Les « mafia » chinoise et sud-africaine déciment la faune du parc national Kruger

Selon un rapport, 40 % des gardes forestiers sont corrompus et beaucoup d'autres ferment les yeux par peur

Par Darren Taylor
28 mars 2023 12:40 Mis à jour: 28 mars 2023 12:40

JOHANNESBURG – Selon un nouveau rapport de l’Enact, un groupe international de lutte contre la criminalité financé par l’Union européenne, des groupes criminels organisés d’Afrique du Sud et de Chine, en collaboration avec des responsables corrompus du secteur de la protection de l’environnement, « décimeraient » le gros gibier dans l’une des plus grandes réserves naturelles du monde.

Le parc national Kruger couvre une superficie de près de 19.684 kilomètres carrés dans les provinces sud-africaines du Limpopo et du Mpumalanga, au nord-est du pays, à la frontière du Mozambique et du Zimbabwe.

Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) décrit le parc Kruger comme l’une des plus importantes zones de conservation de la faune et de la flore au monde.

Il abrite les animaux emblématiques, mais de plus en plus rares, connus sous le nom de « Big Five » (Cinq grands), à savoir le buffle d’Afrique, l’éléphant d’Afrique, le rhinocéros, le léopard et le lion.

Un hélicoptère décolle alors que la carcasse d’un rhinocéros blanc braconné et mutilé gît sur les rives d’une rivière du parc national Kruger lors d’une enquête médico-légale, le 12 septembre 2014. (Marco Longari/AFP via Getty Images)

L’ivoire des défenses d’éléphants atteint des prix élevés sur les marchés noirs, tandis que la corne de rhinocéros et les os de lion sont très demandés en Chine pour leurs propriétés curatives scientifiquement réfutées lorsqu’ils sont broyés et mélangés à d’autres produits naturels de la médecine traditionnelle.

Selon le rapport de Julian Rademeyer, expert en faune sauvage et en criminalité organisée de l’organisation Enact, au moins 40% des employés du parc Kruger chargés de l’application de la loi sont corrompus. Jusqu’à 70% des autres employés du parc pourraient aider les braconniers.

Le parc emploie plus de 2500 personnes et plus de 400 gardes forestiers.

M. Rademeyer a déclaré à Epoch Times que le personnel provenait principalement des communautés environnantes. Ils sont donc exposés à « un risque élevé de coercition et de menaces ».

Dans son rapport, M. Rademeyer cite un garde forestier qui lui aurait dit : « Vous travaillez dans le parc, votre femme est seule à la maison avec les enfants et les enfants vont à l’école juste là. C’est à vous de choisir. »

Cédant à la pression, le garde forestier commence à fournir des informations au syndicat, recevant un premier paiement de 25.000 rands (1276 euros). Les paiements augmentent en fonction de la « qualité des informations » reçues, par exemple l’emplacement d’une troupe de lions.

Les grands félins sont faciles à tuer avec de la viande empoisonnée, et les carcasses sont découpées et transportées hors du parc avec l’aide de fonctionnaires corrompus. Les os sont ensuite transportés clandestinement hors du port de Durban dans des conteneurs sur des bateaux à destination de l’Extrême-Orient, vers les marchés chinois.

M. Rademeyer a déclaré que les informations de son rapport sont fondées sur des entretiens avec de hauts responsables des forces de l’ordre du parc Kruger, des gardes forestiers, honnêtes et corrompus, des consultants privés spécialisés dans la sécurité des animaux sauvages, des responsables du secteur de la conservation de la nature et des enquêteurs qui tentent de démêler un « réseau complexe » de criminalité organisée qui « engouffre » le parc.

Des membres féminins de l’équipe anti-braconnage « Black Mamba » effectuent une patrouille de routine dans une réserve naturelle le 25 septembre 2016 à Hoedspruit, dans la province de Limpopo en Afrique du Sud. (Mujahid Safodien/AFP via Getty Images)

Des enquêteurs de l’agence sud-africaine Hawks (qui agit à titre de direction des services de police sud-africains pour les enquêtes sur les crimes prioritaires) ont déclaré à Epoch Times qu’ils avaient établi un lien entre de « nombreux » gardes forestiers et officiers de police et les réseaux de braconnage.

« Les gardes forestiers doivent soit participer au crime, soit fermer les yeux. S’ils ne le font pas, ils sont abattus chez eux », déclare l’un des enquêteurs.

Il poursuit : « En coopération avec des enquêteurs, nous avons retrouvé la trace de paiements de grosses sommes d’argent à plus de 50 fonctionnaires du parc Kruger, en provenance de syndicats. Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, car nos enquêtes ne font que commencer. »

La garde forestière en chef du parc, Cathy Dreyer, qui a reçu de nombreuses menaces de mort, déclare à Epoch Times qu’il est « impossible » d’entrer dans le parc Kruger pour tuer des animaux « sans la coopération de l’intérieur de la réserve ».

