Lampedusa : la crise des migrants fait de nouveau trembler l’Europe

Par Etienne Fauchaire
15 septembre 2023 21:39 Mis à jour: 15 septembre 2023 21:39

« C’est l’apocalypse » : voilà comment le prêtre de l’île résume la situation actuelle sur l’ile de Lampedusa, connue pour être un des points d’entrée des migrants sur le continent européen. Depuis lundi, à bord d’environ 120 bateaux, plus de 10.000 migrants provenant de Tunisie et de Lybie ont débarqué sur cette terre italienne située en Méditerranée à moins de 150 km du littoral tunisien, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur italien. C’est plus que son nombre d’habitants, chiffré à 6300, pour une superficie de seulement 20 km2. Face à cet afflux brutal et intenable, le centre d’accueil pour demandeurs d’asile, d’une capacité de 400 places, est totalement submergé. L’état d’urgence a donc été décrété.

« Un point de non-retour »

Ce vendredi, les autorités italiennes ont commencé à transférer une partie des migrants vers la Sicile et les ports du continent européen. Dans la matinée, la Croix-Rouge italienne (CRI) a indiqué que 700 transferts avaient déjà été effectués et que 2500 autres personnes devraient quitter Lampedusa dans le courant de la journée. Pendant ce temps, les arrivées sur l’ile se poursuivent, a constaté un photographe de l’AFP.

Sur place, Filippo Mannino, maire de la petite île, dénonce le silence du gouvernement de Giorgia Meloni, élue sur sa promesse de mettre fin à l’immigration massive : « Nous avons atteint un point de non-retour et l’île est en crise », a-t-il alerté jeudi. Se disant en outre préoccupé « par le refus de pays comme la France et l’Allemagne d’accepter des quotas de migrants », il a par ailleurs appelé l’Europe et l’État italien à « intervenir immédiatement en lançant une opération de soutien et d’évacuation rapide ». Une bouteille à la mer.

L’Allemagne ferme ses portes

Mercredi, Berlin a en effet annoncé suspendre « jusqu’à nouvel ordre » l’accueil des demandeurs d’asile en provenance d’Italie prévu dans le cadre du « mécanisme volontaire de solidarité européen ». Cet accord, qui prévoit la répartition des migrants parmi les pays de l’Union européenne, le gouvernement allemand a décidé d’y déroger en raison de « la forte pression migratoire actuelle vers l’Allemagne » et « la suspension persistante des transferts de “Dublin” par certains États membres », dont Rome. Le même jour, Giorgia Meloni a assuré ne pas être surprise par cette décision.

« Le problème de la relocalisation est secondaire », a alors fait valoir la présidente du Conseil italien dans un entretien. « La question (…) est d’arrêter les arrivées en Italie. Je ne vois toujours pas de réponses concrètes. » Réitérant son appel à davantage d’aide de l’UE, elle souligne : « Nos sites d’accueil [des migrants] sont pleins. »

Pour tenter d’enrayer l’immigration illégale, Georgia Meloni, accompagnée de la présidente de la Commission européenne et du Premier ministre néerlandais, avait conclu en juillet un « partenariat stratégique » à Tunis avec le chef de l’État Kais Saied. En échange d’un versement d’une aide de 105 millions d’euros par l’UE, la Tunisie s’engageait à lutter contre les passeurs. Un échec : depuis la signature de cet accord, le nombre d’arrivées en provenance du pays maghrébin a explosé de 386 %. Et aujourd’hui, le chaos règne sur le territoire italien de Lampedusa.

Trahison ?

À la peine pour endiguer l’immigration clandestine, l’exécutif transalpin, depuis plusieurs mois, se trouve sous le feu des critiques. « Trahison ! », peut-on régulièrement lire sur les réseaux sociaux. Cette année, les arrivées irrégulières ont bondi : près de 126.000 entrées depuis janvier, contre 65.500 au cours de la même période en 2022, d’après les données du gouvernement. Sur le volet de l’immigration légale, la déclaration du ministre de l’Agriculture italien, Francesco Lollobrigida, ne passe toujours pas non plus : « Nous ne sommes pas contre l’immigration », à tel point que « cette année seulement, nous allons travailler pour faire venir environ 500.000 immigrés légaux », avait-il affirmé en février dernier.

