Roya Sadat, réalisatrice des femmes d’Afghanistan

Par Epoch Times avec AFP
3 mars 2020 07:00 Mis à jour: 6 mars 2020 19:06

La réalisatrice Roya Sadat est née en pleine invasion russe de l’Afghanistan. Elle a fêté ses 13 ans sous le régime des talibans. A 30 ans, elle portait au cinéma la cause des femmes afghanes. Aujourd’hui elle craint le retour de l’obscurantisme.

Roya Sadat, originaire d’Herat, élégante ville de l’ouest frontalière de l’Iran, a 36 ans, presque l’âge du conflit qui ravage son pays depuis quatre décennies. En 1996, quand les talibans se sont emparés du pouvoir après des années de guerre civile elle a été « enfermée à la maison, comme des milliers d’autres filles ».

Dans le huis-clos familial, elle trouve refuge dans les livres de son père, féru de littérature persane. Roya, comme ses cinq sœurs, sait lire. Elle écrit aussi: des poèmes, des récits, des pièces de théâtre.

-La productrice et réalisatrice afghane Roya Sadat travaille sur un ordinateur portable à la Roya Film House de Kaboul le 9 février 2020. Photo de MARIAM ALIMI / AFP via Getty Images.

Les islamistes ont entrepris de détruire bobines de films et bandes de musique, symboles selon eux d’une culture occidentale dépravée. Toute personne surprise à regarder la télévision s’expose au fouet et à voir son poste suspendu à un lampadaire à titre d’exemple.

Roya, elle, dissimule les cassettes vidéo dans des sacs plastique. « Comme ça s’ils s’en étaient pris à nous, je les aurais jetées dans le désert », se souvient la trentenaire au regard décidé, les cheveux nonchalamment recouverts d’un voile noir.

Mais surtout la jeune femme griffonne déjà des scénarios. « J’avais lu un livre sur la direction scénique et j’échafaudais des plans pour trouver l’équipement nécessaire et réussir à contourner l’interdiction des talibans », raconte la réalisatrice.

La jeune Roya a quand même décroché un travail d’infirmière, un des rares emplois accessibles aux femmes, car sous le régime taliban seules des femmes peuvent soigner les patientes.

À l’hôpital, elle crée un centre culturel clandestin et organise même des représentations au contenu incendiaire: « Nous comparions le temps des talibans à l’ère préislamique, quand les filles étaient enterrées vivantes ».

« C’était très dangereux. J’ai encore du mal à croire que nous ayons pu jouer ». 

Puis les troupes américaines ont chassé les talibans du pouvoir, en 2001. Roya a fréquenté les bancs de l’université d’Herat pour des études de droit et de sciences politiques. Un privilège encore rare encore aujourd’hui, alors que toute une génération de fillettes a été privée de scolarisation.

Sa passion pour le cinéma ne l’a pas quittée. Avec de très petits moyens et en seulement deux semaines, elle a tourné son premier film, non loin de sa ville, dans une région encore très conservatrice, après avoir elle-même vérifié, en marchant dans les champs, qu’ils n’étaient pas minés.

« Three dots » (Trois points, 2003), court-métrage sur les mariages forcés, fut récompensé dans de nombreux festivals internationaux.

A travers le cinéma, Roya Sadat, qui a depuis fondé une société de production avec une de ses sœurs, espère changer les mentalités, même si ses films ne peuvent être vus dans les endroits les plus reculés d’Afghanistan.

Le « cinéma a un rôle à jouer face aux inégalités et aux injustices », insiste la réalisatrice rencontrée dans les locaux de sa société, une lieu vieillot et chaleureux aux murs en pierre et aux nombreuses boiseries.

Le septième art, poursuit-elle « peut pousser les personnes à dialoguer » et « notre peuple a besoin de davantage d’autocritique et de pouvoir aborder les sujets interdits. Une révolution est nécessaire et elle ne peut se faire sans l’aide du cinéma ».

Dans son long-métrage « A letter to the president » (Une lettre au président, 2017) elle brise encore un tabou, mettant en scène l’histoire d’une femme emprisonnée après avoir accidentellement tué un mari violent. Pour ce film elle a reçu une récompense remise par la première dame des Etats-Unis Melania Trump, le « Prix international de la femme de courage ».

-La Première Dame des États-Unis, Melania Trump, présente un Prix international des femmes de courage 2018 à Roya Sadat d’Afghanistan lors de la cérémonie de remise des prix au Département d’État de Washington, DC, le 23 mars 2018. Photo SAUL LOEB / AFP via Getty Images.

« Je craignais la réaction du public », confie la fondatrice du Festival international du film de femmes de Herat.

Et de raconter son soulagement lorsque, durant une projection à Kaboul, les spectateurs ont applaudi l’héroïne, après que celle-ci eut giflé son mari qui l’avait lui-même frappée.

« Il est plus facile de reconstruire un bâtiment détruit par la guerre que de changer l’esprit. La culture, les médias, et surtout le cinéma servent à cela ».

Ses films « centrés sur les femmes et destinés à un public féminin, ont un impact direct sur les femmes dans la société », estime Latif Ahmadi, réalisateur et ancien responsable de l’Institut du film afghan.

Aujourd’hui, la trentenaire incarne deux décennies d’acquis en matière de droits des femmes dans son pays, à la faveur de la présence de troupes occidentales. Les progrès sont palpables dans les grandes villes, où elles sont visibles et actives. A Kaboul notamment, les ombres bleues azur des burqa se sont faites plus rares. Certaines osent même le jean cigarette assorti d’un long pull.

Environ 39% des filles vont au collège, selon la Banque mondiale, contre une poignée il y a vingt ans.

Mais cette renaissance pourrait s’effondrer comme un château de cartes si les talibans, qui viennent de signer un accord avec les Etats-Unis, reviennent en grâce et obtiennent un partage du pouvoir avec d’autres factions afghanes, craint-elle.

« J’ai peur que nous soyons tout simplement oubliées ». 

 

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