Ike Phaahla, le porte-parole de l’agence gouvernementale SANParks, responsable de la gestion du parc Kruger, a déclaré à Epoch Times ne pas être en mesure de commenter le rapport de Julian Rademeyer.

« Je dois d’abord lire le rapport », explique-t-il.

Le parc Kruger est considéré comme l’un des « joyaux de la couronne » du tourisme sud-africain, qui s’enorgueillit d’offrir aux touristes locaux et internationaux une chance d’observer les rares animaux sauvages.

Pourtant, selon M. Rademeyer, le gouvernement ne semble pas faire grand-chose pour protéger les animaux en accordant davantage de ressources aux agences chargées de lutter contre les syndicats.

Son rapport « Landscapes of Fear » retrace le début de la « pourriture » en 2011, lorsque le braconnage des rhinocéros a commencé à augmenter de façon spectaculaire dans le parc Kruger.

Entre 2011 et 2020, la population de rhinocéros blancs du parc Kruger a chuté de 75%, passant d’environ 10.600 à 2607.

M. Rademeyer, tout comme les officiers des Hawks interrogés par Epoch Times, déclarent que les mêmes syndicats responsables de la destruction du parc Kruger sont également impliqués dans des enlèvements, des vols de fonds, le braquages de voitures, des extorsions, des activités minières illégales et des bombes posées dans des distributeurs automatiques de billets.

Un garde forestier sud-africain s’approche de la zone où un rhinocéros blanc braconné a été repéré, le 12 septembre 2014, dans le parc national de Kruger. (Marco Longari/AFP via Getty Images)

Kevin Pietersen, spécialiste de la conservation, déclare à Epoch Times : « Le seul marché pour des produits comme la corne de rhinocéros et les os de lion est l’Asie, et plus particulièrement la Chine. »

« Des représentants des forces de l’ordre m’ont parlé de liens entre les triades chinoises et les groupes mafieux sud-africains. Il est facile de faire sortir clandestinement n’importe quoi d’Afrique du Sud, tant les contrôles sont laxistes ».

Ces dernières années, plusieurs ressortissants chinois ont été arrêtés pour braconnage de rhinocéros, d’éléphants et de lions dans les réserves naturelles d’Afrique du Sud. La plupart d’entre eux ont échappé à la prison, préférant payer des amendes pour reconnaissance de culpabilité.

En septembre 2021, l’officier de police Stephanus Peters et une femme décrite par les enquêteurs comme une « interprète chinoise », Lina Zhang, ont été arrêtés après avoir prétendument livré 30 cornes de rhinocéros destinées à être transportées de l’aéroport OR Tambo de Johannesburg vers la Malaisie.

Selon la police, les cornes ont été faussement déclarées comme étant du vin.

Selon M. Rademeyer, les braconniers sont généralement armés de fusils automatiques et d’autres armes de gros calibre. Ils coopèrent souvent avec des vétérinaires d’État corrompus afin de se procurer des tranquillisants pour animaux et des « fusils à fléchettes ».

Les recherches de M. Rademeyer relèvent que les gardes forestiers et les soldats de la Force de défense nationale sud-africaine ont abattu au moins 200 braconniers présumés dans le parc Kruger entre 2010 et 2015. Sept soldats ayant perdu la vie et de nombreux autres ont été gravement blessés.

Il y a cinq ans, le gouvernement a budgétisé des millions de rands pour embaucher 87 gardes forestiers supplémentaires, mais aucun poste n’a été comblé. Les demandes de commentaires au ministère de l’Environnement sont restées sans réponse.

Un rhinocéros tranquillisé se déplace alors qu’un hélicoptère de l’organisation non gouvernementale RHINO911 fait du surplace avant d’atterrir et d’examiner l’animal, le 19 septembre 2016, dans le parc national de Pilanesberg, en Afrique du Sud. (Gianluigi Guercia/AFP via Getty Images)

Une source policière a déclaré à Epoch Times que la plupart des zones autour du parc Kruger sont des « foyers de criminalité violente », plusieurs factions du Congrès national africain (ANC) au pouvoir étant liées à des gangs criminels.

En mars 2020, le colonel Leroy Bruwer, agent des Hawks, a été tué lorsque des hommes armés ont ouvert le feu sur son véhicule alors qu’il circulait entre les villes de Mbombela et Lydenburg, près de la réserve.

M. Bruwer était l’enquêteur principal dans plusieurs affaires de braconnage de rhinocéros.

En juillet de l’année dernière, des assassins ont abattu le garde forestier Anton Mzimba alors qu’il rentrait chez lui après son travail.

Les funérailles de Leroy Bruwer et d’Anton Mzimba se sont déroulées en toute discrétion, en présence de parents, d’amis proches et de quelques collègues. Il n’en a pas été de même pour les funérailles de Petros « Mister Big » Mabuza, le cerveau présumé d’un syndicat de braconniers, considéré comme un héros par de nombreuses personnes dans les communautés qui entourent le parc Kruger.

