« Il y a un risque de délitement du front uni européen et américain à l’égard de l’Ukraine », déclare Emmanuel Dupuy

Par Julian Herrero
26 janvier 2024 19:50 Mis à jour: 26 janvier 2024 20:08

« Il y a un risque de délitement du front uni européen et américain à l’égard de l’Ukraine », déclare Emmanuel Dupuy

ENTRETIEN – Forum économique mondial de Davos, guerre en Ukraine et tensions au Moyen-Orient, le président de l’Institut Prospective & Sécurité en Europe (IPSE) Emmanuel Dupuy a décrypté l’actualité internationale pour Epoch Times.

EPOCH TIMES – Le Forum économique mondial de Davos s’est tenu du 15 au 19 janvier. Un événement marqué par le retour d’Emmanuel Macron, qui ne s’y était pas rendu depuis 2018, mais aussi par le discours du président argentin Javier Milei, qui a déclaré que « le socialisme est un danger pour le monde occidental ». Comment jugeriez-vous les interventions des deux chefs d’État ? La prise de parole de Javier Milei semble être à contre-courant des discours habituels que l’on peut entendre à Davos.

EMMANUEL DUPUY – Il n’y a pas de discours habituels à Davos. Ceux-ci sont liés aux différents agendas internationaux. Ils changent au gré des personnalités issus des processus électoraux dans leurs pays respectifs. Cette 54e édition n’a pas dérogé à la règle avec une soixantaine de chefs d’État et de gouvernement, et 800 chefs d’entreprises, responsables d’ONG, universitaires et directeurs de think tanks qui s’y sont rendus en tentant de démontrer la légitimité et la puissance d’une mondialisation de plus en plus dénoncée.

Javier Milei n’a pas seulement critiqué le socialisme, il a défendu un libéralisme « intégriste » voire prôné un libertarianisme radical vantant la fin de la régulation du capitalisme, donc de la mondialisation heureuse et vertueuse. C’est ce qui lui a fait gagner les dernières élections présidentielles au mois de novembre.

Emmanuel Macron est quant à lui, resté fidèle à son discours habituel, fluctuant au gré de son auditoire. Il est ainsi venu promouvoir l’image d’une présidence défendant avant tout l’attractivité du modèle économique français. Il était d’ailleurs accompagné de quatre présidents de région ainsi qu’un certain nombre de chefs d’entreprises, de TPE, ETI et de PME.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky était également présent à Davos. Au cours de son intervention, il a qualifié Vladimir Poutine de « prédateur » qui « incarne la guerre ». Aujourd’hui, le conflit russo-ukrainien s’enlise. Quelle est, selon vous, l’issue la plus probable de cette guerre ?

Le président Volodymyr Zelensky n’en est pas à sa première tentative de mobilisation « urbi et orbi » visant à mobiliser la communauté internationale.

Il a participé à cette édition de Davos comme l’année dernière, pour répéter ce qu’il ne cesse de dire à l’occasion de différents sommets internationaux auxquels il participe depuis le début du conflit : la nécessité de continuer à soutenir et accroître l’effort militaire et financier pour l’Ukraine. Il a, du reste, obtenu gain de cause puisque la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a confirmé l’aide de 50 milliards d’euros votée en faveur de l’Ukraine à l’occasion du dernier Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023. La présidente de la Commission européenne a ainsi pu rappeler au président ukrainien que cette décision avait été approuvée nonobstant le blocage insistant de Viktor Orbán.

De son côté, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg, a confirmé et tenu à rappeler que l’Ukraine devait impérativement gagner face à la Russie, actant ainsi une forme de continuation dans le soutien politique de l’Occident à Kiev. Mais malheureusement, ce n’est pas un discours de plus à Davos qui va accélérer la production industrielle et militaire indispensable à l’Ukraine pour se doter de missiles de plus longue portée (entre 300 et 500 km) notamment les 40 missiles SCALP dont Emmanuel Macron a indiqué poursuivre la livraison.

D’ailleurs, la France va également livrer des bombes ASSM ainsi que 78 canons Caesar, dont les 6 que Kyiv a d’ores et déjà achetés et la soixantaine que la France est prête à fournir en fonction de la mobilisation financière européenne.

