L’ancien chef économiste du FMI estime que la monnaie chinoise est surévaluée.
« Si la Chine ouvrait davantage ses marchés de capitaux, il y aurait en réalité une pression à la baisse sur le taux de change », a déclaré l’économiste Kenneth Rogoff.
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Le siège de la Banque populaire de Chine à Pékin, le 13 décembre 2021.
Alors que de nombreux économistes critiquent la suppression à long terme du taux de change du RMB par la Chine et réclament une nouvelle appréciation, l’ancien économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI) Kenneth Rogoff se démarque en affirmant que le RMB est surévalué.
« Si la Chine autorisait ses citoyens à investir librement à l’étranger, la monnaie baisserait nettement. De ce point de vue, elle reste donc surévaluée », a déclaré M. Rogoff à Epoch Times.
Professeur de chaire en économie internationale à l’université Harvard, M. Rogoff a été chef économiste du FMI de 2001 à 2003. Il est membre élu de la National Academy of Sciences et de l’American Academy of Arts and Sciences, et figure régulièrement parmi les économistes les plus cités.
L’affirmation de M. Rogoff diverge nettement des positions de nombreux autres économistes.
Ces derniers temps, alors que les exportations massives de la Chine ont pesé sur l’industrie et la croissance économique aux États‑Unis et en Europe, un nombre croissant d’économistes et de responsables occidentaux exhortent Pékin à revaloriser le yuan.
Ainsi, Brad Setser, chercheur principal au Council on Foreign Relations, et Mark Sobel, ancien responsable du Trésor américain et actuel président de l’Official Monetary and Financial Institutions Forum (OMFIF), ont écrit dans une tribune que « le renminbi est fortement sous‑évalué » et qu’« il est grand temps que les autorités favorisent une forte appréciation face au dollar ».
Juergen Matthes, économiste à l’Institut allemand de recherche économique, a souligné dans un rapport publié le 23 juillet que la sous‑évaluation « injuste » du yuan face à l’euro constitue une cause majeure du déficit commercial de l’Europe vis‑à‑vis de la Chine.
Brad Setser et Mark Sobel se réfèrent au rapport sur le secteur extérieur du FMI publié cet été, qui indique que l’excédent courant de la Chine, corrigé des effets cycliques, s’élevait en 2024 à 2 % du PIB, soit 1,2 point de pourcentage au‑dessus de son niveau jugé normal. Sur cette base, le FMI estime que le RMB est sous‑évalué de 8,5 %.
Un autre rapport du FMI présente une évaluation encore plus marquée. Dans ses Perspectives de l’économie mondiale d’octobre, l’institution a révisé à la hausse l’excédent courant de la Chine pour 2025, à 3,3 % du PIB. En appliquant le coefficient d’élasticité du FMI et en supposant que cette projection soit globalement cohérente avec l’excédent corrigé des effets cycliques, cela signifie que le RMB serait sous‑évalué d’environ 18 %.
Un billet de 100 RMB dans une agence de l’Industrial and Commercial Bank of China, dans la zone pilote de libre‑échange de Chine (Shanghai), lors d’un voyage de presse le 24 septembre 2014. (Johannes Eisele/AFP via Getty Images)
Cependant, M. Rogoff affirme que la méthode du FMI pour évaluer la valeur d’une monnaie est inexacte, car elle ne procède pas à des comparaisons historiques longitudinales des excédents commerciaux.
« Il est certain que la Chine enregistre un important excédent de compte courant, un excédent commercial. Aujourd’hui, il représente environ 3 % du PIB chinois. (…) En 2010, il s’élevait à 10 % du PIB chinois. Mais l’économie chinoise a énormément grandi au cours des quinze dernières années par rapport au reste du monde. En proportion du PIB mondial, l’excédent chinois est donc en réalité aussi important aujourd’hui qu’en 2010, de façon paradoxale. (…) Je pense qu’il est un peu superficiel de conclure simplement, à partir de ce constat, que la monnaie est fortement sous‑évaluée. »
M. Rogoff illustre son propos par un exemple montrant qu’il est inexact de juger la valeur d’une monnaie sur le seul critère de l’excédent commercial.
« L’Europe dégage un excédent massif. L’excédent européen est supérieur à celui de la Chine, et personne ne se plaint que la monnaie européenne soit sous‑évaluée. Il y a toujours des voix pour affirmer que [le yuan] est sous‑évalué, mais je ne suis pas certain d’être d’accord. Tout dépend de l’indicateur et des facteurs que l’on retient. »
M. Rogoff souligne en outre que, sous certains angles, le RMB est en réalité surévalué.
« Si la Chine ouvrait davantage ses marchés de capitaux, il y aurait en fait une pression à la baisse sur le taux de change. C’est ce qui s’est passé en 2015, quand les capitaux fuyaient la Chine et que la Chine a dû durcir ses contrôles de capitaux. »
Le 11 août 2015, la Banque populaire de Chine (PBOC) a annoncé une modification du mécanisme de taux de change du RMB, permettant aux forces du marché de jouer un rôle accru, ce qui a entraîné une dépréciation brutale et ponctuelle du RMB de près de 2 %.
Ce mouvement inattendu a brisé l’anticipation, largement partagée sur les marchés, d’un RMB stable ou appelé à continuer de s’apprécier, déclenchant une panique généralisée parmi les ménages et les investisseurs chinois. Pour protéger leur épargne, les ménages et les entreprises ont massivement tenté de transférer des capitaux à l’étranger, accélérant une tendance déjà engagée à la fuite des capitaux.