La peur d’être tué

Petros Mabuza, que l’on voyait souvent en compagnie de groupes d’hommes chinois dans les casinos d’Afrique du Sud, a été abattu en 2021 alors qu’il garait sa berline de luxe dans un centre commercial de la ville de Hazyview, également proche de la réserve.

Ses funérailles ont été qualifiées de « bling-bling » par un journal local, son cercueil arrivant par hélicoptère et drapé d’une peau de léopard.

Dans son rapport, Julian Rademeyer décrit les postes de police des villes entourant le parc Kruger comme suit : « Ils sont profondément enracinés dans les poches des groupes criminels organisés impliqués dans le braconnage, les vols d’argent liquide, les détournements de voitures et de camions, les vols à main armée, les attentats à la bombe dans des distributeurs automatiques de billets et l’exploitation illégale de l’or.

« Ils n’offrent donc qu’une protection limitée. Parfois, ils servent même d’escorte pour la contrebande. »

« Les policiers les plus honnêtes et ceux qui se sentent dévoués à leur communauté n’ont d’autre choix que de fermer les yeux sur les activités de leurs collègues, de peur d’être tués. »

Selon les statistiques de la police, le taux de meurtres dans la province de Mpumalanga, où se trouve la majeure partie du parc, a augmenté de 42% au cours de la dernière décennie.

Sizwe Sama Yende, journaliste d’investigation à Mpumalanga, a déclaré à Epoch Times que la région avait été « paralysée » par « les administrations successives de l’ANC composées d’acteurs corrompus ».

Liens avec le crime organisé

L’acteur le plus important du paysage politique de Mpumalanga depuis des décennies est David Mabuza, vétéran de l’ANC, qui était jusqu’à récemment vice-président de l’Afrique du Sud.

David Mabuza – qui insiste sur le fait de n’avoir aucun lien de parenté avec Petros Mabuza – a toujours été lié au crime organisé. Les partis d’opposition le qualifient souvent de « donateur de la mafia ».

Le président Cyril Ramaphosa a nommé David Mabuza comme son adjoint à la suite de la conférence nationale de l’ANC en décembre 2017, lors de laquelle Jacob Zuma a perdu la direction du parti, puis la présidence nationale, au profit de son ennemi juré, Cyril Ramaphosa.

Les initiés du parti affirment que David Mabuza a joué le rôle de « faiseur de roi » lors de la conférence, passant de l’allégeance à Zuma à celle de Ramaphosa à la veille de l’événement.

L’ANC qualifie David Mabuza de « cadre dévoué et respectueux de la loi ».

Il a passé une grande partie de son mandat de quatre ans en tant que vice-président à Moscou pour un « traitement médical » pour une maladie non divulguée.

Comme de nombreux hauts responsables de l’ANC, M. Mabuza a reçu une éducation et une formation militaire dans l’ancienne Union soviétique, à l’époque de l’apartheid.

John Steenhuisen, chef du principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique, a récemment accusé David Mabuza d’orchestrer la corruption au sein de la croulante compagnie nationale d’électricité sud-africaine, Eskom.

Risques pour les gardes forestiers et leurs familles

Les plus grandes centrales électriques au charbon d’Afrique du Sud se trouvent à Mpumalanga.

David Mabuza n’a pas répondu à cette allégation, mais son porte-parole a qualifiée cela de « non-sens » dans une interview accordée au journal The Times de Johannesburg.

Dans son rapport, M. Rademeyer salue les quelques fonctionnaires du parc Kruger qui « souhaitent sincèrement » lutter contre le crime organisé dans la réserve, au péril de leur vie et de celle de leurs proches.

Leur bravoure a permis l’arrestation récente de deux gardes forestiers et de 11 complices présumés impliqués dans des affaires de braconnage, de corruption, de blanchiment d’argent et de trafic d’espèces sauvages.

Selon M. Rademeyer, les efforts déployés pour lutter contre la criminalité dans le parc Kruger seraient en fin de compte voués à l’échec s’ils n’étaient pas « associés à des efforts soigneusement ciblés pour s’attaquer aux écosystèmes criminels plus vastes de la province de Mpumalanga ».

« Pour être efficaces, les tactiques policières réactives à court terme doivent être remplacées par une stratégie à long terme visant à contrer et à perturber les principaux réseaux criminels. »

M. Rademeyer suggère que les organismes chargés de l’application de la loi et l’autorité nationale de poursuite de l’Afrique du Sud ciblent les « acteurs de haut niveau » en offrant des amnisties aux criminels de bas niveau qui coopèrent avec les enquêteurs.

Toutefois, compte tenu de l’implication de hauts et de bas responsables de l’ANC dans la criminalité à l’intérieur et autour du parc Kruger, les défenseurs de l’environnement tels que Kevin Pietersen doutent que le gouvernement mette en place les ressources nécessaires pour sauver de la destruction l’un des plus grands sanctuaires d’animaux au monde.

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