Le corporatisme socialiste est l’enjeu final des «Big Tech», selon un chercheur en études libérales

Par Petr Svab
22 octobre 2019 17:37 Mis à jour: 3 avril 2021 22:09

Les grandes entreprises technologiques, en particulier celles qui contrôlent la circulation de l’information sur Internet, sont en marche vers la création de leur propre système socialiste, affirme Michael Rectenwald, ancien professeur d’études libérales à l’université de New York et auteur de The Google Archipelago: The Digital Gulag and the Simulation of Freedom (L’archipel de Google : le goulag numérique et la simulation de la liberté). 

Des entreprises géantes comme Google et Facebook, en phase avec l’idéologie progressiste socialiste, ont pratiqué ce que M. Rectenwald appelle le « corporatisme socialiste », une idéologie qui, en pratique, ressemble un peu au système totalitaire pratiqué par le régime communiste chinois.

De plus en plus, « Big Digital », comme Rectenwald appelle les principales sociétés Internet, affiche des tendances totalitaires et façonne ses normes de contrôle du contenu au profit de ses préférences politiques, tout en revendiquant sa neutralité.

« Big Digital se compose d’un groupe d’autoritaires socialistes« , a-t-il dit à Jan Jekielek d’Epoch Times dans l’épisode du 9 octobre de la chaîne American Thought Leaders d’Epoch Times, sur YouTube.

L’archipel de Google 

Michael Rectenwald soutient que les tendances idéologiques de ces entreprises sont particulièrement pernicieuses car l’ « Internet des objets » (IdO) en expansion imprègne de plus en plus le domaine numérique dans la vie des gens.

« Appareils-photos, robots d’IA, clés électroniques de portes, caisses enregistreuses et de nombreux autres moyens de collecte de données […] rendront possible l’horodatage de toutes les activités humaines » qui se font à l’extérieur de la maison, de même que pour de nombreuses autres activités humaines à la maison, dit-il.

Toutes ces données peuvent être facilement mises dans des dossiers numériques et parcourues par des algorithmes pour créer une image numérique de chaque individu.

Ces entreprises ne se gênent pas de justifier leur stockage de milliers de données sur les usagers du Web prétextant cerner leurs besoins, mais, de plus en plus, il a été prouvé que ces entreprises utilisent également ces données pour récompenser ou punir les utilisateurs selon s’ils s’alignent ou divergent de la vision du monde que ces entreprises adoptent.

« Big Digital fixe les limites d’un discours acceptable dans les espaces numériques, autorisant certaines positions et en excluant d’autres », explique M. Rectenwald dans son livre.

La presque incontournable collecte de données combinée à l’imposition du politiquement correct forme ce qu’il appelle « l’archipel de Google », un riff sur « l’archipel du Goulag » d’Alexandre Soljenitsyne, une description séminale du système cruel d’institutions concentrationnaires en Russie soviétique.

Alors que l’archipel de Google est « léger sur le contenu » comparé au caractère meurtrier du goulag soviétique, M. Rectenwald fait un parallèle entre la capacité des deux à « faire disparaître » efficacement les gens.

« La place publique à l’extérieur du monde numérique est devenue largement hors de propos en raison du fait que tout se passe sur la place numérique », a-t-il fait valoir à Jan Jekielek.

Ainsi, les sociétés numériques autoritaires ont un pouvoir toujours croissant de supprimer les gens du discours public et même de la société en général.

« Leurs objectifs sont la mort politique effective et la ruine financière et sociale de leurs opposants politiques », précise le livre de M. Rectenwald.

Contradiction du corporatisme socialiste

Michael Rectenwald reconnaît l’apparente contradiction entre les sentiments anticapitalistes du socialisme progressiste et son soutien aux grandes entreprises comme Facebook et Google.

Pourtant, une contradiction similaire fait partie du marxisme depuis ses débuts.

Karl Marx et son co-auteur et bienfaiteur Friedrich Engels postulaient qu’il n’y aurait pas de gouvernement dans l’utopie communiste. Les travailleurs du monde entier s’uniront, disaient-ils, s’empareront des moyens de production et, plus tard, le régime formé par les travailleurs se dissoudrait par lui-même. Ils n’ont jamais expliqué pourquoi le prolétariat (ou ses supposés représentants) accepterait d’abandonner le vaste pouvoir nécessaire pour contrôler les moyens de production. Aucun des régimes communistes qui se sont emparés du pouvoir n’a jamais voulu le faire.

Tout comme tous les régimes communistes du monde ont été disposés à former des gouvernements et à n’envisager leur dissolution que dans un avenir très lointain, les socialistes d’aujourd’hui semblent disposés à soutenir les entreprises qui se penchent vers le socialisme sur la base de principes tout aussi vagues.

