Le Bureau 610 déchu dans le cadre de la campagne anticorruption de Pékin

Par Leo Timm
14 novembre 2021 20:01 Mis à jour: 14 novembre 2021 20:01

Officiellement arrêté le 5 novembre, les charges retenues contre l’ancien vice-ministre chinois de la Sécurité publique Sun Lijun vont au-delà des accusations habituelles de détournement de fonds, de pots-de-vin et autres « violations de la discipline » dont certains responsables du régime communiste sont victimes dans le cadre de la campagne anticorruption de Xi Jinping.

Tel qu’annoncé dans un avis cinglant de la Commission centrale d’inspection disciplinaire (CCDI) publié le 30 septembre, Sun Lijun vient d’être déchu de son poste et de son statut de membre du Parti communiste chinois (PCC). Il a été accusé de « n’avoir jamais été fidèle aux idéaux et croyances du Parti » et d’avoir trompé Pékin tout en nourrissant de dangereuses « ambitions politiques ». Son abus de pouvoir à titre de responsable de la police aurait « gravement compromis l’unité du Parti et mis en danger la sécurité politique ».

Le 2 octobre, le CCDI a annoncé l’ouverture d’une enquête sur Fu Zhenghua, vice-ministre de la Sécurité publique avant Sun Lijun, pour « violations graves de la discipline du Parti ». Fu Zhenghua avait été promu en 2018 à la tête du ministère chinois de la Justice, poste qu’il a occupé jusqu’en avril dernier.

Quelques semaines auparavant, le 26 août, le CCDI a ordonné l’arrestation de l’ancien vice-chef de la cybersécurité Peng Bo. Une enquête ouverte en mars dernier concluait que les « idéaux et croyances  [de Peng Bo] se sont effondrés », après s’être écarté « des décisions du Comité central du Parti », il s’était « débauché dans des clubs privés » et s’était « livré à des transactions illégales d’argent en abusant de son pouvoir ».

Points communs

La campagne anticorruption de Pékin, qui a débuté il y a plus de huit ans, est une constante du mandat de Xi Jinping. Elle concerne des millions d’individus : dans les organisations du Parti, de l’État, parmi les anciens dirigeants et dans les milieux des affaires.

Des officiers de haut rang à la tête les vastes organes de sécurité du PCC (Sun Lijun, Fu Zhenghua et Peng Bo étant les exemples les plus récents) ont été les cibles régulières des purges de Xi Jinping.

Dès 2013, le chef adjoint de la sécurité publique chinoise, Li Dongsheng, a été placé sous enquête, suivi en 2014 par un « tigre » plus puissant encore, Zhou Yongkang. Ce dernier était membre retraité de l’organe décisionnel suprême du Parti, le Comité permanent du Politburo, qui ne compte que 7 membres. Il était également le président de la Commission des affaires politiques et juridiques du Parti (PLAC), un organe essentiel qui supervise l’appareil sécuritaire et juridique du pays.

Au fil des ans, des dizaines d’autres dirigeants anciens ou actuels de l’appareil politique, juridique ou policier ont fait l’objet d’enquêtes et de condamnations.

Beaucoup de ces hommes ont un point en commun : leur implication dans un organe du Parti communiste aujourd’hui disparu, le « Groupe central de direction pour la prévention et la gestion des religions hérétiques ». Ce Groupe est officieusement connu sous le nom de « Bureau 610 » en référence de sa date de création, le 10 juin 1999 et surnommé « la Gestapo chinoise ».

Le Bureau 610 – un organisme de haut niveau du Parti dont les dirigeants avaient autrefois le pouvoir de mobiliser des unités de police et de propagande à l’échelle nationale – est inextricablement lié à son fondateur, l’ancien secrétaire général du PCC Jiang Zemin, et à sa mission première : la persécution du Falun Gong.

Cette photo d’archives montre des policiers en civil du régime communiste chinois immobilisant violemment au sol un pratiquant de Falun Gong sur la place Tiananmen. (Avec l’aimable autorisation de Minghui.org)

Au pouvoir pour persécuter

Dans les années 1990, des dizaines de millions de Chinois ont adopté la pratique du Falun Gong. Cette pratique spirituelle était de loin la plus populaire parmi les nombreuses pratiques méditatives traditionnelles qui gagnaient en importance à l’époque. Bien qu’initialement soutenue par le gouvernement, la communauté des pratiquants de Falun Gong ont ensuite été réprimés.

À partir de 1999, régulièrement dans les assemblées, Jiang Zemin (le chef du régime à l’époque) soulignait la menace que représentait le grand nombre de pratiquants du Falun Gong, rappelant que leurs croyances spirituelles étaient incompatibles avec l’idéologie marxiste et athée du PCC. Selon des sources proches citées dans le livre intitulé The Real Jiang Zemin (Le vrai Jiang Zemin), publié en 2012, Jiang Zemin considérait le Falun Gong comme une menace qui devait être éliminée pour que le Parti puisse se maintenir.