Selon l’Institute of International Finance, près de 700 milliards de dollars de capitaux ont quitté la Chine cette année‑là.
Cette sortie massive de capitaux, matérialisée par des ventes de RMB contre des devises étrangères, a exercé une énorme pression à la baisse sur le taux de change du renminbi sur le marché des changes.
Pour stabiliser le taux de change et éviter une crise à part entière, la PBOC a procédé à des ventes massives de réserves de change, qui ont chuté de 513 milliards de dollars en 2015, un record.
Dix ans plus tard, une nouvelle vague de fuite des capitaux semble se profiler.
Les données de l’Administration d’État des changes montrent qu’en juillet de cette année, les banques domestiques ont, pour le compte de leurs clients, transféré un montant net de 58,3 milliards de dollars à l’étranger pour des investissements en valeurs mobilières, soit le plus fort flux sortant mensuel depuis le début des statistiques en 2010.
Un piéton passe devant un panneau d’affichage montrant les symboles des devises chinoise (en haut au c.), hongkongaise (à dr.) et américaine sur un immeuble de Hong Kong, le 21 mars 2009. (Ted Aljibe/AFP via Getty Images)
Au cours des deux dernières années, la Chine a connu une fuite des capitaux record, les investisseurs étrangers se retirant à un rythme inédit depuis des décennies. L’atonie de l’économie chinoise – marché immobilier déprimé, demande intérieure faible, déflation et poursuite de la guerre commerciale avec les États‑Unis – a réduit son attractivité.
En outre, la sévérité de la réglementation, l’interventionnisme de l’État et les politiques d’accès au marché dans des secteurs clés suscitent de vives inquiétudes chez les investisseurs étrangers.
Une nouvelle vague de fuite des capitaux entraînerait une nouvelle dépréciation du RMB, un scénario que la Chine ne souhaite pas voir se réaliser, alors qu’elle recourt à divers moyens pour concrétiser son ambition de faire du renminbi une monnaie de réserve internationale.
Pékin encourage ses partenaires commerciaux à régler leurs échanges bilatéraux en renminbis, en contournant totalement le dollar américain. Ainsi, depuis septembre 2025, tous les échanges commerciaux entre les pays africains et la Chine sont réglés en renminbis.
La Chine a également développé le système de paiement interbancaire transfrontalier (Cross‑border Interbank Payment System) comme alternative au réseau SWIFT, contrôlé par l’Occident, afin de faciliter les transactions en renminbis en dehors des circuits traditionnels.
Malgré les efforts déployés par la Chine pour promouvoir l’internationalisation du renminbi, une décision récente a contrarié ces ambitions.
Le 4 décembre 2025, la Chine a fixé son taux de change de référence quotidien du renminbi à un niveau bien inférieur aux anticipations des analystes. La Banque populaire de Chine a établi le taux de parité central du renminbi face au dollar à 7,0733 yuans, soit 164 points de base en‑deçà de la prévision moyenne des opérateurs et des analystes.
Cet écart entre le taux de parité central et les anticipations est le plus large depuis février 2022. Bloomberg y voit le signe de la volonté de la banque centrale de freiner l’appréciation du renminbi.
Bloomberg cite en outre un opérateur anonyme selon lequel des banques publiques ont, ces dernières semaines, acheté régulièrement des dollars afin de ralentir l’appréciation du renminbi.
Pourquoi la Chine prend‑elle une mesure qui va à l’encontre de son objectif d’internationaliser le renminbi ? M. Rogoff estime que c’est parce que la Chine fait face à des impératifs plus pressants.
« L’économie chinoise est dans ce que nous appelons une récession de croissance. La croissance a énormément ralenti. Le chômage est très élevé, particulièrement chez les jeunes. La demande intérieure est très faible. Je pense qu’il existe probablement une grande marge pour faire beaucoup, beaucoup plus afin de stimuler la demande intérieure, mais la stratégie de la Chine a été d’exporter ses problèmes, et maintenir une monnaie faible, dans la mesure où elle le fait, est très utile », explique M. Rogoff.
« Oui, la Chine veut devenir une monnaie plus internationale et prend de nombreuses mesures en ce sens. Mais le président Xi doit gérer l’urgence. Le problème, c’est le très fort chômage des jeunes, la montée plus générale du chômage, et les énormes séquelles laissées par la surconstruction dans l’immobilier et les infrastructures », poursuit M. Rogoff.
En 2023, le taux de chômage des 16‑24 ans en Chine (hors étudiants) a dépassé 21 %, poussant le gouvernement à cesser de publier des données mensuelles avant de les réviser. Même ainsi, le taux de chômage des jeunes atteignait encore 18,9 % en août 2025.
Des décennies de croissance tirée par l’investissement ont entraîné une accumulation massive de dettes chez les promoteurs immobiliers, entraînant des défauts de paiement de sociétés comme Evergrande et Country Garden, ce qui a gravement affecté le patrimoine des ménages et la confiance des consommateurs.
Les autorités locales ont financé de vastes projets d’infrastructures par un endettement hors bilan, créant un fardeau de dette de plusieurs milliers de milliards de dollars.
« Aujourd’hui, même si l’objectif de long terme est bien sûr de faire du yuan une monnaie internationale, la priorité à court terme est de stabiliser l’économie, et cet objectif l’emporte », conclut M. Rogoff.