Sur les fleuves européens, en quête de la source des microplastiques

Par afp
16 juin 2019 13:12 Mis à jour: 12 juillet 2019 20:32

« Des microbilles ! Une bleue, une rose! »: armé d’une pince à épiler, Jean-François Ghiglione observe des échantillons pêchés dans la Tamise par les scientifiques de la Fondation Tara, en quête de la source des micro-plastiques.

« On voit des choses totalement différentes de ce qu’on a vu en mer, par exemple ces toutes petites micro-billes » issues des produits cosmétiques, constate le responsable scientifique de l’expédition, penché en pleine nuit au-dessus d’une loupe dans le laboratoire de la goélette Tara, amarrée dans une marina londonienne.

Du Pacifique à l’Arctique, ce navire scientifique a pu constater l’omniprésence dans les mers du monde des microparticules de plastique, pas plus grosses qu’un grain de riz. Mais Tara a cette fois décidé de jeter ses filets dans 10 des 15 plus grands fleuves européens, de la Tamise au Tibre en passant par le Rhin, la Seine ou le Tage.

Environ 8 millions de tonnes de plastique finissent chaque année dans les océans, dont 600.000 tonnes en Europe. Les recherches sur la pollution plastique sont récentes et les scientifiques ont longtemps pensé que les bouteilles, sacs ou pailles se dégradaient en mer, sous l’effet des vagues et des rayons du soleil. En fait, les micro-plastiques sont déjà dans les fleuves.

Alors, cette mission vise à « comprendre d’où ça peut venir: des collectivités, des caniveaux, des industries, de notre quotidien à tous… », indique Romain Troublé, directeur général de la Fondation.  « C’est à notre porte. L’enjeu du plastique en mer, il est surtout à terre », insiste le marin et scientifique, persuadé qu’il est possible « d’arrêter la fuite » en commençant déjà par supprimer tout le « packaging superflu ».

Mais pour « stopper l’hémorragie », il faut aussi trouver les origines précises de la fuite, pour mieux agir.

Les scientifiques vont donc traîner leurs filets blancs aux mailles ultra fines sur les dix fleuves, à différents niveaux de salinité, en amont et en aval des grandes villes des embouchures. Avant un travail de fourmi dans le laboratoire de bord, où chaque morceau de plastique entre 1 et 5 mm est isolé à la pince à épiler, coupé en deux, et placé individuellement dans des tubes différents.

La moitié des milliers de tubes stockés d’ici novembre serviront à identifier les types de plastique, et ainsi à remonter aux produits d’origine. Les autres permettront de lister les espèces colonisant la « plastisphère », habitat artificiel qui sert de « radeau » à de nombreux micro-organismes aquatiques.

L’objectif est notamment de repérer « les bactéries pathogènes, capables de transmettre des maladies d’un animal à un autre », explique Jean-François Ghiglione. A terre, en parallèle, d’autres chercheurs ramassent consciencieusement sur les plages des résidus de cuillères ou de pailles déposées par la marée montante, pendant que la biologiste marine Leïla Meistertsheim cherche des nasses remplies de moules placées dans l’eau un mois plus tôt.

« Les moules sont des bouches ouvertes, elles bio-accumulent tout, donc l’idée est de les utiliser comme des bio-indicateurs », explique-t-elle. Disséquées et congelées dans l’azote liquide à bord, elles seront ensuite lyophilisées pour compter les micro-plastiques contenus dans les tissus. Un tiers des mollusques récupérés ce jour là en aval de Londres étaient morts. Les analyses en détermineront les causes, mais le site où ils étaient placés était sans conteste pollué.

« A marée basse, il y a des tapis de micro-plastiques…  Des brosses à dents, des stylos, des pailles, des petits bâtonnets de sucettes, et plein de choses non identifiables à l’œil nu », décrit Leïla Meistertsheim. « La première fois que j’y suis allée, j’ai eu peur ». Certains lieux où les nasses ont été déposées, par exemple aux Pays-Bas, sont pourtant des sites de pêche à pied. L’expédition permettra aux gens de savoir « s’ils feraient mieux de ne pas en manger », commente la chercheuse.

Un individu moyen pourrait ingérer jusqu’à 5 grammes de plastique par semaine

Un récent rapport de WWF estime qu’un individu moyen pourrait ingérer jusqu’à 5 grammes de plastique par semaine, soit le poids d’une carte de crédit.  Mais les dangers pour les êtres vivants de ces plastiques  et de leurs additifs chimiques sont mal connus.

Alors, « chaque plastique va être analysé sur sa composition, sur les polluants, sur les espèces qui vivent dessus, et sur l’effet qu’ils vont avoir sur des organismes », souligne Jean-François Ghiglione, qui précise que les conclusions globales des 40 scientifiques et 12 laboratoires associés ne seront pas connues avant plusieurs années.

Tara fait désormais route vers Hambourg, où la goélette habituée des grands espaces marins sera confrontée sur l’Elbe comme sur la Tamise à une autoroute de cargos géants. « C’est comme aller prélever des papillons avec une épuisette sur la place de la Concorde à Paris en pleine journée de trafic », lance son capitaine Martin Hertau.

D.C avec AFP

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