C’est au 7 juin de cette même année, que Jiang Zemin allait ordonner la création d’un groupe central chargé de diriger et coordonner une campagne anti-Falun Gong. Selon James Tong, professeur à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), pour mener à bien sa mission, le Bureau 610 serait ammené « à traiter avec les agences centrales et locales du Parti et de l’État, appelées à agir en étroite coordination » avec lui.

La persécution du Falun Gong a commencé le 20 juillet 1999, et des dizaines de milliers de pratiquants ont été arrêtés en quelques mois. Jusqu’à aujourd’hui cette persécution continue. Des millions de pratiquants ont été incarcérés, envoyés dans des centres de lavage de cerveau, des camps de travaux forcés, ou ont été tués sous les coups, la torture ou suite à des prélèvements forcés d’organes permettant d’alimenter un trafic d’organes international.

Jiang Zemin, aujourd’hui âgé de 95 ans, est resté à la tête du PCC et de l’État chinois jusqu’au début des années 2000. Il s’est ensuite retiré pour céder la place à Hu Jintao. Cependant, de nombreux dirigeants associés à Jiang Zemin après avoir participé à la campagne anti-Falun Gong (ou occupé des postes dans le Bureau 610) ont fini par se hisser au sommet du régime.

Selon Xin Ziling, président à la retraite de la maison d’édition d’État Chinese Military Academy Press, Jiang Zemin a été contraint de créer le Bureau 610 en raison de la réticence des autres membres du Politburo à persécuter le Falun Gong. Selon Xin Ziling, la création de cette organisation extralégale lui aurait permis de contourner avec ses alliés le Politburo ainsi que le gouvernement civil de la Chine afin de mener à bien la persécution.

Pendant et après le mandat officiel de Jiang Zemin, les dirigeants qui étaient associés au Bureau 610 bénéficiaient d’un immense pouvoir. Luo Gan, qui dirigeait le bureau de 2003 à 2007, un proche confident de Jiang Zemin avait été un des premiers à vouloir éradiquer le Falun Gong.

Zhou Yongkang, ancien dirigeant du PLAC qui purge actuellement une peine de prison à vie, avait été à la tête du Bureau 610 entre 2007 et 2012. Il occupait parallèlement un poste au Comité permanent du Politburo. À l’époque, Luo Gan et le chef de la propagande Li Changchun faisaient également partie du Comité permanent du Politburo. Li Changchun avait travaillé en étroite collaboration avec le Bureau 610 alors qu’il était secrétaire du PCC pour la province du Guangdong, dans le sud de la Chine.

En tant que chef des affaires politiques et juridiques, Zhou Yongkang supervisait non seulement la sécurité publique et les tribunaux chinois, mais aussi la Police armée du peuple (PAP), l’une des trois branches des forces armées chinoises avec l’armée populaire de libération (APL) et la milice. Cette organisation paramilitaire de plus d’un million de membres bénéficiait alors d’un financement d’une ampleur rivalisant avec le budget de l’APL.

Wang Lijun, chef du Bureau de la sécurité publique de Chongqing, assiste à une réunion lors du Congrès national annuel du peuple au Grand Hall du peuple, le 6 mars 2011 à Pékin, en Chine. (Feng Li/Getty Images)

Démantèlement

De nombreux observateurs et commentateurs sur la Chine suggèrent un lien entre les cibles de la campagne anticorruption de Xi Jinping et les personnes dont la carrière est liée à Jiang Zemin.

Avant l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en novembre 2012, le régime chinois a été secoué par la tentative de défection de Wang Lijun, un chef de la police, ayant demandé l’asile au consulat américain de Chengdu, dans le sud-ouest de la Chine. Wang Lijun, qui était le chef de la Sécurité publique de la mégapole de Chongqing, était en conflit avec son supérieur, le chef du PCC de Chongqing, Bo Xilai.

En collaboration avec des personnalités comme Zhou Yonkang et des membres éminents de l’armée chinoise, Bo Xilai et Wang Lijun ont joué un rôle important dans le développement des prélèvements d’organes forcés en Chine. Selon les experts, ces derniers ciblent principalement les pratiquants de Falun Gong et autres prisonniers de conscience.

Lorsque Bo Xilai et Wang Lijun étaient en poste dans le nord-est de la Chine, Wang Lijun avait publiquement loué des prélèvements d’organes sur les prisonniers exécutés. Parallèlement, à huis clos, il exhortait ses subordonnés à « tuer et éradiquer » les pratiquants de Falun Gong, selon un agent du PAP qui travaillait sous ses ordres dans la ville de Jinzhou. Ce policier militaire a également raconté avoir été témoin du meurtre d’une pratiquante de Falun Gong « de belle apparence », violée et humiliée sexuellement avant que ses organes ne soient prélevés.

