La politique de la ville ou l’échec patent de l’action publique

Par ROMAIN DELISLE
8 février 2023 11:32 Mis à jour: 8 février 2023 11:32

C’est en 2003, avec le vote de la loi Borloo d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, ainsi que l’adoption l’année suivante du plan de cohésion sociale, dit « plan Borloo », que le contenu des politiques publiques de la ville de ce début de siècle a pris la forme que nous lui connaissons actuellement.

Destinée principalement à régler le problème que constituent les quartiers sensibles, cette loi est basée sur une approche multidimensionnelle, intégrant la rénovation urbaine, l’emploi, l’éducation et la prévention de la délinquance. L’effort public s’est notamment traduit, s’agissant de la rénovation des bâtiments, par la mise en œuvre du programme national de rénovation urbaine (PNRU), doté de 45 Mds€ financés à hauteur de 12 Mds€ par l’ANRU (Agence nationale de rénovation urbaine). Le programme a permis la destruction de 155 000 logements sociaux vétustes pour en construire 135 000 neufs.

Bien que la politique de la ville ait, dès le départ, privilégié une approche contractualisée avec les collectivités locales via notamment les contrats de ville, le présent article se concentre uniquement sur les dépenses budgétaires assumées par l’État et non sur celles assurées par les différentes strates de collectivités territoriales. Et il entend prouver quoi ? Il faudrait peut-être le dire ici brièvement.

Un champ d’action protéiforme et coûteux

Au projet de loi de finances pour 2023, tel que recensé par le document de politique transversale annexé au budget (aussi appelés « oranges »), les coûts annuels de la politique de la ville atteignent 37 Mds€ dont seulement 592M€ intègrent la mission budgétaire « Politique de la ville ».

Avec l’achèvement des financements liés au PNRU devant s’opérer en 2022, les pouvoirs publics ont décidé du lancement d’un nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) couvrant la période 2014-2026, dont la subvention publique s’élève à 12 Mds€. Ce programme concentre son intervention sur 216 « quartiers d’intérêt national », vers lesquels seront fléchés 80% des fonds, et 250 « quartiers d’intérêt régional », qui recevront les 20% restants.

L’un des mérites du PNRU avait été de diminuer de 3,4 % le nombre de logements sociaux dans les territoires objets de son intervention, permettant de lutter contre la ghettoïsation (autre marronnier du débat public) via notamment la construction de 40 000 logements privés en remplacement des HLM détruits. Mais en 2018, le règlement général de l’ANRU a été modifié pour obliger à reconstruire un logement social là où un logement social aura été détruit, ce qui devrait mettre un point final à cette tendance.

Préférant se concentrer sur les chimères de la mixité sociale ou sur le développement de l’offre de l’habitat social, les indicateurs de performance déployés par Bercy font peu de cas du cadre de vie des 5,4 millions d’habitants des quartiers prioritaires de la ville (QPV), soit 8% de la population française, qui devraient, par conséquent, continuer à « voter avec leur pieds », lorsque l’évolution de leurs moyens matériels le leur permet.

S’agissant du pilier traitant de la prévention de la délinquance, le constat est pire encore. Sous le mandat de François Hollande, 82 ZPS (zones prioritaires de sécurité) avaient été créées, action poursuivie par Emmanuel Macron qui, de son côté, a mis en place 60 quartiers de reconquête républicaine (QRR). Il s’agit, de manière assez simple, d’accorder des renforts de police dans des zones reconnues comme sensibles. Ce procédé est-il réellement efficace ou contribue-t-il à déplacer l’insécurité ? Il est parfaitement impossible de répondre à cette question car tous les indicateurs de performance budgétaire en la matière ne sont pas renseignés. Le ministère de l’Intérieur, en ce qui le concerne, se base sur des enquêtes de satisfaction (qui ne satisferont, en revanche, pas du tout l’observateur avisé) et n’étudie pas la progression de l’insécurité dans les quartiers attenants.

En matière d’éducation également, l’étude de la performance des politiques publiques de la ville s’avère floue ou décevante. Certaines mesures mises en œuvre, comme les dispositifs d’aide au devoir ou de mentorat professionnel, ne sont pas à condamner mais sont diluées dans l’échec global de l’action de l’éducation nationale et la dramatique baisse de niveau des écoliers français. Ainsi, le brevet des collèges (réformé une énième fois en 2018), de l’aveu général, ne représente plus un diplôme suffisamment difficile pour sanctionner la progression de qui que ce soit.

En somme l’État se complait, quand il s’agit de l’évaluation de sa propre politique, dans le déploiement d’indicateurs de mise en œuvre des moyens, ce qui ne renseigne en rien sur son succès ou son insuccès, et permet de la reconduire systématiquement de manière incrémentale.

De l’absence d’effet manifeste des politiques de l’emploi dans les quartiers prioritaires de la ville

La politique active de l’emploi à destination des QPV, récemment étrillée par la Cour des comptes, intègre les mêmes dispositifs que la politique de l’emploi globale, dont nous avons déjà pu constater l’efficacité redoutable, mais avec des pans entiers réservés aux quartiers sensibles. Ainsi, le plan « un jeune une solution » a prescrit 38 000 parcours emplois compétences (PEC), c’est-à-dire 38 000 contrats aidés, à destination des jeunes des QPV et des ZRR (zones de revitalisation rurales), 27 000 emplois francs ont été mis en œuvre et 23 000 jeunes des banlieues ont signé un contrat d’engagement jeune (qui a remplacé la garantie jeune en 2022).

Pourtant, la longue litanie des chiffres et des données vient consacrer l’échec de ce raisonnement économique vicié qui consiste à payer les employeurs pour les inciter à embaucher : le taux de chômage dans les QPV demeure 2,6 fois supérieur à celui des agglomérations comprenant au moins un QPV ; 22,9 % des habitants des QPV vivent des prestations sociales contre 5,5 % en dehors ; 25 % de cette population perçoit le RSA contre 13% dans les agglomérations comprenant au moins un QPV.

Les contrats de ville couvrant la période 2014-2020 avaient, de même, pour objectif de réduire de moitié l’écart du taux d’emploi entre ces territoires et leur agglomération de référence et à ce titre, ils sont eux-aussi un échec patent. Pendant cette période, l’écart a augmenté de 21 à 21,3 points, le taux d’emploi dans les QPV s’établissant en 2021 à 43,8% contre 64,8 % en dehors.

L’absence d’effet significatif des politiques publiques de la ville, si l’on excepte peut-être quelques éléments de rénovation urbaine, doit conduire à mener une réflexion destinée à la réformer de fond en comble dans le sens de la parcimonie des moyens alloués et d’une moindre intervention de l’Etat.

Article écrit par Romain Delisle. Publié avec l’aimable autorisation de l’IREF.

L’IREF est un « think tank » libéral et européen fondé en 2002 par des membres de la société civile issus de milieux académiques et professionnels dans le but de développer la recherche indépendante sur des sujets économiques et fiscaux. L’institut est indépendant de tout parti ou organisation politique. Il refuse le financement public.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.