Lanceurs d’alerte au cinéma : haro sur l’héroïsme !

Joseph Gordon-Levitt dans le film Snowden, consacré au lanceur d'alerte du même nom.
Photo: Allociné/Universum films
The Insider (1999), Erin Brockovich (2000), La Fille de Brest (2015) ou encore Snowden (2016) : au cours des deux dernières décennies, quelques films ont porté à l’écran la démarche d’un personnage qualifié de « lanceur d’alerte », soit une femme ou un homme témoin d’une pratique illégitime qui heurte sa conscience et qu’il va chercher à dénonce
Ces films se ressemblent dans leur construction narrative : il s’agit de prendre à partie le spectateur pour partager une conviction, celle du bien-fondé de la démarche que le film expose. Comment le héros va-t-il réussir à mettre fin à la situation d’injustice qu’il constate ? Comment se serait comporté le spectateur à sa place ? Voici quelques-unes des questions auxquelles ces films cherchent à répondre, façon western moderne à la sauce biopic.
Un personnage principal ordinaire et omniprésent
Dans le film The Whistleblower (Seule contre tous), le personnage incarné par Rachel Weisz apparaît dans la quasi-intégralité des plans ; de même que le personnage d’Edward Snowden dans le film éponyme, ou celui d’Erin dans Erin Brokovich. L’omniprésence du protagoniste oblige l’identification au héros et on attend du spectateur qu’il adhère à la cause défendue.
Dans le film The Whistleblower (Seule contre tous), le personnage incarné par Rachel Weisz apparaît dans la quasi-intégralité des plans ; de même que le personnage d’Edward Snowden dans le film éponyme, ou celui d’Erin dans Erin Brokovich. L’omniprésence du protagoniste oblige l’identification au héros et on attend du spectateur qu’il adhère à la cause défendue.
Le personnage mis en scène se caractérise aussi par son aspect « ordinaire », condition sine qua non de l’identification : si le lanceur d’alerte peut être n’importe qui, alors ce pourrait être moi. Les premières scènes du film attestent de sa « banalité » : Edward Snowden se promène dans Washington avec sa petite amie, Irène Frachon échange avec ses collègues au sein du service de pneumologie dans La fille de Brest, etc. Ces plans sont également destinés à dévoiler un niveau socio-économique lambda, et montrent, pour Snowden ou Brokovich, des intérieurs caractéristiques de la classe moyenne américaine.