Wang Lijun et Bo Xilai ont été jugés et condamnés en 2013. Leur arrestation donnant le coup d’envoi de la campagne anticorruption de Xi Jinping. À ce jour, la plupart des hauts fonctionnaires sanctionnés dans le cadre de cette campagne avaient des liens similaires avec Jiang Zemin, souvent via des organisations comme le Bureau 610, ou en persécutant le Falun Gong.

La position unique du Bureau 610 dans la politique chinoise a attiré l’attention de Pékin. Avant que Li Dongsheng, ancien chef adjoint de la police et de la propagande qui a été à la tête du Bureau 610 à la suite de Zhou Yongkang, ne soit démis de ses fonctions, en 2013, les autorités du Parti n’avaient pas officiellement reconnu l’existence de ce Bureau. À ce jour, le PCC n’a toujours pas clarifié la base juridique de la création du Bureau 610, et aucune explication claire de sa mission n’a été donnée.

Par ailleurs, dès 2016, le Bureau 610 a commencé à être critiqué. En octobre de la même année, le CCDI reprochait au Bureau 610 de manquer de « sensibilité politique » et de ne pas adhérer à « l’esprit de l’État de droit ».

En mars 2018, les autorités centrales du Parti ont annoncé une réforme radicale du PCC et des institutions de l’État. Le bureau 610 a été l’un des départements de sécurité touchés par la restructuration. Il a été dissous et ses fonctions ont été reprises par le PLAC et le ministère de la Sécurité publique.

Malgré cette restructuration, Pékin continue de cibler les anciens dirigeants du Bureau 610. En mars dernier, lors de l’annonce du lancement de l’enquête du CCDI sur Peng Bo, il a été révélé que ce dernier avait été chef adjoint du Bureau 610 après avoir quitté ses fonctions au sein du département de la cybersécurité en 2015. Jamais auparavant cette information sur sa carrière n’avait été rendue publique.

Fu Zhenghua et Sun Lijun, les anciens chefs adjoints purgés du ministère de la Sécurité publique, ont également occupé les fonctions de chef et de chef adjoint du Bureau 610 avant la restructuration de l’organisme.

Une répression continue

Heng He, analyste de l’actualité chinoise, a déclaré à l’édition en langue chinoise d’Epoch Times que la dissolution du Bureau 610 n’a probablement pas grand-chose à voir avec les violations des droits de l’homme ou la corruption des alliés de Jiang Zemin.

Le Bureau 610, dit-il, a été dissous « non pas parce que [ses dirigeants] sont corrompus, mais parce qu’après avoir eu le pouvoir, ils n’écoutent plus Xi ».

Les experts en matière de droits de l’homme notent que la dissolution du Bureau 610 n’a pas offert beaucoup de répit aux personnes persécutées pour leurs croyances. Les unités locales « de lutte contre les ‘religions hérétiques’ » continuent de harceler et de maltraiter les pratiquants du Falun Gong, les chrétiens des églises de maison et autres groupes religieux.

En outre, si Xi Jinping a pris certaines mesures en leur faveur tel que l’abolition des camps de travaux forcés en 2013, la répression autoritaire du PCC s’est intensifiée sous son mandat. Cela est peut-être plus visible dans la région du Xinjiang, au nord-ouest du pays, où plus d’un million de personnes de groupes ethniques minoritaires musulmans seraient détenues dans des camps de concentration et des centres de rééducation.

Sarah Cook, chercheuse sur la Chine pour l’organisation américaine de défense des droits de l’homme Freedom House, a relevé fin 2019 que le PCC avait suivi le « mode d’emploi anti-Falun Gong » pour persécuter les Ouïghours et d’autres groupes ethniques du Xinjiang.

Dans un commentaire du 2 novembre, l’analyste de la Chine Chen Simin observe que Xi Jinping cible probablement le Bureau 610 et les dirigeants connus pour persécuter le Falun Gong pour prendre ses distances avec l’héritage politique de son prédécesseur.

C’est particulièrement important, écrit-elle, dans un contexte où Xi Jinping s’apprête à entamer un troisième mandat sans précédent en tant que secrétaire général du PCC, mais fait encore face à une résistance considérable de la part de ses rivaux au sein du régime. « Alors que Xi cherche à se faire réélire l’année prochaine, il veut s’assurer que ses rivaux politiques ne lui mettent pas des bâtons dans les roues à l’approche du 20e Congrès national. »

En plus de Jiang Zemin lui-même, de nombreux dirigeants à la retraite, familièrement appelés « anciens chefs » en mandarin, qui ont servi avec ou sous ce dernier, sont toujours en liberté. Parmi eux figurent l’ancien vice-président Zeng Qinghong, l’ancien chef du Bureau 610 Luo Gan et plusieurs anciens membres du Comité permanent du Politburo que les analystes de la Chine considèrent comme des proches de Jiang Zemin.

Parmi les membres actuels de la faction de Jiang Zemin, on trouve Guo Shengkun, qui dirige actuellement le PLAC, et Zhou Qiang, président de la Cour populaire suprême.


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t.me/Epochtimesfrance

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