Procès de l’ex-chirurgien pédocriminel : « aucune » prise de position politique, un silence « quasi complet »

Lors d’un rassemblement de soutien aux victimes de l’ancien chirurgien Joël Le Scouarnec, devant le tribunal de Vannes le 19 mai 2025.
Photo: DAMIEN MEYER/AFP via Getty Images
Près de trois mois après son début, le procès de l’ex-chirurgien pédocriminel Joël Le Scouarnec, accusé de viols ou agressions sexuelles sur 299 patients, n’a suscité « aucune » prise de position politique, provoquant l’effarement des victimes, qui regrettent cette absence de prise de conscience collective.
Il s’agit pourtant de l’une des plus grandes affaires de pédocriminalité jamais jugées : Joël Le Scouarnec, 74 ans, comparaît depuis le 24 février à Vannes (ouest) pour 111 viols et 189 agressions sexuelles commis sur des patients entre 1989 et 2014 dans une douzaine d’hôpitaux.
La plupart des victimes étaient mineures au moment des faits, 256 avaient moins de 15 ans, et elles étaient souvent endormies ou en phase de réveil.
Lundi matin, une vingtaine de victimes et leurs proches, réunis au sein d’un collectif, ont manifesté devant le tribunal contre le « silence du monde politique ». Ils ont exigé « une commission interministérielle » pour « tirer les leçons » de l’affaire Le Scouarnec et éviter que de tels faits puissent se reproduire.
Le « silence » du gouvernement
Présente, la députée centriste Sandrine Josso a regretté auprès de l’AFP que le « silence » du gouvernement « provoque une victimisation secondaire » des parties civiles.
« Nous sommes effarés de constater que ce ‘procès du siècle’ ne fait pas date auprès du gouvernement et, plus largement, du grand public », a regretté le collectif. « On essaie de faire de lui un monstre, mais ce monstre, c’est la société qui l’a créé et qui l’a laissé perdurer », tempête Manon Lemoine, une des victimes.
Pour que la société « ne détourne pas le regard », les victimes « ont fait tout leur possible », souligne la jeune femme de 36 ans, que l’accusé a reconnu avoir violée lorsqu’elle en avait 11. Nombre d’entre elles ont ainsi levé le huis clos de leurs audiences. D’autres ont politisé leur prise de parole, prenant à partie l’avocat général ou la cour, comme Nicolas Gourlet, 31 ans, qui a exigé lors de sa déposition fin avril que « les choses bougent et qu’on n’ait pas un ‘Le Scouarnec bis’ dans la nature ».

un rassemblement de soutien aux victimes de l’ancien chirurgien Joël Le Scouarnec, devant le tribunal de Vannes, le 19 mai 2025. (DAMIEN MEYER/AFP via Getty Images)
Et de plus en plus de victimes parlent à visage découvert dans les médias « pour que la honte change de camp » et « aider les gens à s’identifier » à elles. Comme Manon, qui rêve encore d’« un sursaut du monde politique » à huit jours du verdict.
Si « le procès de Joël Le Scouarnec, c’est le procès de la responsabilité de Joël Le Scouarnec », Me Frédéric Benoist, avocat de l’association La Voix de l’Enfant, aimerait néanmoins que ce procès « alerte le gouvernement », pour qu’enfin, « il y ait une vraie politique de protection de l’enfance en matière de pédophilie ».
« Une occasion en or » ratée pour « rouvrir le débat sur la lutte contre la pédocriminalité »
Il rappelle ainsi « le très faible budget » du seul dispositif d’aide destiné aux pédophiles, dénommé STOP. « Pour l’instant on est loin de la prise de conscience sociétale espérée », souligne-t-il.
Même constat pour Solène Podevin-Favre, codirectrice de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise): « il n’y a pas eu de mobilisation de la société ni du monde politique alors que tous les éléments étaient là. »

Ce croquis d’audience réalisé le 24 février 2025 montre le chirurgien à la retraite Joël Le Scouarnec (au c.) à côté de son avocat Maxime Tessier (à g.) lors d’une audience le jour de l’ouverture de son procès. (BENOIT PEYRUCQ/AFP via Getty Images)
Joël Le Scouarnec « a tout avoué et ne remet pas en cause la parole des victimes : pour un procès de pédocriminalité, c’est atypique », souligne-t-elle auprès de l’AFP. Cela aurait pu être « une occasion en or » pour « rouvrir le débat sur la lutte contre la pédocriminalité », estime-t-elle. Mais pour Mme Podevin-Favre, « si le monde politique s’est emparé de Bétharram », une affaire de violences physiques et sexuelles dans un établissement scolaire qui a éclaboussé le Premier ministre François Bayrou, « le silence est quasi complet sur Le Scouarnec ».
Face à l’« apathie politique », la co-directrice de la Ciivise néanmoins tente de voir les avancées. Comme en mars, avec « l’avis favorable du gouvernement concernant un meilleur contrôle du Fijais », le fichier recensant les auteurs d’infractions sexuelles ou violentes.
« L’importance des lanceurs d’alerte »
Le procès a aussi permis de souligner « l’importance des lanceurs d’alerte » pour dénoncer des pédocriminels, estime Gabriel Trouvé, 34 ans, une des victimes de Joël Le Scouarnec, en évoquant le rôle du psychiatre Thierry Bonvalot.
Ce dernier avait dénoncé dès 2006 – en vain – le comportement suspect de Joël Le Scouarnec dont il était alors le collègue à Quimperlé (ouest).

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