Ce jeudi, l’éditorialiste Matthieu Bock-Côté est revenu sur ces accusations de trahison proférées à l’encontre de la cheffe du gouvernement au cours de l’émission Face à l’info sur CNews : « On a beaucoup accusé Mme Meloni en disant “elle a trahi son programme“. Mais pourquoi ne peut-elle pas appliquer son discours ? Parce que la technostructure européenne l’empêche d’appliquer son programme et dit : “On va vous casser, vous mater, vous empêcher de gouverner. Si vous appliquez votre programme, on va vous condamner à la sécheresse financière“ ». « Vous êtes en train de dire à tous ceux qui espèrent un chef de gouvernement de droite comme Giorgia Meloni qu’il n’y a aucun espoir ? », l’interroge alors Christine Kelly. Le sociologue de lui répondre : « Cet espoir ne peut s’accompagner qu’en affrontant les institutions de la technostructure européenne. Dans les paramètres actuels, je dirais que Mme von der Leyen est plus forte que Mme Meloni. » Celui-ci se propose d’ailleurs de donner « une définition institutionnelle » de l’Union européenne : « C’est le continent qui ne chasse pas ceux qui y entrent de force et c’est le continent qui réprime ses peuples qui voudraient se défendre. Donc il y a une puissance coercitive européenne. Elle n’est pas utilisée pour défendre les frontières, mais pour attaquer ceux qui voudraient défendre les frontières. »

Soulignant que le sujet de l’immigration constitue un puissant facteur de tensions et de divisions entre nations européennes, M. Bock-Côté estime qu’il va « falloir probablement dénoncer les traités internationaux qui nous rendent impuissants, incapables d’agir ».

« Ce que nous voyons là n’est que le début de la crise migratoire »

En déplacement à Lampedusa « pour se rendre compte de cette situation catastrophique et apporter son soutien à l’Italie », Marion Maréchal, vice-présidente de Reconquête et tête de liste du parti aux prochaines élections européennes, a dénoncé ce vendredi matin sur CNews « la politique laxiste de l’UE qui ne veut pas utiliser l’agence Frontex comme une véritable agence de protection des frontières », mais aussi « la politique laxiste d’un certain nombre de pays membres, dont la France qui, par les choix qu’elle fait sur la politique sociale, sur la politique du droit du sol, du regroupement familial, d’accès à la nationalité, met évidemment en place des appels d’air, des incitations à venir ».

Rappelant que l’Italie n’est pas « un pays de destination finale, mais un pays de transit », la femme politique a estimé que ses frontières sont celles de l’Europe entière et de la France : « Les personnes que vous voyez ici aujourd’hui seront vraisemblablement dans une semaine, dans un mois à Nice et dans d’autres pays ». Et d’alerter : « Ce que nous voyons là n’est que le début de la crise migratoire à laquelle nous allons assister dans les décennies à venir. Je rappelle que nous sommes aujourd’hui 500 millions d’Européens dans l’UE. Les Africains sont plus d’un milliard et ils seront plus de deux milliards en 2050 ».

De son côté, le président du Rassemblement national Jordan Bardella a estimé qu’Emmanuel Macron devait « prendre solennellement cet engagement » de ne pas « accueillir un seul migrant issu de l’opération concertée de Lampedusa », tandis que le patron des Républicains Eric Ciotti a, lui, demandé au président de la République « d’engager des moyens civiles et militaires sans précédents pour protéger nos frontières », martelant que « demain, ils seront aux portes de France ».

Macron et la gauche prônent la solidarité

En marge d’un déplacement dans le département de Côte d’Or, le chef de l’État français a répondu à la droite en arguant « que les approches strictement nationalistes ont leurs limites », invoquant le « devoir de solidarité européenne » et indiquant par ailleurs que la France agirait « avec rigueur et humanité » envers ces migrants : « « On peut prévenir ces migrations mais il faut d’abord prendre soin d’eux ». De son côté, Gérald Darmanin a annoncé en fin d’après-midi sur X avoir « échangé longuement avec mon homologue italien, Matteo Piantedos » et « convenu d’agir ensemble auprès de l’Union européenne dans les heures qui viennent pour renforcer fortement la prévention des départs de migrants et la lutte contre les passeurs ».

