Les ondes gravitationnelles : une histoire Cosmos-polite

2 février 2018 21:11 Mis à jour: 2 février 2018 21:11

Le 11 février 2016, à Washington, Paris et Pise, trois conférences de presse simultanées, immédiatement relayées par la plupart des grands journaux et stations de radio, annonçaient la première détection directe par les interféromètres LIGO, d’ondes gravitationnelles (OG), dont Einstein avait prévu l’existence et les propriétés cent ans auparavant.

Il aura fallu environ 40 ans pour convaincre la plupart des scientifiques, Einstein inclus, de la réalité physique de ces ondes, puis encore 60 ans à partir des premières tentatives, pour parvenir à les observer.

En effet, l’interaction gravitationnelle étant très faible, les OG ne peuvent être produites en quantité détectable que par de grands cataclysmes stellaires, comme la formation ou les collisions d’objets très massifs et très denses, par exemple des trous noirs, des étoiles à neutrons, voire le Big Bang lui-même.

Même les OG les plus énergétiques émises par ces sources remarquables restent très difficiles à révéler, car leur passage génère des effets négligeables sur les détecteurs. Ceux-ci doivent donc présenter un niveau de bruit très faible pour que le signal puisse être extrait du bruit.

La détection des OG a donc été longtemps considérée comme impossible. Néanmoins, au début des années 1970, Rai Weiss (prix Nobel 2017), a étudié la possibilité d’utiliser un détecteur basé sur un interféromètre de Michelson.

Weiss fit une étude détaillée des principales sources de bruit qui pourraient dégrader la sensibilité d’un détecteur interférométrique d’OG, et produisit en 1972 un rapport interne au MIT, qui montrait qu’aucune limitation fondamentale ne s’opposait à l’obtention d’une sensibilité suffisante, mais que les technologies existantes en matière de lasers (stabilité, puissance, fiabilité), d’optique, d’isolation sismique, entre autres, devaient être améliorées par plusieurs ordres de grandeur.

Un challenge follement ambitieux

Le « challenge » n’était donc pas impossible, mais plutôt follement ambitieux. D’autre part, la sensibilité nécessaire était mal connue. Pour certaines sources possibles d’OG, comme les explosions de supernovae, on connaissait à peu près la fréquence des événements (un ou deux par siècle et par galaxie), mais très mal l’amplitude et la forme du signal gravitationnel attendu.

D’autre part les travaux de Thibault Damour depuis la fin des années 1970 ont permis de calculer le signal émis par un système de deux étoiles à neutrons dans la phase de coalescence (phase de mouvement en spirale qui précède leur fusion), mais on ne connaissait alors qu’un seul objet de ce type, et la fréquence des événements était totalement inconnue. Au début des années 1980, il devenait clair que la technique interférométrique était la plus prometteuse et en plus de Weiss à Boston, deux poignées de chercheurs, à l’Université de Glasgow, dirigée par Ron Drever, et à l’Institut Max Planck de Garching (RFA) développaient des prototypes d’interféromètres.

Kip Thorne (prix Nobel 2017) fit alors inviter Ron Drever à Caltech pour y développer un prototype de 30m et concevoir un interféromètre en vraie grandeur (4km), et la NSF (National Science Foundation) encouragea une collaboration Caltech-MIT, co-dirigée par Rai Weiss et Ron Drever.

Pendant ce temps, Thibault Damour m’intéressa au sujet, avec son image de « nouvelle fenêtre ouverte sur l’Univers », signifiant que l’observation d’ondes gravitationnelles viendrait complémenter les observations électromagnétiques, jusqu’alors sources exclusives d’informations sur notre Univers.

Je décidai donc de rendre visite à Rai Weiss, qui me donna son rapport (quelques centaines de pages de schémas et de calculs) et se montra très ouvert à de futures collaborations. Je décidai rapidement d’orienter mes futures recherches dans cette voie, avec Nary Man comme co-expérimentatrice, et Jean Yves Vinet comme théoricien/modélisateur.

Des débuts laborieux

Les débuts en France furent difficiles ; il fallait trouver des financements pour développer une technique laser adaptée (notre premier objectif), un laboratoire d’accueil, un statut administratif, et recruter quelques chercheurs, ingénieurs et techniciens, alors que les départements de physique du CNRS sollicités se montraient tous intéressés mais réticents à prendre la responsabilité d’une entreprise aussi risquée.

En 1985, nous rencontrâmes Adalberto Giazotto, qui avait commencé à l’INFN (Istituto Nazionale di Fisica Nucleare) de Pise l’étude d’un système d’isolation sismique ultra-performant, et compte tenu de la complémentarité de nos efforts, nous décidâmes immédiatement de travailler ensemble à un projet commun italo-français, plus tard baptisé Virgo.

Contrairement aux autres équipes, nous avons choisi de développer en vraie grandeur chaque composant critique d’un futur interféromètre, plutôt que de s’en approcher progressivement par la mise au point de prototypes de dimensions croissantes. En 1989, nous avions montré la faisabilité d’un laser et d’une isolation sismique adéquats.

