondamental et absolu », a-t-il indiqué. Voici quel est le plus grand écart entre l’ancienne et la nouvelle éthique. He Huaihong est conscient, étant donné l’état actuel, que cela sera long et difficile pour la Chine avant de devenir une démocratie dirigée par la loi. Cependant, c’est la direction qu’elle devra prendre.

Version anglaise : Confucian Scholar Confronts the Lack of Trust and Kindness in China

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