Un prêtre bouddhiste secourt des seniors escroqués en plein désarroi

Par Epoch Times avec AFP
10 novembre 2023 16:45 Mis à jour: 10 novembre 2023 16:46

Depuis trois décennies, le prêtre bouddhiste Eiichi Shinohara s’emploie à conseiller et consoler des âmes en peine au Japon. Beaucoup d’entre elles sont des personnes âgées victimes d’arnaques par téléphone, un véritable fléau dans l’archipel.

Peu de gens réalisent « à quel point une fraude téléphonique est dévastatrice pour ses victimes, et qu’elle peut même les pousser au suicide », prévient M. Shinohara, interrogé par l’AFP dans son temple à Narita, à l’est de Tokyo. « Pour moi cela équivaut à un meurtre », insiste cet homme de 78 ans.

La sonnerie de son portable perturbe soudain le silence qui règne dans son temple. Au bout du fil, une femme désespérée d’avoir cédé à une arnaque téléphonique qui lui a coûté une dizaine de millions de yens (plusieurs dizaines de milliers d’euros). « Le méchant c’est toujours l’escroc, pas vous. Vous êtes une bonne personne. Vous ne devez jamais vous en vouloir », lui dit le prêtre d’une voix réconfortante. « Venez nous rendre visite quand vous voulez. Nous pourrons en parler toute la journée. Un repas vous attendra. »

Quelque 30.000 appels

M. Shinohara dit avoir reçu en une trentaine d’années quelque 30.000 appels de personnes désespérées. Au départ, son voeu était de lutter contre le suicide des jeunes, un autre phénomène endémique, mais depuis quelques années il reçoit de plus en plus d’appels de personnes âgées victimes d’arnaques téléphoniques.

Dans un pays où une personne sur dix a 80 ans ou plus, les aigrefins de ce genre ciblent particulièrement les personnes âgées, qui représentent près de 90% de leurs victimes, selon la police japonaise. Les seniors nippons ont souvent beaucoup d’épargne, sont peu au fait des nouvelles technologies et parfois très crédules. Et surtout, leur isolement grandissant les rend vulnérables, surtout quand quelqu’un se fait passer pour un proche dans le besoin.

Le prêtre bouddhiste Eiichi Shinohara coordonne un réseau d’une cinquantaine de moines bouddhistes qui offrent des conseils à ceux qui sont tombés dans un profond désespoir. (Photo RICHARD A. BROOKS/AFP via Getty Images)

Des idées suicidaires

Pour beaucoup de personnes âgées, ces appels représentent « une opportunité de rompre avec leur isolement », explique M. Shinohara. « Elles rêvent qu’on leur dise : ‘‘Merci mamie, tu m’as sauvé la vie’’. Alors qu’elles ont le sentiment d’avoir été abandonnées par le reste de leur famille, elles voient là une occasion d’être de nouveau utiles et de regagner la reconnaissance (de leurs proches, ndlr). C’est ce désir que les escrocs exploitent », ajoute le prêtre bouddhiste.

Mais les personnes âgées qui ont été dépouillées se sentent encore plus isolées, car leur entourage familial, bouleversé par ces pertes financières, a tendance à les réprimander et à les rejeter encore davantage, poursuit M. Shinohara. Il arrive aussi que ces accusateurs eux-mêmes développent des idées suicidaires et l’appellent au secours, parce qu’ils se sentent coupables de la mort d’un membre de leur famille à qui ils avaient reproché d’être tombé dans le piège d’une arnaque téléphonique.

Dans son temple, M. Shinohara conserve précieusement le journal intime d’une octogénaire aujourd’hui décédée, qui avait été victime d’une telle mésaventure et qu’il avait longtemps soutenue moralement par la suite. Akiko Ando ne voyait plus de raison de vivre après avoir dilapidé en 2014 près de 30 millions de yens (plus de 180.000 euros aujourd’hui). Elle s’était laissé persuader au téléphone d’avoir gagné un énorme pactole à la loterie, auquel elle ne devait cependant avoir accès qu’à condition de régler des frais importants.

Le prêtre bouddhiste Eiichi Shinohara regarde le journal intime d’une femme qui a été escroquée de plusieurs millions de yens, dans son temple près de la ville de Narita, au Japon. (Photo RICHARD A. BROOKS/AFP via Getty Images)

Après avoir réalisé qu’elle avait été escroquée, Mme Ando a écopé de la double peine classique : de furieuses remontrances de la part de son fils et d’autres membres de sa famille, qui se sont alors détournés d’elle. « J’étais trop cupide », « J’étais trop bête et naïve » : son journal intime déborde de regrets, et aussi d’autoflagellation : « Je ne suis plus considérée comme un parent mais comme une pécheresse. Mais je le mérite, je dois subir ce châtiment jusqu’à ma mort. »

Grâce à M. Shinohara, Mme Ando n’a pas mis fin elle-même à ses jours : elle est morte cette année des suites d’une maladie. Sa famille a confié au religieux son journal intime et lui a donné l’autorisation de l’évoquer dans les médias. Comme un triste cas d’école, pour sensibiliser d’autres victimes potentielles et leurs proches.

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