Nous avons alors proposé le projet Virgo, simultanément au CNRS et à l’INFN, avec un faible espoir que le projet soit financé un jour, compte tenu du risque et du coût élevé qu’il présentait. Mais il se trouva que les directions des deux instituts acceptèrent ce risque et firent approuver le projet par les deux ministres de la recherche alors en place.

L’argent et les personnes arrivent

Virgo, situé près de Pise, commença à être financé en 1994, deux ans après le projet américain LIGO, qui consiste en deux détecteurs, l’un au nord-ouest, l’autre au sud-est des USA. Pour LIGO comme pour Virgo, il avait fallu que les équipes initiales puissent être fortement renforcées par l’arrivée de physiciens des particules, libérés aux USA par l’abandon d’un grand projet d’accélérateur de particules, et en Europe par la fin des expériences du LEP, au CERN.

Dans les deux cas, il restait à surmonter quelques difficultés, comme l’organisation des équipes, dont la taille se trouvait soudainement multipliée par un facteur de 5 à 10, avec une diversité de cultures scientifiques.

Il restait d’autre part à résoudre plusieurs problèmes délicats concernant la qualité des principaux composants optiques : homogénéité et absorption du matériau des miroirs, qualité de leur polissage, et réflectivité. Dans tous ces domaines, les compagnies américaines et européennes n’étaient pas capables de délivrer les spécifications demandées, et n’étaient guère enthousiastes pour investir dans le travail de recherche nécessaire, le marché se limitant à LIGO et Virgo.

Heureusement, Le CNRS et l’INFN acceptèrent de construire à Lyon un nouveau laboratoire entièrement dédié (le Laboratoire des Matériaux Avancé, LMA, conçu, puis dirigé par JM Mackowski) et aujourd’hui le seul au monde capable de produire des miroirs de qualité suffisante pour Virgo, mais aussi pour LIGO et KAGRA, le détecteur en construction au Japon.

Les premières détections

Après une première génération, qui avait atteint ses objectifs de sensibilité autour de 2005 sans toutefois détecter d’OG, LIGO et Virgo ont reçu l’autorisation et les moyens de développer des interféromètres de seconde génération, baptisés « Advanced LIGO », puis « Advanced Virgo », toujours avec le décalage initial de 2 ans, et avec quelques variantes techniques.

Après les premières détections par LIGO d’OG résultant de coalescences de trous noirs, Virgo a atteint une sensibilité voisine en août 2017, se joignant à LIGO pour détecter une autre coalescence de trous noirs, puis une coalescence d’étoiles à neutrons, qui signe réellement l’ouverture de cette « nouvelle fenêtre sur l’Univers ».

En effet, contrairement aux trous noirs, qui sont des distorsions de l’espace sans contenu matériel, et dont la coalescence ne produit pas d’ondes électromagnétiques, la coalescence d’étoiles à neutrons s’accompagne de réactions nucléaires. De plus, cette première détection simultanée par trois détecteurs a permis de localiser la source par triangulation.

Il en résulte que plusieurs dizaines de détecteurs d’ondes électromagnétiques, des rayons gamma aux ondes radio en passant par la lumière visible et infrarouge, ont pu étudier l’événement et fournir de multiples informations. D’abord la vérification du fait que les ondes gravitationnelles se propagent à la vitesse de la lumière, puisque les temps d’arrivée des OG et de l’impulsion gamma ne diffèrent que de moins de 2 s (sur un temps de propagation de 140 millions d’années).

Cette coïncidence a aussi révélé l’origine des atomes lourds, jusqu’alors mystérieuse, car on a pu observer que cette coalescence d’étoiles à neutrons a produit de grandes quantités de plomb, d’uranium, de platine, d’or (la masse d’or et de platine produite est supérieure à la masse de la terre !).

En même temps, ces détections posent de nouvelles questions : quel est par exemple le processus de formation des trous noirs de 20 ou 30 masses solaires, qui semblent bien plus nombreux qu’on ne l’estimait jusque-là ?

La mise au point finale des détecteurs LIGO et Virgo, qui devrait se terminer dans un an, permettra de multiplier les observations, et certainement de résoudre d’autres problèmes, tout en posant de nouvelles questions, ce qui aboutira nécessairement à la construction de nouveaux détecteurs de sensibilité croissante, sur terre et dans l’espace.

Il est intéressant de noter que cette nouvelle astronomie est fondamentalement un effort mondial, par l’intérêt qu’il y a d’avoir des détecteurs répartis sur toute la Terre (pour localiser les sources) et par le fait qu’elle requiert des technologies extrêmement pointues : pour réaliser des miroirs adéquats, la silice est produite en Allemagne, le polissage aux USA, et le traitement réfléchissant en France, de prochaines améliorations sont attendues d’Allemagne et du Japon, un détecteur est en construction en Inde, etc.et chaque publication est signée par plus d’un millier de chercheurs de nationalités variées.

Alain Brillet, Directeur de recherche émérite au CNRS, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Adèle La Rana, Physicienne et historienne des sciences, Sapienza University of Rome

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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