À gauche, l’eurodéputé Raphaël Glucksmann (Place publique) a appelé la France à « porter une solution européenne » pour que des « mécanismes de solidarité » permettent de soulager l’Italie de l’afflux de migrants. « Si à chaque fois qu’il y a une pression, on commence à se désolidariser entre pays européens, ce qu’on va faire, c’est l’implosion de l’Union européenne », a estimé sur France Inter le candidat à sa réélection en juin 2024. Pour sa part, la députée européenne Manon Aubry (LFI), voyant derrière cet afflux de migrants une « crise humanitaire » qui « démontre une nouvelle fois l’inefficacité et l’inhumanité de la politique d’Europe forteresse », a soutenu « l’organisation d’un accueil coordonné des exilés au niveau européen ».

Réseaux de passeurs

Alors que la crise migratoire fait de nouveau la Une des médias, se pose désormais la question des responsables derrière ce déferlement massif de migrants sur Lampedusa. D’après TF1, les suspicions se portent sur Hassan, l’un des passeurs les plus puissants de Sfax, en Tunisie, située à 180 km de l’île italienne. Dans une interview au quotidien italien La Repubblica, l’homme expliquait en juin dernier avoir bâti un réseau complet de « coordinateurs » chargés notamment de contacter des « clients », des passeurs, mais aussi des créanciers qui investissent dans son trafic, des garde-côtes corrompus qui « acceptent des pots-de-vin », des ouvriers qui fabriquent les bateaux destinés aux traversées « en à peine cinq, six jours ». De ce trafic, Hassan réalise 40.000 à 70.000 euros par traversée, se gargarise-t-il.

Pour autant, Damien Rieu, une autre figure de Reconquête présente sur l’île, explique dans une vidéo sur X que certains clandestins lui ont confié avoir pu gagner le territoire européen sans payer leur trajet, l’amenant à s’interroger également sur les possibles actions d’une puissance étrangère « pour déstabiliser l’Europe ».

Des interrogations d’ailleurs partagées par Mathieu Bock-Côté sur CNews : « Il y a un autre facteur qu’il va falloir nommer : manifestement, il y a des forces capables d’organiser un tel débarquement. Est-ce qu’il y a des États étrangers qui décident de participer à ça ? Est-ce qu’il y a des forces politiques organisées qui décident de le faire ailleurs », après avoir rappelé que plusieurs « forces participent à l’arrivée de ces migrants » : « les passeurs, les associations humanitaires comme SOS Méditerranée, les partis de gauche, d’extrême centre et d’extrême gauche qui disent, on le voyait à la Une de Libé, “Nous voulons naturaliser les sans-papiers et leur donner des papiers“ ».

« Je veux venir en France ! Il y a l’aide sociale ! »

Le média Livre Noir s’est également rendu sur l’ile de Lampedusa pour couvrir la situation sur place et recueillir les témoignages des migrants qui s’y trouvent. « Le motif économique et familial est, en grande majorité, avancé par les migrants interrogés. La presque totalité d’entre eux sont des hommes qui ne fuient aucune guerre », rapporte-t-il, précisant que « beaucoup de migrants ont pour projet de faire venir leur famille en Europe ».

La vidéo d’un des témoignages de ces clandestins publiés sur X par le directeur de la rédaction Erik Tegner est devenue virale : « Je veux venir en France ! En France, il y a l’aide sociale ! Je le sais car on en parle partout à la télévision ! », explique l’homme face caméra.

Interrogé sur CNews, le journaliste confirme à l’antenne que « la majeure partie voire 100% des personnes interrogées disent venir en Europe pour mieux gagner leur vie et pour les aides sociales », soulignant par ailleurs qu’ils sont plusieurs à lui avoir confié leur décision de quitter la Tunisie après avoir été victime de racisme dans ce pays du Maghreb : « Beaucoup de migrants ont fui la Tunisie et expliquent que les Tunisiens et les pays du Maghreb sont racistes. »

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.