Un pouvoir fragmenté à Téhéran

Par Fariba Parsa
14 juin 2025 17:29 Mis à jour: 15 juin 2025 19:33

La République islamique d’Iran cultive depuis longtemps l’image d’un régime idéologiquement unifié et stable. Pourtant, sous cette façade soignée se cache une structure de pouvoir fragile et fragmentée, de plus en plus marquée par des luttes intestines, un déclin de la légitimité et un fossé grandissant avec le peuple iranien. Selon le Dr Mehdi Motaharnia, éminent politologue et futurologue à l’Université de Téhéran, la République islamique est entrée dans une phase critique d’érosion systémique, qui rappelle, par certains aspects, les dernières années de l’Union soviétique.

Ce désarroi interne n’est pas seulement une préoccupation intérieure. L’effilochage de l’appareil du régime iranien a des implications importantes pour la sécurité régionale, les objectifs mondiaux de non-prolifération et la lutte à long terme pour la démocratie au Moyen-Orient. Un examen attentif des rivalités entre les principaux centres de pouvoir iraniens révèle un régime en guerre contre lui-même.

Centres de pouvoir concurrents : un système sous tension

M. Motaharnia identifie quatre factions dominantes au sein de la structure gouvernementale iranienne :

1. Le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI)

2. Le bureau du Guide suprême (Beyt-e Rahbari)

3. Les agences de renseignement et de sécurité (y compris le ministère du Renseignement et l’organisation du renseignement du CGRI)

4. L’establishment clérical chiite traditionnel

Loin de fonctionner en harmonie, ces institutions sont de plus en plus engagées dans des luttes à somme nulle pour l’influence, la légitimité et l’accès aux derniers bénéfices économiques du régime.

Le CGRI contre le clergé traditionnel : le militarisme supplante la théologie

Créé à l’origine pour protéger la Révolution islamique de 1979, le CGRI s’est depuis métastasé en un empire sécuritaire transnational, contrôlant de vastes pans de l’économie, des médias et de la politique étrangère iranienne. Sa domination croissante s’est faite aux dépens de la classe cléricale chiite traditionnelle basée à Qom, dont l’autorité repose sur la jurisprudence religieuse plutôt que sur la force armée.

« L’ascension du CGRI marque le remplacement de l’autorité jurisprudentielle par une logique militaire et sécuritaire », prévient M. Motaharnia. Cette militarisation de la gouvernance a aliéné une partie importante de l’establishment religieux iranien, qui considère de plus en plus le régime comme moralement défaillant et théologiquement illégitime.

Le CGRI contre les institutions de renseignement : une rivalité d’ombres

Une autre ligne de fracture majeure sépare l’Organisation du renseignement du CGRI et le ministère du Renseignement (VEVAK : Ministère du Renseignement de la république islamique d’Iran). Bien que tous deux soient chargés de préserver le régime, leur rivalité en matière de surveillance, de domination narrative et de répression de la dissidence a créé ce que M. Motaharnia décrit comme un « État sécuritaire parallèle ». Chacun surveille non seulement la population, mais aussi les autres, favorisant un climat de suspicion mutuelle et de paralysie administrative.

Bureau du Guide suprême : le pouvoir absolu engendre l’isolement

Le Bureau du Guide suprême, ou Beyt-e Rahbari, demeure le centre de commandement du régime. Mais son insularité croissante – reposant sur un cercle restreint de conseillers loyalistes – a suscité des frictions avec le CGRI et les services de renseignement, qui aspirent à une plus grande autonomie et à un rôle plus important dans l’élaboration des politiques. Cette centralisation croissante a également marginalisé davantage les voix civiles et religieuses, aggravant ainsi l’aliénation interne au sein de la base de soutien originelle du régime.

Le clergé contre la République islamique : une crise de la foi

Le signe le plus révélateur du déclin interne est peut-être la désillusion visible parmi les hauts dignitaires chiites. De Qom à Najaf, d’éminents théologiens ont condamné la corruption systémique du régime, sa répression et ses écarts par rapport à l’éthique islamique. « La République islamique ne représente plus les aspirations du clergé traditionnel. Ses racines idéologiques s’assèchent », affirme M. Motaharnia. Ce désaveu théologique sape la prétention du régime à la légitimité divine, pierre angulaire de son pouvoir.

Un effondrement systémique à l’horizon ?

Les contradictions internes de l’Iran – exacerbées par des sanctions économiques dévastatrices, une catastrophe environnementale, le désenchantement de la jeunesse, des manifestations de masse et un isolement mondial – suggèrent une convergence de crises étrangement similaires à celles qui ont précipité l’effondrement de l’Union soviétique. Cependant, la situation de l’Iran pourrait être encore plus grave. Alors que l’URSS disposait d’une bureaucratie technocratique capable de réformes, le pouvoir iranien est idéologiquement rigide, socialement répressif et de plus en plus dépendant de la coercition plutôt que du consentement.

Le régime est confronté à des crises multiformes :

• Une génération de jeunes anti-islamistes enhardie rejetant le régime théocratique.

• Grèves ouvrières nationales et mécontentement économique alimentés par l’hyperinflation et les pénuries.

• Une urgence environnementale, notamment la pénurie d’eau et la pollution de l’air, aggravée par la mauvaise gestion du régime.

• La réaction contre les lois sur le hijab obligatoire s’intensifie, les femmes menant une révolte populaire pour la dignité et la liberté.

• Une politique étrangère définie par la confrontation, depuis son escalade nucléaire jusqu’aux conflits par procuration au Liban, en Irak, en Syrie et au Yémen.

L’Iran n’est pas une puissance stable, c’est un régime fragile et expansionniste dont l’implosion pourrait créer à la fois des dangers et des opportunités.

Les décideurs politiques américains et alliés devraient privilégier l’analyse stratégique et la planification d’urgence pour divers scénarios post-République islamique, notamment les transitions potentielles provoquées par un effondrement interne, un soulèvement populaire ou une fragmentation des élites. La République islamique d’Iran n’est pas sur une trajectoire stable. Ses luttes de pouvoir internes, sa perte de légitimité et son aliénation envers son peuple laissent présager un régime en déclin terminal. Alors que le peuple iranien poursuit sa quête de liberté et d’autodétermination, la communauté internationale doit se tenir prête, non seulement à faire pression sur un régime en voie d’effondrement, mais aussi à donner les moyens à ceux qui construisent un avenir démocratique.

De RealClearWire

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.