Seuls et pas assez forts: comment le Panchir est tombé face aux talibans

Par Epoch Times avec AFP
17 septembre 2021 12:55 Mis à jour: 17 septembre 2021 12:56

« Ils étaient trop nombreux »: dans la province afghane du Panchir, les habitants racontent ces jours d’impuissance où ils ont dû capituler pour la première fois de leur histoire face à leurs ennemis héréditaires talibans.

A quel moment est-ce que tout a basculé? Adossé à une porte de boutique close, aux abords du village de Khenj, Abdul Wajeed ne se rappelle plus le jour exact, tout début septembre.

-Des combattants talibans montent la garde à la porte d’entrée de la province du Panjshir, le 15 septembre 2021. Photo  WAKIL KOHSAR / AFP via Getty Images.

Mais il se souvient bien de ce moment où il a vu des dizaines de talibans arriver du nord avec des véhicules blindés. Il a compris qu’ils avaient fait sauter un verrou d’accès à la vallée, que d’autres suivraient et qu‘ »on ne pouvait plus rien faire ».

« Mille véhicules pleins de talibans »

Il y eut bien ensuite dans son village des combats « à l’arme lourde, pendant trois jours » avec les résistants locaux du Front national de résistance (FNR) postés sur les hauteurs avec leurs mitrailleuses, roquettes et canons antiaériens. Mais au final, les talibans ont été les plus forts, et les résistants toujours motivés ont dû fuir dans la montagne.

« On était surpris, on ne savait pas quoi faire. Ils étaient très bien équipés, protégés, et nous, on n’avait pas assez d’armes. Chacun a fui là où il pouvait », explique à l’AFP un combattant resté clandestinement dans la vallée.

Un peu plus bas en aval, à Malaspa, belle oasis verdoyante qui borde la rivière Panchir, Khol Mohammad, 67 ans, a lui eu l’impression ces jours-là de voir descendre « mille véhicules pleins de talibans », tant ils étaient nombreux.

Au fil de la vallée, plus d’une dizaine de carcasses tordues et renversées de véhicules talibans détruits à l’arme lourde témoignent de la lutte intense mais vaine des résistants.

Les talibans victorieux hissent leur drapeau

Le 6 septembre, dans la capitale provinciale Bazarak, c’est le choc: les talibans victorieux hissent leur drapeau sur la colline du mausolée où repose le héros panchiri Ahmad Shah Massoud, qui les combattit sans relâche lors de leur premier règne, entre 1996 et 2001.

A l’époque, Massoud avait un avantage: une seule route, celle du Sud, encaissée et facile à défendre des hauteurs, permettait à des véhicules de pénétrer dans le Panchir.

– Des combattants talibans se tiennent à côté de munitions le long d’une route dans la région de Malaspa, dans le district de Bazark, dans la province du Panjshir, le 15 septembre 2021. Photo  WAKIL KOHSAR / AFP via Getty Images.

Mais vingt ans plus tard, la province est un peu moins enclavée. Fin août, les talibans se positionnent dans plusieurs vallées adjacentes, et le 30, ils lancent leur offensive par au moins quatre routes ou chemins différents, selon des sources locales.

Pris à revers et surpris, les résistants touchent vite leur limites.

En hommes, d’abord: sur 10.000 résistants revendiqués au départ, il en resterait aujourd’hui un millier, face à 30.000 talibans venus des quatre coins du pays, selon des sources locales.

En armes, ensuite. Mercredi, près de Bazarak, des talibans exposaient un énorme tas de fusils, balles, roquettes et autres canons abandonnés par les résistants dans leur fuite. « Ça date principalement de l’époque de l’occupation soviétique » il y a au moins trente ans, a précisé à l’AFP le commandant du groupe taliban, le mollah Sanaullah Sangin Fatih.

Un véhicule blindé endommagé est aperçu le long d’une route à Khaniz, dans la province du Panjshir, le 15 septembre 2021, quelques jours après que le groupe islamiste pur et dur a annoncé la capture de la dernière province résistant à leur régime. Photo  WAKIL KOHSAR / AFP via Getty Images.

En face, les talibans avaient du matériel plus récent, parfois de pointe. « Un commandant taliban avait un drone, qui lui a permis de repérer et bombarder facilement nos positions », explique le combattant panchiri. Des témoignages concordants ont fait état de bombardements aériens décisifs, sans qu’on sache s’ils ont été effectués par des talibans ou leurs alliés, les Panchiris accusant à l’envi le Pakistan, parrain historique des islamistes.

Il a enfin manqué aux Panchiris un leader charismatique et influent de la trempe d’Ahmad Shah Massoud, qui galvanisait ses hommes, obtenait des armes neuves et des soutiens financiers à l’étranger, et qui avait des relais bien au-delà du Panchir, expliquent plusieurs habitants.

Son fils Ahmad, 32 ans a pris la tête du FNR

Ces derniers respectent son fils Ahmad, qui à 32 ans a pris la tête du FNR, mais pointent son manque d’expérience « et de soutien à l’étranger ». 

Ils sont moins tendres avec un autre leader de la résistance, l’ex-vice président Amrullah Saleh. Mercredi, la banque centrale afghane a annoncé avoir retrouvé 12,3 millions de dollars chez d’anciens membres du gouvernement, en citant son nom en premier.

« La plupart des gens ici détestent Saleh. Quand il est venu en août appeler les gens à résister avec lui, les anciens lui ont reproché de n’avoir jamais rien fait, rien donné pour le Panchir. Ça n’a pas aidé à fédérer la lutte », explique un journaliste local. On ne sait pas aujourd’hui où se trouvent les deux têtes de la résistance panchirie.

Dans la vallée, après quelques exactions au départ, les choses se passent ces jours-ci « plutôt bien » avec l’occupant, selon la dizaine d’habitants interrogés par l’AFP.

En signe de respect, les talibans viennent de réparer la tombe d’Ahmad Shah Massoud, que quelques-uns de leurs combattants trop revanchards avaient dégradée à leur arrivée.

-Des combattants talibans se tiennent près de la tombe du défunt chef des moudjahidines afghans Ahmad Shah Massoud à Saricha, dans la province du Panjshir, le 15 septembre 2021. Photo  WAKIL KOHSAR / AFP via Getty Images.

Ils disent vouloir apporter « la paix et la sécurité » aux Panchiris, tout en continuant à traquer les résistants, qui ont blessé mardi deux talibans, selon une source des islamistes.

Assis au bord de la rivière, Khair Mohammad, barbe blanche du village de Peshjrur, relativise la situation. Elle lui rappelle l’occupation des Soviétiques qui, lassés de la guérilla d’usure menée par Massoud et autres, finirent par quitter le pays au bout de dix ans.

« C’était exactement la même chose. Ils sont venus, ils nous ont dit au début qu’on pouvait être amis, on a dit oui bien sûr », sourit- il. « Et vous savez ce qui est arrivé après ».

 

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