Après les tournées baltes et américaines du président ukrainien, nous avons eu la confirmation qu’il y a, en effet, un risque de délitement à la fois du front uni européen et américain à l’égard de l’Ukraine. En même temps, la situation s’est stabilisée en raison des conditions hivernales. Il n’y a ainsi pas de grandes avancées, de part et d’autre. L’offensive ukrainienne lancée en juin dernier face à la contre-offensive russe n’a pas fait énormément bouger la ligne de front de 1200 km. Il y a toujours entre 17 et 18 % du territoire ukrainien qui reste sous occupation militaire russe depuis son agression le 24 février 2022.

La question n’est pas tant celle d’un ralentissement et d’une remise en cause du soutien financier à l’Ukraine, qui reste régulier, notamment grâce à l’aide conjointe de Washington, Bruxelles, et des grandes capitales européennes, mais plutôt celle d’une remise en cause du soutien moral dont les Ukrainiens ont besoin en ce troisième hiver sous l’occupation russe.

Selon une information relayée par The Telegraph, l’OTAN a prévenu qu’une guerre totale contre la Russie pourrait avoir lieu dans les 20 prochaines années. Qu’en pensez-vous ?

Il n’y a rien de nouveau sur ce sujet. L’OTAN a justement été créée en avril 1949 pour prévenir une guerre frontale contre un ennemi à l’est de ses frontières.

Il convient néanmoins de s’interroger quant aux fuites rendues publiques par le truchement de l’article du journal allemand Bild, mettant en avant le fait que Berlin et Stockholm étaient en train de se préparer à faire face à une possible agression russe sur leur territoire, de manière hybride ou cinétique.

Le fait que ces informations aient été rendues publiques constitue une fâcheuse tendance liée à la guerre informationnelle que livre Moscou en Europe. In fine, l’on peut se demander à qui profite réellement cette fuite d’informations connue de tous ?

Au Moyen-Orient, la guerre entre Israël et le Hamas fait toujours rage. Les frappes sur Gaza se poursuivent. On note également un regain des tensions à la frontière israélo-libanaise au nord, et au sud avec les Houthis qui attaquent des navires de guerre américains. Le scénario d’un embrasement régional est-il, selon vous, de plus en plus crédible ?

Non. Il ne l’est pas plus aujourd’hui qu’il ne l’était il y a quelques jours. Nous avons affaire à un embrasement limité à des fronts régionaux sans une corrélation non maîtrisable. L’ouverture de ces différents fronts (Liban du sud, mer Rouge, Gaza et Cisjordanie, Irak, Iran et Pakistan) tend paradoxalement à éviter un conflit régional. Il s’agit, en réalité, d’un embrasement maîtrisé grâce à la capacité de résilience, d’anticipation et de réponses militaires de la communauté internationale pour faire face aux attaques récurrentes contre les navires qui transitent dans le détroit de Bad-el-Mandeb, en mer Rouge. L’enjeu est de taille : éviter une perturbation du commerce internationale qui oblige les bateaux à se dérouter sur une distance de plus de 4000 km supplémentaires via le cap de Bonne-Espérance.

Tout ceci, reste encore maîtrisé grâce aux frappes américaines et britanniques visant les installations balistiques des Houthis au Yémen, soutenus par le Canada, les Émirats arabes unis et par quelques États européens parmi lesquels, les Pays-Bas et le Danemark.

Il y a également une autre manière de percevoir la dangerosité de la menace. C’est celle de l’UE et, notamment de la France et de l’Italie qui ont réussi à faire voter la mise en place d’une opération militaire navale Eunavfor Aspis, sur le modèle de l’opération Atalante lancée en 2008 pour lutter contre la piraterie internationale au large de la Somalie.

Concernant les frappes auxquelles a procédé Israël contre un certain nombre de responsables du Hamas, des gardiens de la révolution islamique d’Iran et du Hezbollah, que ce soit au Liban, en Syrie ou en Irak, elles l’ont été de manière « symétrique ». En témoignent, les tirs de roquettes de la part des milices chiites en Irak sur des installations militaires américaines, sans qu’il y ait eu une confrontation directe avec Téhéran.

Un nouveau front, s’est du reste ouvert entre l’Iran et le Pakistan, au sujet du soutien d’Islamabad à des organisations terroristes que l’Iran rend responsables de l’attaque à Kerman à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Qassem Soleimani en janvier 2020, à Bagdad.

Par ailleurs, Téhéran est accusée par Islamabad de soutenir le Front de libération du Balouchistan, qui semble, en effet avoir reçu une protection tacite du régime iranien dans la région du Sistan et du Balouchistan.

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