Mercedes Erra, l’énergie des bâtisseurs d’empire

2 juin 2016 16:45 Mis à jour: 2 juin 2016 16:49

Le dernier étage du siège de BETC ressemble un peu à un grand cerveau humain. De vastes open space où tout semble en mouvement, circuler. Ici, une ligne de bacs avec un grand choix de revues, là, un baby-foot. Dans ces bureaux, on étudie, on formule, on vend la publicité de demain dans une ambiance aussi sérieuse que détendue.

Mercedes Erra arrive. La chef d’orchestre, c’est elle. Présidente de BETC, administratrice du groupe Havas, ou encore tête pensante derrière les bébés d’Evian, Mercedes Erra a un agenda réglé comme du papier à musique. Le CV de la dame en dit long : entrée chez Saatchi & Saatchi comme stagiaire assistante en 1982, Mercedes Erra a rapidement gravi les échelons. Elle sera tour à tour chef de publicité, directrice de clientèle, et deviendra en 1990 directrice générale de l’agence. En 1995, elle co-fonde BETC. Aujourd’hui présidente de l’agence, elle est aussi administratrice du groupe Havas et du groupe Accor.

Impressionnant. Pourtant, Mercedes nous l’assure dès le début de l’interview : « C’est simple, je ne voulais rien de tout cela ». « J‘ai eu la chance de tomber sur le métier que j’aimais, en lien avec la compréhension du monde », affirme-t-elle. Sa réussite, elle l’attribue au sens des responsabilités et à sa passion de « persuader ».

En plus d’administrer plusieurs groupes et associations, elle s’occupe à ses heures perdues en aidant ses clients moins fortunés. Mercedes Erra nous explique dormir « 5 ou 6 heures par nuit maximum », et être pleine d’énergie, au point de fatiguer son entourage. Une énergie pourtant contenue, non explosive ; celles des créateurs, des artistes, de ceux qui bâtissent les mondes. « Je m’endors pendant la journée, donc je ne dois pas dormir assez ! », avoue-t-elle en riant.

Persuader, toucher les gens

Impossible d’évoquer BETC sans penser à Evian. Ses deux avant-derniers spots, les bébés rollers et baby & me, ont été vus plus de 200 millions de fois sur la toile, marquant ainsi la campagne de communication la plus virale au monde. En avril dernier, BETC a remis une couche avec des bébés surfeurs sur une île. Mercedes Erra affirme « adorer » Danone,  groupe détenteur d’Evian.

Campagne de pub pour la marque Evian. (BETC)
Campagne de pub pour la marque Evian. (BETC)

En 1995, les films publicitaires d’Evian montraient des montagnes, parlaient « protection de la vie », « pureté de l’air que vous respirez ». Puis, en 1998, Danone confie à BETC sa nouvelle campagne de pub. Changement de décor : désormais, Evian rimera avec « baby » et « rock’n’roll ». Depuis, la marque a adopté cette formule gagnante.

Ce virage à 180° est signé Mercedes Erra. « On essayait de trouver un angle impliquant, intéressant, et de l’exécuter », témoigne-t-elle. Une musique populaire, un ballet de jolies frimousses… mais comme souvent, on imagine mal le travail derrière une idée simple. À entendre parler la fondatrice de BETC, il semble que pour persuader, il faille savoir, tel un saumon, remonter le courant.

« Il fallait persuader les clients de parler de jeunesse… ils étaient inquiets. Moi aussi, j’ai peur, mais il y a un moment où il faut y aller », se souvient Mercedes. Convaincre Evian de « lâcher les montagnes » ? « Impossible ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce qu’on ne positionne pas trop le produit pour les enfants ? », s’est-elle entendu répondre. « Vous passez beaucoup d’heures à réfléchir, puis à expliquer, il faut être un peu têtu », conclut-elle.

En 2009, technologie numérique à l’appui, les bébés font du roller dans Central Park sur une musique de rap. Le tour de force devient planétaire, des millions de consommateurs adoptent le « Live Young ». Mais là encore, il aura fallu un an de discussions entre l’agence et son client.

Ce genre de virage, BETC a l’habitude de le négocier. De manière générale, Mercedes fuit le « mou » et la « tiédeur » dans sa recherche d’inspiration, mais apprécie la sincérité. « Les choses simples sont les plus belles, mais ce sont aussi les plus difficiles. Les choses qui touchent tout le monde, les pauvres, les riches, les jeunes, les vieux… sont les plus difficiles », explique-t-elle.

