Retraites, mobilisations: faut-il se préoccuper de l’acceptation sociale ?

Par Fabrice Hamelin, Enseignant-Chercheur
26 avril 2023 14:44 Mis à jour: 26 avril 2023 14:44

La réforme des retraites a beau être adoptée, elle ne passe pas dans l’opinion publique. Grèves, manifestations, sondages et controverses en témoignent. Pour les éditorialistes, l’explication tient souvent en une formule : l’ « acceptation sociale » ! On retrouve ce même vocable dans la bouche de députés, à l’exemple des Républicains qui, à la veille du vote de la motion de censure contre le projet de loi sur les retraites, s’inquiétaient de « l’acceptabilité sociale de la réforme dans leur circonscription ». Le président, enfin, reconnaît que la réforme des retraites n’a pas été acceptée par les Français.

Après les mobilisations contre de grands projets inutiles et imposés, le mouvement des Gilets jaunes, la colère contre le 80 km/h et la controverse sur les méga-bassines, ce recours croissant, relâché et étendu à de nouvelles arènes publiques, rend la formule incontournable.

Un jugement collectif en dehors du cadre institutionnel

L’acceptation sociale exprime un jugement collectif qui se manifeste en dehors du cadre institutionnel formel ou de l’espace législatif. Il remplace d’autres notions : adhésion, assentiment, consentement ou réception. Dans le langage courant, son usage reste le plus souvent rhétorique, au mieux descriptif, et sans apport significatif à la compréhension de l’intervention publique, de sa réussite comme de son échec. Peut-on dépasser l’ambivalence de ce lexique et recourir aux termes d’acceptation et d’acceptabilité sociales pour mieux comprendre la réception de l’intervention publique ?

Cette question a du sens, parce que ce lexique fait partie du vocabulaire des sciences sociales. Un ouvrage tout juste publié et que j’ai coordonné en montre les usages et en discute l’utilité. Il le fait à partir de terrains d’études divers (les espaces naturels protégés, la transition énergétique, la taxe carbone, l’expression religieuse au travail ou les véhicules à hydrogène) et mobilise différentes disciplines (sociologie, géographie, psychologie, science politique, management et économie). Plusieurs leçons peuvent en être tirées.

En finir avec la quête du mot juste

Le débat sur l’usage préférentiel des notions d’acceptabilité ou d’acceptation sociale est loin d’être clos. Dans l’acception la plus courante, l’acceptabilité sociale rend compte d’une perception antérieure à la mise en œuvre de l’action publique. L’acceptation sociale renvoie alors à une perception a posteriori et à un état de fait. Or l’acceptation n’est pas figée. Elle est construite par des stratégies ou des techniques variées (la libre participation, l’enrôlement, l’expérimentation) qui la font évoluer.

La recherche du mot juste est donc vaine et d’autant plus qu’il est difficile de penser l’acceptation et l’acceptabilité sociales déconnectées d’un ancrage disciplinaire.

L’opposition est claire entre géographes, qui parlent d’acceptation, et sociologues qui privilégient l’acceptabilité. Les sciences politique et économique se passent largement de concepts dont elles se méfient. Seules la gestion et la psychologie sociale ont dépassé le débat. À la recherche du meilleur vocable, elles préfèrent celle des bons outils de mesure et des indicateurs pertinents.

Dans le cas de la réforme des retraites, le défaut d’acceptation sociale est déduit des formes et de l’intensité de la mobilisation. Il est aussi appréhendé par les sondages d’opinion publique réalisés tout au long du mouvement social. Ces outils de mesure restent étonnament frustres, alors que des protocoles d’enquête plus sophistiqués existent et peuvent être mobilisés : focus groups, suivi de cohortes, expérimentations, etc.

L’acceptation sociale est alors saisie par des indicateurs (confiance, bénéfices escomptés, légitimité des promoteurs, crédit accordé aux informations, respect du cadre légal, etc.). Cette variété permet d’échapper à la dualité un peu naïve opposant les « pour » aux « contre », l’« adhésion » à la « contestation » et de saisir des degrés d’acceptation, et surtout des profils et des comportements d’acteurs.