Extrait du film _Erin Brokovich_, réalisé par Steven Soderbergh, 2000
Ces éléments accentuent un décalage entre l’avant et l’alerte, la femme aux prises avec des considérations privées ne correspondant pas, a priori, à un individu qui va par la suite mettre toute son énergie (une énergie dont elle dispose, donc, un espace mental libre) au service d’une cause d’intérêt général. Au cinéma, l’on est d’autant plus lanceur d’alerte – et le film est d’autant plus spectaculaire – lorsqu’on est une mère divorcée. Cela est particulièrement clair dans le cas d’Erin Brokovich, filmée comme frivole et presque en marge d’une société « décente » en termes de mœurs ; et dont la transformation en lanceuse d’alerte est d’autant plus cinégénique que sa « légèreté » de début de film contraste par avance avec la gravité des faits qu’elle va parvenir à dénoncer.
Intimidations et représailles comme scènes clés
Des scènes se répètent d’un film à l’autre : la découverte de faits frauduleux ; l’incrédulité ; le début de « l’enquête » ; les différents éléments qui visent à décourager l’attention du lanceur d’alerte ; un éventuel événement « déclencheur », qui précipite l’individu à « endosser » totalement le rôle du lanceur d’alerte ; le rôle du réseau et des « alliés » qui peuvent soutenir la démarche, etc.
Des scènes se répètent d’un film à l’autre : la découverte de faits frauduleux ; l’incrédulité ; le début de « l’enquête » ; les différents éléments qui visent à décourager l’attention du lanceur d’alerte ; un éventuel événement « déclencheur », qui précipite l’individu à « endosser » totalement le rôle du lanceur d’alerte ; le rôle du réseau et des « alliés » qui peuvent soutenir la démarche, etc.
Parmi ces récurrences, le lanceur d’alerte fait systématiquement face à des intimidations qui entravent sa démarche, d’abord subtiles puis menaçantes :
Caricaturé
La démarche est d’abord décrédibilisée. Dans The Whistleblower, alors que Kathryna Bolkovac rejoint ses collègues, elle est accueillie par un ironique « Comment va Colombo ? ». Cette scène a moins pour effet de contrarier le personnage que de montrer au spectateur comment l’entourage accueille sa démarche. Son rôle est en effet crucial : tantôt il dissuade, tantôt il encourage. Dans La Fille de Brest, un collègue d’Irène Frachon lui exprime ainsi sans détour : « Tu crois sérieusement qu’une petite équipe comme la notre a les reins pour jeter un pavé pareil dans la mare ? », venant accentuer la distinction entre le lanceur d’alerte et « les autres », ceux qui ne se mobilisent pas.
La démarche est d’abord décrédibilisée. Dans The Whistleblower, alors que Kathryna Bolkovac rejoint ses collègues, elle est accueillie par un ironique « Comment va Colombo ? ». Cette scène a moins pour effet de contrarier le personnage que de montrer au spectateur comment l’entourage accueille sa démarche. Son rôle est en effet crucial : tantôt il dissuade, tantôt il encourage. Dans La Fille de Brest, un collègue d’Irène Frachon lui exprime ainsi sans détour : « Tu crois sérieusement qu’une petite équipe comme la notre a les reins pour jeter un pavé pareil dans la mare ? », venant accentuer la distinction entre le lanceur d’alerte et « les autres », ceux qui ne se mobilisent pas.
Félicité
Dans The Whistleblower, tôt dans le film, l’employée est félicitée par sa hiérarchie. Ces compliments la fragilisent, puisqu’elle se croit soutenue. Peut-être cette manigance (prêcher le faux pour savoir le vrai, jouer la connivence) permettra-t-elle à ses supérieurs d’obtenir des informations privilégiées. Ce détour prépare celui de la désillusion, qui surviendra lorsque le lanceur d’alerte réalise qu’il a été « trahi » par sa hiérarchie, elle-même éventuellement impliquée dans le scandale qu’il ou elle cherche à dénoncer.
Dans The Whistleblower, tôt dans le film, l’employée est félicitée par sa hiérarchie. Ces compliments la fragilisent, puisqu’elle se croit soutenue. Peut-être cette manigance (prêcher le faux pour savoir le vrai, jouer la connivence) permettra-t-elle à ses supérieurs d’obtenir des informations privilégiées. Ce détour prépare celui de la désillusion, qui surviendra lorsque le lanceur d’alerte réalise qu’il a été « trahi » par sa hiérarchie, elle-même éventuellement impliquée dans le scandale qu’il ou elle cherche à dénoncer.
Empêché
Des représailles peuvent sanctionner la démarche. Dossiers « clôturés » et badge désactivé brutalement (The Whistleblower), appels anonymes qui mentionnent les proches (Erin Brokovich), passeport annulé (Snowden), etc. Dans La Fille de Brest, il est laissé entendre que « si Irène Frachon va trop loin », l’Ordre des médecins pourra être sollicité, laissant peser une lourde menace de suspension de son exercice. Ces scènes importantes précèdent souvent un moment d’abattement pour le lanceur d’alerte, à la suite duquel un « allié » viendra relancer l’effort du protagoniste, par de nouvelles informations ou un rappel de l’enjeu de sa démarche.
Des représailles peuvent sanctionner la démarche. Dossiers « clôturés » et badge désactivé brutalement (The Whistleblower), appels anonymes qui mentionnent les proches (Erin Brokovich), passeport annulé (Snowden), etc. Dans La Fille de Brest, il est laissé entendre que « si Irène Frachon va trop loin », l’Ordre des médecins pourra être sollicité, laissant peser une lourde menace de suspension de son exercice. Ces scènes importantes précèdent souvent un moment d’abattement pour le lanceur d’alerte, à la suite duquel un « allié » viendra relancer l’effort du protagoniste, par de nouvelles informations ou un rappel de l’enjeu de sa démarche.
De l’importance des enjeux exposés
Les films qui mettent en scène des lanceurs d’alerte s’ouvrent souvent sur des intertitres d’exposition qui annoncent un ancrage « dans le réel » du scénario. Que produit ce choix de réalisation ?
Les films qui mettent en scène des lanceurs d’alerte s’ouvrent souvent sur des intertitres d’exposition qui annoncent un ancrage « dans le réel » du scénario. Que produit ce choix de réalisation ?

Extrait du film _Snowden_, réalisé par Oliver Stone, 2016

Extrait du film Erin Brokovich, réalisé par Steven Soderbergh, 2000
Ce type de cinéma véhicule l’idée selon laquelle chacun peut se distinguer d’une masse d’individus interchangeables : « Je suis désolée, je ne suis pas comme toi », dit sa collègue en fin de film à Kathryna Bolkovac dans Seule contre tous, comme si elle s’excusait d’appartenir au groupe de ceux qui resteront insignifiants (implicitement, « tous les autres »).
Économe d’une réflexion sur la structure, le cinéma de lanceur d’alerte contribue en creux à banaliser la déviance du système, mais fait porter la responsabilité de la cohérence sociale à celui qui présente des traits héroïques et apostrophe le spectateur : « Et vous, de quelle façon allez-vous vous illustrer ? »
Mahaut Fanchini, Doctorante en théorie des organisations, Université Paris Dauphine – PSL
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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