Sayragul Sauytbay veut « faire entendre la voix des détenus des camps chinois »

25 mai 2021 INTERNATIONAL

Il lui est pénible de revivre les atrocités auxquelles elle dit avoir assisté mais Sayragul Sauytbay s’est fait un devoir de témoigner du sort des Ouïghours, Kazakhs et membres d’autres minorités ethniques « détenus dans des camps » en Chine.

« Je veux faire entendre la voix des prisonniers des camps chinois », explique à l’AFP cette citoyenne chinoise d’ethnie kazakhe, lors d’un passage à Paris pour la sortie en français de son livre « Condamnée à l’exil », écrit avec la journaliste allemande Alexandra Cavelius.

Sayragul Sauytbay (parfois transcrit Saïragoul Saouïtbaï en français), réfugiée en Suède depuis deux ans, avait été une des premières à dévoiler l’existence de camps au Xinjiang (Nord-Ouest de la Chine), en 2018, du Kazakhstan où elle avait réussi à fuir. Elle y avait mené un combat judiciaire très médiatisé, pour ne pas être extradée vers le puissant voisin chinois, appuyée par une forte mobilisation populaire et d’ONG.

Qualifiées de mensonges en Chine

Ses dénonciations, ont été qualifiées de mensonges en Chine où des responsables officiels et des médias affirment que Mme Sauytbay a en fait quitté le pays après s’être rendue coupable de fraudes.

Née dans une yourte, dans une famille alors semi-nomade, cette mère de deux enfants, âgée de 44 ans, livre un terrible récit sur les discriminations visant « toutes les ethnies minoritaires », la sinisation de sa région natale, la bétonisation des pâturages et la dégradation de l’environnement, puis les années de répression, jusqu’à l’internement massif de la population locale, majoritairement musulmane, dénoncé par des experts et des ONG mais nié par Pékin.

Les autorités chinoises affirment avoir mis sur pied des centres de « formation professionnelle » pour éduquer les minorités ethniques et prévenir ainsi leur radicalisation après des attentats qu’elles attribuent à des Ouïghours, principale minorité de cette région, majoritairement musulmane et de langue turcique.

Continuer son métier d’enseignante

Mme Sauytbay affirme être passée par un de ces camps, emmenée en pleine nuit en novembre 2017, un sac sur la tête, dans un endroit inconnu où, selon ses évaluations, au moins 2.500 personnes étaient incarcérées.

Cette femme qui parle chinois, kazakh et ouighour, y est chargée de continuer son métier d’enseignante, c’est-à-dire en fait de faire apprendre les décisions du congrès du parti communiste et les us et coutumes (mariages, enterrements…) « des Chinois », les Han, l’ethnie majoritaire, à des détenus par ailleurs contraints de scander des slogans à la gloire du parti communiste chinois et du président Xi Jinping.

Sayragul Sautbay aujourd’hui encore se sent « coupable et impuissante » ; elle évoque avec émotion les violences et même les « tortures dans les chambres noires » qu’elle devra subir elle-même, affirme-t-elle.

Elle décrit « les chaînes au mur », les chaises électrique ou « à l’assise jonchée de clous, pointes vers le haut », les dispositifs à électrochoc, matraques, tenailles… De ces « chambres noires » s’échappent des cris, « de ceux qui nous hantent jusqu’à la fin de nos jours ».

Assister au viol collectif d’une jeune femme

Le plus « traumatisant »?  « Ca a été de devoir assister au viol collectif d’une jeune femme, de 20 ou 21 ans, devant une assemblée de prisonniers », répond-elle. Les réactions sont épiées. Ceux qui détournent le regard sont emmenés par les gardes. « Aucun n’est jamais revenu », écrit-elle.

Puis, pour une raison qu’elle ne s’explique toujours pas, elle est brusquement ramenée chez elle en mars 2018, sommée de taire ce qu’elle a vu.

-Sayragul Sauytbay, du Kazakhstan, lauréate du prix International Women of Courage pose avec le secrétaire d’État américain Mike Pompeo et la première dame Melania Trump au département d’État de Washington, DC, le 4 mars 2020. Photo de MANDEL NGAN / AFP via Getty Images.

S’est faite militante et plaide

Elle a toujours le droit d’enseigner mais doit démissionner de ses anciennes fonctions de directrice et sent très vite la pression s’exercer sur elle, femme non divorcée d’un exilé. Son époux et ses enfants ont en effet réussi à rejoindre le Kazakhstan dès 2016, sentant l’étau se resserrer. Elle avait été obligée de rester: en tant que fonctionnaire, son passeport lui avait déjà été confisqué.

Elle fuit à son tour, sans passeport, et arrive quasi-miraculeusement à passer au Kazakhstan. S’y sentant menacée là-bas aussi, la famille partira ensuite en Suède.

Depuis, la quadragénaire, qui autrefois « vivait une vie normale » et « se fondait dans la masse sans enfreindre la moindre règle », s’est faite militante et plaide: « je souhaite que la France, la Suède, tous les pays, reconnaissent le génocide! ».