Comprendre la recherche de l’acceptation

Au-delà de la mesure, l’acceptation peut devenir un objectif à atteindre pour les promoteurs d’un projet, à l’exemple des décideurs politiques et de l’administration chargée de sa mise en œuvre. L’acceptation devient alors un horizon plus qu’un élément d’évaluation de la réussite ou de l’échec d’une politique publique. De ce point de vue, qu’elle soit conçue comme un processus ou comme un résultat, la volonté de saisir l’acceptation sociale acquiert une visée instrumentale.

Si la notion a le mérite d’intégrer le conflit comme une évidence dans l’intervention publique, cette entrée par les controverses masque une approche managériale, par laquelle les promoteurs d’une innovation cherchent à réduire les oppositions et accroître leurs soutiens.

L’idéal démocratique peut se trouver heurté par des stratégies de communication ou de lobbying destinées à accroître l’acceptation. Cette ingénierie du consentement peut cacher une volonté toute technocratique de faire accepter un programme rejeté.

Saisir la diversité des publics

L’acceptation sociale ne peut être réduite à l’acceptation des publics ou du (grand) public. L’acceptation des élus ou celle des agents est tout aussi essentielle pour comprendre la réussite ou l’échec d’un programme. La mobilisation contre l’abaissement des vitesses à 80 km/h met véritablement à mal la décision du gouvernement quand les élus territoriaux et les sénateurs s’en saisissent.

Le passage aux 80km/h sur l’autoroute a divisé les usagers, Envoyé Spécial, France 2, 2019.

Cette attention particulière à ceux qui fabriquent les politiques publiques et mobilisent leurs ressources dans l’épreuve d’acceptation est d’autant plus essentielle, qu’elle doit d’abord être envisagée comme leur problème et non pas celui des destinataires. Cette épreuve à surmonter conduit à prendre au sérieux le travail de conviction voire d’enrôlement dans lequel se lancent les policy makers ou à l’inverse les stratégies d’évitement du débat que les élites gouvernantes préfèrent souvent à un périlleux et incertain travail de conviction.

Les outils législatifs et de communication mobilisés comme les argumentaires fluctuants du gouvernement pour justifier le report de l’âge de la retraite témoignent des stratégies d’acceptabilité successivement tentées : s’agit-il de sauver le système des retraites, d’en réduire les inégalités, de maîtriser le déficit public, d’éviter la « bordélisation », etc. ?

L’envisager comme une norme pour l’action publique ?

Au Québec, la notion est mobilisée comme critère de décision par les autorités publiques depuis plus d’une décennie. Des guides de bonnes pratiques sont édités et des dispositifs de participation mis en place.

Nous n’en sommes pas là en France, même si l’usage de cette terminologie progresse dans la formulation de l’action publique, comme en témoigne son intégration dans l’évaluation de politiques publiques ou la saisie, par le Premier ministre Jean Castex, du CESE pour avis sur « l’acceptabilité des projets d’infrastructures environnementales » fin 2021.

À défaut d’en être une nouvelle norme, elle peut servir de balise à l’action publique. L’étude de la fabrique politique de l’acceptation sociale peut permettre d’éviter des erreurs.

La première serait de croire que via les sondages ou les mobilisations, on identifie une volonté générale claire et stable qui autorise les élites gouvernantes à poursuivre ou les amène au contraire à renoncer. Une autre serait de croire que l’on peut convaincre la population sur des enjeux macro (parfois jugés abstraits). Celle-ci est vulnérable et changeante, façonnée par ses propres préoccupations quotidiennes et qui sont parfois aussi portées par l’air du temps.

Il n’en demeure pas moins que l’acceptation sociale pose la question de la faisabilité des programmes et permet de passer de l’idéal au faisable en politique.The Conversation

Article écrit par Fabrice Hamelin, Enseignant-Chercheur en science politique, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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