« Le socialisme est heureux d’être supposément plus près d’atteindre ses objectifs, peu importe le fait que les corporations agissent comme les principaux leviers pour atteindre ces soi-disant objectifs », a déclaré M. Rectenwald dans un courriel. « Le socialisme se complaît que le capitalisme éveillé reflète leurs valeurs, malgré le fait que le pouvoir des corporations s’en trouve renforcé. L’antipathie que le socialisme a toujours eue à l’égard des corporations est atténuée par la publicité et d’autres discours qui reflètent leurs idéaux. »

Michael Rectenwald, ancien professeur à l’université de New York et auteur de The Google Archipelago : The Digital Gulag and the Simulation of Freedom (L’archipel de Google : le goulag numérique et la simulation de la liberté), à New York le 4 octobre 2019. (Samira Bouaou/The Epoch Times)

Ce trait ressemble aussi au « socialisme avec des caractéristiques chinoises » adopté par le plus grand régime communiste restant au monde.

Alors que de nombreux socialistes occidentaux se moquent de l’idée que le régime chinois puisse être socialiste, ce n’est pas ce que la population chinoise entend de leurs dirigeants. Comme le parti le postule, le pays est tout simplement à la « première étape du communisme », qui « ressemble beaucoup au capitalisme », et ce, pour une durée de 100 ans, a écrit Robert Lawrence Kuhn, un conseiller de longue date du régime en 2011.

Depuis tout juste deux ans, le leader du régime, Xi Jinping, a réaffirmé que le parti est toujours aussi dévoué au socialisme et qu’il prévoit de réaliser la « modernisation socialiste » d’ici 2035 et de devenir un « pays socialiste moderne » en 2050.

Pourtant, il pourrait y avoir une explication plus prosaïque pour le socialisme de Big Digital.

Brian Amerige, ancien principal ingénieur de Facebook, a déclaré dans un message Facebook,  » De l’intérieur de ces entreprises, ils voient le véritable dévouement à l’amélioration de la vie que les grandes corporations poursuivent largement et considèrent donc leur entreprise comme une exception au capitalisme maléfique dont ils entendent parler partout ailleurs.

Corporatisme socialiste

L’idée d’une utopie socialiste mise en œuvre par le biais d’une méga-puissante corporation n’est pas nouvelle. King Camp Gillette, le fondateur de la société Gillette, a écrit deux livres exposant son idée à propos du corporatisme socialiste, soutenant que le socialisme pourrait être mieux réalisé par une « Corporation mondiale », qui fut aussi le titre de son deuxième livre, World Corporation.

« Les promoteurs[de l’incorporation] sont les vrais socialistes de cette génération, les véritables bâtisseurs d’un système coopératif qui élimine la concurrence et, d’un point de vue pratique, ils atteignent des résultats que les socialistes ont vainement tenté d’atteindre par la législation et l’agitation pendant des siècles », souligne King Camp Gillette dans son livre de 1910.

Michael Rectenwald a dit : « La Corporation mondiale(World Corporation) était un prospectus pour le développement d’un monopole mondial singulier, qu’il envisageait comme un hégémon économique et gouvernemental complet et complètement bienveillant ».

Le livre de M. Gillette dit même que la Corporation mondiale « possédera toutes les connaissances de tous les hommes, et chaque esprit individuel trouvera son expression complète à travers le « Grand esprit corporatif », faisant écho, selon M. Rectenwald, à la façon dont Google se voit aujourd’hui.

Chevauchement

Michael Rectenwald reconnaît que les dirigeants de Big Digital croient vraiment en la politique socialiste. Il souligne cependant que de nombreux aspects socialistes s’alignent également sur les intérêts pratiques des entreprises, du moins pour celles qui ont des ambitions monopolistiques.

Les objectifs socialistes de l’ouverture des frontières favorisent l’appétit des entreprises pour la libre circulation de la main-d’œuvre. La « politique identitaire » avalisée vers le socialisme profite aux sociétés, puisque l’éclatement des groupes identitaires permet de cultiver de nouveaux marchés de niche, affirme M. Rectenwald.

« Le bouleversement des catégories de genre stables finira par démanteler la famille, dernier bastion d’influence autre que l’État et les grandes puissances monopolistiques », a-t-il déclaré dans un discours prononcé le 28 septembre lors de la conférence Libertarian Scholars à King’s College à New York.

Les corporations mondiales bénéficieraient également d’un ensemble de règles internationales, se rangeant ainsi du côté socialiste dans la promotion de l’internationalisme avec l’objectif ultime d’un gouvernement mondial.

« La politique qui s’aligne le plus clairement avec les intérêts mondiaux des sociétés monopolistiques est une politique socialiste contemporaine.»

