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Emmanuel Lincot : « Pour l’Empire du Milieu, la France compte de moins en moins »

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Photo: Crédit photo : Emmanuel Lincot

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Durée de lecture: 8 Min.

ENTRETIEN – En 2024, Paris et Pékin célébraient le 60e anniversaire de leurs relations diplomatiques. Un an après, les relations entre les deux pays ont été affectées par certains dossiers économiques touchant notamment à la filière française du cognac et à la viande bovine. À l’occasion du 10e dialogue économique et financier de haut niveau France-Chine qui s’est tenu le 15 mai à Paris, le vice-premier ministre chinois He Lifeng a déclaré que la Chine « espère que la France offrira un climat des affaires plus équitable, plus juste et plus prévisible ».
Emmanuel Lincot est sinologue, professeur à l’ICP et directeur de recherche à l’IRIS, co-responsable du Programme Asie-Pacifique. À tout point de vue, les relations entre Paris et Pékin ne sont pas bonnes, explique-t-il.
Epoch Times : Comment décririez-vous les relations commerciales franco-chinoises aujourd’hui ?
Emmanuel Lincot : Les relations commerciales franco-chinoises sont toujours asymétriques. Il n’y a rien de nouveau à ce sujet. C’est un état de fait depuis une dizaine d’années.
Elles sont marquées par un excédent commercial pour la Chine au détriment de la France, mais surtout par la politique très protectionniste de Pékin.
Vous avez, à juste titre, soulevé la problématique du cognac et de la viande bovine. Ces sujets peuvent paraître anecdotiques par rapport aux enjeux autour de l’High Tech dont la presse parle davantage, mais ils ont leur importance.
Le cognac représente en France environ 10.000 emplois. Ainsi, dans le contexte actuel de hausse des droits de douane par Donald Trump, et de mesures de rétorsion de Xi Jinping, il y a un risque majeur de pertes d’emplois.
À cela s’ajoute l’épineuse question des voitures électriques. L’Europe reproche à Pékin de subventionner ses constructeurs automobiles électriques. Par conséquent, le climat est assez délétère.
Cependant, j’observe un changement de ton de la part du gouvernement français. En avril 2023, Emmanuel Macron avait créé la polémique en affirmant que la France n’interviendrait pas en cas de conflit entre la Chine et Taïwan. Et il y a quelques jours, au Shangri-La Dialogue de Singapour, le président a clairement fait savoir que la Chine était dans une position agressive sur la question taïwanaise.
Et c’est réciproque. Pékin se montre aussi plus rude avec la France et l’Europe.
Souvenez-vous, l’an dernier, à l’occasion de l’anniversaire des 60 ans des relations franco-chinoises, le président chinois avait passé beaucoup plus de temps à Belgrade et à Budapest qu’à Paris.
C’était un avertissement très clair lancé aux Français, leur dire que maintenant, la Chine privilégie des partenaires davantage acquis à sa cause comme la Hongrie et la Serbie.
À tout points de vue, les relations entre Paris et Pékin ne sont pas bonnes.
Par ailleurs, la Chine profite de la faiblesse de la France sur le plan politique depuis la dissolution, mais aussi sur le plan de la politique étrangère. Avec ses multiples volte-face sur nombre de dossiers, Emmanuel Macron s’est décrédibilisé sur la scène internationale.
Pour l’Empire du Milieu, la France compte de moins en moins.
Sa priorité reste la relation potentiellement conflictuelle avec les États-Unis qu’il faut désamorcer, et puis l’Asie du Sud-Est, le nouvel axe pivot. Dans cette configuration globale, il n’y a pas beaucoup de place pour la France.
Vous avez parlé de relations asymétriques. Quelle est la stratégie de Pékin derrière ces pratiques commerciales plus que discutables ?
La stratégie de Pékin consiste à s’appuyer sur des partenaires privilégiés en Europe pour diviser les Européens.
En même temps, la Chine a toujours privilégié les forts contre les faibles. Et aujourd’hui, le fort, c’est l’Amérique. Ainsi, malgré les tensions, il faut traiter avec Donald Trump et éviter un conflit.
L’Europe ne se donne malheureusement pas les moyens de sa puissance, et la France encore moins, la Chine va donc chercher à casser le maillon faible.
Par ailleurs, Pékin ne s’intéresse qu’aux plus offrants. Et depuis des décennies, il est évident que l’Allemagne est bien plus intéressante que la France de ce point de vue. Quelque 43 % des exportations automobiles allemandes vont en Chine ; 16 % des exportations françaises sont destinées à l’Empire du Milieu. Tout est dit.
Lors du Sommet du G7 au Canada, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a dénoncé le « modèle de domination » chinois, de dépendance et de « chantage » à l’égard de ses partenaires commerciaux. L’Europe a donc pris conscience de la menace que représente la Chine d’un point de vue commercial ?
Cette prise de conscience avait émergé avant la crise sanitaire. En 2019, la Commission avait qualifié la Chine de « rival systémique ». Ursula von der Leyen est dans la continuité de ce propos. Maintenant, on sait que les Européens avancent en marche dispersée sur la question chinoise. C’est tout le problème.
En mai, les États-Unis et la Chine se sont accordés pour réduire fortement les droits de douane. Pékin s’est engagé à approvisionner Washington en terres rares. Comment voyez-vous cet apaisement dans les tensions commerciales entre les deux puissances ?
C’est un « deal ». Les deux puissances savent très bien qu’elles sont interdépendantes et qu’elles ne peuvent pas aller jusqu’au conflit.
Les Américains ont besoin des terres rares chinoises et inversement, les Chinois ont encore besoin du savoir-faire américain dans le domaine des microprocesseurs.
Les deux pays évolueront dans ce schéma jusqu’au jour où les Chinois remercieront leur partenaire américain et passeront inévitablement à autre chose.
Les moyens de pression de Pékin sont nombreux. N’oublions pas que la Chine s’est rapprochée de la Russie. D’ailleurs, d’un point de vue stratégique, l’évolution de la situation en Iran lui importe. Il reste à attendre la décision de Donald Trump sur une possible intervention militaire.
Quels sont les défis économiques à relever pour la Chine ?
Le Premier ministre Li Qiang a évoqué en mars viser 5 % de croissance pour 2025. Mais quand vous lisez la littérature spécialisée, vous vous rendez compte que c’est un vœu pieu.
Toutefois, la Chine demeure un pays attractif. Les Investissements Directs Étrangers (IDE) y sont toujours nombreux, y compris les investissements américains. Les États-Unis jouent un double jeu, notamment à l’encontre de leurs alliés européens en les incitant à quitter le marché chinois au nom du découplage économique.
Malgré les tensions stratégiques entre Pékin et Washington, il n’y a jamais eu d’échanges économiques aussi nombreux. C’est toute la contradiction des relations sino-américaines.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.