Mercedes Erra évoque la campagne Petit Bateau de 2009. Signée BETC, cette campagne a remporté le Grand Prix de la publicité presse magazine. Encore une fois, l’idée était simple : des portraits de gens de tous âges, avec leur âge indiqué en nombre de mois, en référence aux étiquettes (3 mois, 6 mois) des sous-vêtements Petit Bateau. Mieux qu’une théorie ou qu’une explication.

Campagne de publicité pour Air France. (BETC)
Campagne de publicité pour Air France. (BETC)

« Ce n’est rien, mais les photos étaient magnifiques ! Et il y avait cette idée toute simple qui dit : finalement il n’y a pas de rupture entre l’enfant que l’on est, et l’adulte que l’on devient des années plus tard. Si vous écoutez une personne âgée, elle vous parle tellement de son enfance… en général, d’ailleurs, plus on grandit et plus on retourne à ce qui s’est passé pendant l’enfance. Vous oubliez plein de choses mais pas cela. En publicité on touche à des idée et un sens profond, mais de façon légère, l’air de rien », affirme Mercedes.

Il n’y a pas que ses clients que Mercedes doit persuader. Ses collaborateurs entrent aussi en considération. L’entreprise BETC déménage en juillet, quittant ses locaux du Xe arrondissement pour 20 000 m² à Pantin. Là encore, il fallait être force de persuasion. « Cela faisait quatre ans qu’on travaillait dessus, tout le monde nous disait à Rémi Babinet, mon associé, et à moi que c’était impossible ! C’est devenu possible, en juillet », souligne Mercedes.

« J’adore développer l’agence. Il ne faut pas le dire, mais je fais tout pour fixer des objectifs ambitieux. Quand les objectifs sont trop étroits, les résultats leur ressemblent. Donner de grands objectifs, c’est croire que les gens qui nous entourent sont capables de les atteindre. C’est croire en leur talent », continue-t-elle.

 « Avoir une passion et être calme »

La publicité est une terre d’incertitudes. En 2014, une étude menée par le groupe Havas indiquait que la majorité des consommateurs de 23 pays seraient indifférents à la disparition des trois quarts des grandes marques apparaissant dans leur quotidien. Et seuls 20% des marques mondiales sont vues comme ayant un effet positif sur la qualité de vie. Face au numérique et à la diversification des supports et réseaux, des publicitaires dépensent des sommes parfois astronomiques pour collecter des renseignements sur les internautes, cibler les consommateurs. En oubliant que si la marque n’a pas de rôle elle suscite l’indifférence. Trouver le sens de leur marque devient un défi pour de nombreuses entreprises.

C’est aussi ce que BETC fait pour les start-up : les aider à trouver le bon positionnement et le bon angle pour l’exprimer. Mercedes Erra reste prudente. « On a un service, le start-up Lab où l’on a aidé bénévolement des start-up à mieux énoncer leurs propositions marketing. Pourquoi est-ce qu’on fait ça, je n’en sais rien, peut-être que ça nous plaît ? » s’interroge-t-elle, mi-amusée, mi-sérieuse. Pour elle, le big data, ce n’est pas le plus central. Identifier ce qui emporte l’adhésion des consommateurs, exprimer une vision, sont les points clés.

Mercedes Erra. (Gaële Didillon/Epoch Times)

Et si une campagne ne marche pas ? « Nous sommes dans un marathon, pas un sprint. Il peut arriver qu’une campagne manque son objectif. Il y a toujours un risque, il faut oser. » Face à l’échec, Mercedes Erra relativise et évoque son passé.

« Quand j’étais très jeune, mon papa a eu un problème financier, on n’avait plus d’argent. Je me souviens que je me suis dit « ah, c’est bien, comme ça tu ne vas pas t’habituer à l’argent « . Je ne me suis pas dit « Oh, qu’est-ce qui nous arrive, c’est terrible… » Cette pensée n’est pas rentrée dans ma tête. On était vivant, on avait à manger. Je pense que je suis assez habituée à ce qu’il y ait des obstacles, et ça m’est égal. J’ai très vite compris qu’on est là pour les dépasser », retient-elle.