Il va encore plus loin en affirmant que le Big Digital est particulièrement enclin au socialisme totalitaire puisque la pensée socialiste est quelque peu « algorithmique ».

« Si ‘A’ est l’objet désiré, alors ce sont les étapes nécessaires pour obtenir ‘A’. « Le but détermine les moyens, y compris la commission d’actes contraires, moralement et politiquement, aux fins recherchées. »

C’est pourquoi Vladimir Lénine, après avoir pris le pouvoir en Russie, a « putativement au nom de la classe ouvrière » « ordonné la mort des premiers grévistes gouvernementaux post-révolutionnaires », explique M. Rectenwald.

Discours de haine

Selon Michael Rectenwald, la politique de Big Digital se manifeste notamment par ses politiques de « discours haineux ».

Google et d’autres entreprises technologiques ont centré leurs règles de  » discours haineux  » sur la lutte contre les idéologies de suprématie, a-t-il dit.

Le thème central semble être que, parce que l’expression de la suprématie avait conduit à la prolifération de l’idéologie nationale-socialiste et conduit à l’Holocauste, l’expression de la suprématie sur les groupes défavorisés doit être tuée dans l’œuf pour prévenir le génocide.

M. Rectenwald a souligné plusieurs problèmes liés à cette approche, dont un angle mort massif, puisque plus de gens ont été tués au XXe siècle au nom de l’égalité – le credo socialiste – que de la suprématie.

Cet angle mort est à prévoir, suggère-t-il, puisque les grandes sociétés numériques « représentent le socialisme – à elles-mêmes et leurs électeurs – comme le système de croyances politiques sans faute par défaut ».

Un autre problème est l’incapacité de définir clairement ce qui est et ce qui n’est pas un discours haineux.

Facebook, par exemple, reconnaît ouvertement qu’il est incapable de tracer clairement la ligne là où commence le discours haineux. Son directeur général, Mark Zuckerberg, aurait même reconnu à huis clos que la société a longtemps « peiné » avec certains préjugés lors de la surveillance du contenu.

Il y a aussi des preuves que les décisions de Big Tech sur ce qui est et ce qui n’est pas un discours haineux soient influencées par la théorie intersectionnelle quasi marxiste, où les gens sont regroupés dans des paniers « opprimés » et « oppresseurs » selon des critères généraux tels que la couleur de peau, le sexe et le comportement sexuel. Dans l’ensemble, seules les infractions contre les « opprimés » seraient considérées comme haineuses, tandis que les « oppresseurs » feraient seulement l’objet d’une surveillance accrue.

Les plus scrutés, cependant, semblent être ceux qui critiquent la théorie elle-même, même s’ils appartiennent personnellement à un groupe « opprimé ».

Michael Rectenwald affirme que réduire l’histoire à un combat entre oppresseurs et opprimés n’est autre chose qu’un remplacement de la théorie marxiste estimant l’histoire comme un combat entre exploités et exploiteurs.

Pourtant, le socialisme est infidèle aux « opprimés », a-t-il dit, donnant l’exemple des attaques contre Candace Owens, une femme noire qui a été la cible des insultes raciales les plus sévères et même des attaques physiques de partisans socialistes pour ses opinions conservatrices.

Facebook, en fait, a encouragé certains de ses employés à enquêter sur les antécédents de Candace Owens dans le but de la virer de ses plateformes, selon un document interne de Facebook partiellement divulgué au site de nouvelles conservateur en ligne Breitbart.

En outre, la suppression du « discours haineux » soulève la question de l’ingérence.

Il y a effectivement eu des cas dans le passé où un discours haineux a servi à rendre les gens plus enclins à faire du mal à d’autres personnes. Mais la plupart du temps, un discours dégradant (surtout en ligne) n’entraîne pas de conséquences aussi graves, précise M. Rectenwald.

Porte de sortie

Michael Rectenwald prétend qu’un moyen d’échapper à l’archipel de Google consiste à rejeter sa « narrative qui nous dit que nous sommes une simple série de chiffres ».

« Le 19e siècle a réduit le monde à n’être que matière. Le XXe siècle a transformé les êtres humains en des machines matérielles faites de chair et d’os. Quand le matérialisme règne et qu’il n’y a rien d’autre que de la matière, alors littéralement rien n’a d’importance, incluant la vie humaine. »

« Or, le XXIe siècle nous réduirait à des zéros et des uns – ou, c’est-à-dire, à des zéros, point final. Nous devons contrer ce faux récit par la vérité qui confirme notre vraie nature en tant qu’êtres dont la valeur s’exprime bien au-delà de ce que les matérialistes et maintenant les réductionnistes numériques voudraient nous faire croire. »

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