De même, l’argent est secondaire dans la vision de la patronne de BETC. « Pour moi, le plus important, c’est que les êtres humains soient là pour faire des choses. Donc vous pouvez construire une maison, vous pouvez construire des murs… Ne pas faire…? je n’aurais pas aimé qu’on me dise : « Tu n’as pas besoin de travailler« . Oh la la, quelle angoisse ! j’ai toujours eu peur de gagner au loto ! On avait fait un très joli film Loto : c’était l’histoire d’un taxi qui gagne au loto et en fait ne change rien à sa vie, sinon qu’il a désormais une superbe voiture, très chic. Mais il continue à être taxi ! Parce que sinon, que ferait-il de sa vie ? D’ailleurs on le sait très bien, les gens, quand ils gagnent au loto sont souvent fragilisés. Parce qu’ils peuvent perdre leur repères. L’argent, ce n’est pas la vie. »

Le sens de l’engagement

Mercedes Erra est passionnée par son métier. Soutenue par son équipe, elle arrive encore à « accorder du temps pour rien », à titre bénévole. La campagne du Musée de l’immigration, Human Rights Watch, la Fondation Elle, la Bibliothèque Nationale de France, la Fondation France Télévisions… « On essaie de ne pas le clamer sur les toits, parce qu’il y a une limite à nos interventions généreuses : on ne sait plus comment rajouter des réunions dans les agendas. On travaille bénévolement, mais cela nous fait du bien, c’est déjà pas mal», déclare Mercedes, sourire aux lèvres.

En plus d’être chef d’entreprise, Mercedes Erra est aussi une chef de famille. Et le partage des tâches, pour cette mère de cinq enfants, c’est important.  « Je grogne auprès de  mes proches quand je vois certaines choses : Mais vous attendez que j’aie trois jours de vacances pour que je change toutes les ampoules de la maison ? Vous ne vous êtes pas aperçu qu’il n’y a plus de lumière ?… Et la sécurité sociale, est-ce si compliqué que vous ne sachiez remplir une feuille! », s’amuse-t-elle.

Mercedes Erra investit beaucoup de temps pour promouvoir l’égalité homme-femme. Au dernier étage de l’agence, on compte à peu près autant de femmes que d’hommes. Il en est de même au directoire de BETC. Une mixité voulue, et bénéfique. « C’est pour cela que nous sommes les meilleurs », lance-t-elle. « La mixité apporte quelque chose de riche et crée un environnement peut-être plus favorable au travail, de meilleure qualité. Les garçons perdent leur côté politique un peu trop politique, un peu trop va-t-en guerre, et les filles apportent plus de vraie qualité », explique-t-elle.

Mercedes Erra. (Gaële Didillon/Epoch Times)
Mercedes Erra. (Gaële Didillon/Epoch Times)

Une exception qui pourrait être la règle ? Récemment, le PDG de l’agence américain J Walter Thompson, aux États-Unis, a dû démissionner pour avoir fait une blague sexiste très mauvaise. Une pratique fréquente et répandue dans l’entreprise, semblait-il, selon les témoignages recueillis. « Je crois qu’il ne faut pas s’étonner, cela existe partout, je crois que le monde n’est pas en avance sur ce point », commente Mercedes Erra.

« Les filles travaillent beaucoup mais elles sont toujours à s’inquiéter de leur compétence. Elles manquent de confiance pour prendre les positions clés. Donc si vous voulez qu’elles les prennent, il faut les pousser », estime-t-elle. Avant de conclure : « Ce qui compte, c’est que l’on aime son parcours. L’enjeu n’est pas de devenir quelqu’un… il se trouve que j’ai fait une belle carrière, je suis devenue une femme d’influence, mais j’aurais pu être heureuse autrement. »

« Mercedes : ce prénom m’a renforcée»

Née à Barcelone et arrivée en France à l’âge de 6 ans, Mercedes Erra ne parlait pas un mot de français. Quand on lui demande d’où vient son prénom, elle évoque son passé.

« Ma maman n’aimait pas ce prénom, mais je suis née le 23 septembre : et le 24 septembre, à Barcelone, c’est la fête de la Vierge Maria de las Mercedes. Donc en vraie catalane ma maman s’est sentie obligée de m’appeler Mercedes.

Quand je suis arrivée en France, ce prénom était inconnu. Ah, si ! Il y avait une marque de voitures qui me concurrençait ! Et moi, j’avais honte de m’appeler Mercedes, parce que tout le monde se moquait. Alors quand je devais dire mon prénom, c’était une douleur. Mon rêve, c’était de m’appeler Martine! Ma mère me disait : « il faut garder ses différences ». En fait, elle avait raison. Il faut assumer. Et ce qui est bien dans ce prénom, c’est que comme il est difficile à assumer…, il m’a rendue plus forte.

 « Mercedes » veut dire « merci », mais c’est aussi la racine du mot « marché ». C’est donc des échanges que vient le mot « merci ». »  Signe du destin ?

 

 

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