Les escroqueries au défaut de paiement en hausse en Chine : Les emprunteurs souscrivent volontairement des emprunts qu’ils ne pourront jamais rembourser

Par Jane Tao et Olivia Li
7 mai 2024 05:25 Mis à jour: 7 mai 2024 08:28

Un réseau de fraude aux prêts bancaires sévit en Chine qui consiste à souscrire des emprunts impossibles à rembourser et à se répartir l’argent entre les différents intervenants, selon les parties concernées qui ont parlé à Epoch Times sous pseudonymes.

L’escroquerie implique des collusions entre le personnel bancaire, des intermédiaires, et un « porteur de dette ».

Les « porteurs de dettes » sont des personnes qui contractent sciemment des prêts que leur situation financière ne leur permet pas de rembourser. Ils s’associent avec un intermédiaire ayant un lien direct avec les employés de la banque et dont le rôle est de fabriquer des informations personnelles et financières frauduleuses qui leur permettra de répondre aux critères d’obtention de prêts conséquents.

Une fois les prêts approuvés et déposés, les fonds sont partagés, laissant les débiteurs avec des dettes de quelques centaines de milliers d’euros. Incapables de rembourser, ils se retrouvent placés sur la liste noire de la banque, et en tant que débiteurs défaillants, une conséquence dont la plupart de ces mauvais payeurs ne se soucient guère.

Selon les données officielles, le nombre de Chinois incapables de rembourser leurs dettes, ou placés sur liste noire, est passé de 5,7 millions début 2020 à 8,33 millions au 22 avril, soit une augmentation de 46 %. Un nombre important d’entre eux sont des porteurs de dettes impliqués dans des montages financiers frauduleux.

En Chine, les personnes qui ne parviennent pas à rembourser leurs dettes sont inscrites sur listes noires. Les personnes figurant sur ces listes ne peuvent plus acheter de billets d’avion ou de trains à grande vitesse, utiliser les routes à péage ou des applications telles qu’Alipay et WeChat.

Porteurs de dettes

Zhao Fei (pseudonyme), 39 ans, a déclaré à l’édition chinoise d’Epoch Times le 22 avril que la pandémie de trois ans, combinée au ralentissement économique de la Chine, a entraîné de nombreuses fermetures de magasins et de mauvaises perspectives commerciales pour beaucoup, entraînant une baisse des offres d’emploi. Citoyen ordinaire sans compétences particulières, il cherchait à ouvrir un petit magasin avec sa femme pour subvenir aux besoins de sa famille, mais n’avait pas les fonds nécessaires. Attiré par les nombreuses annonces en ligne des intermédiaires, il a décidé de prendre le risque de devenir un « porteur de dette ».

En juillet de l’année dernière, M. Zhao a trouvé un intermédiaire qui a monté une demande de prêt d’entreprise de 4 millions de yuans (environ 513.000 euros). Le processus a été compliqué.

Comme M. Zhao avait déjà un mauvais crédit, l’intermédiaire l’a aidé à créer une série de faux documents et lui a même fait dépenser plus de 100.000 yuans (environ 12.000 euros) pour acquérir des titres de compétences pour l’entreprise. Comme les contrôles dans la province de Jiangsu étaient très stricts à l’époque, l’intermédiaire l’a fait déménager à Chengdu, dans la province de Sichuan, et a fait la demande de prêt sur place.

Au cours de la procédure, tous ses frais à Chengdu ont été prises en charge par l’intermédiaire.

Six mois plus tard, la banque a accordé le prêt de 4 millions de yuans. Il a retiré l’argent en plusieurs fois, a gardé 1,6 million de yuans pour lui-même (un peu plus de 200.000 euros), et le reste est passé entre les mains de l’intermédiaire.

Ses deux amis, qui ont entrepris des opérations similaires par le biais de prêts pour création d’entreprises, ont réussi à obtenir respectivement 1,8 million de yuans (environ 230.000 euros) et 1,2 million de yuans (environ 153.000 euros).

Au cours du processus, M. Zhao s’est rendu compte que ses intermédiaires avaient des liens étroits avec les banques, et que celles-ci coordonnaient et conseillaient les intermédiaires sur la manière de présenter leur demande at ainsi s’assurer qu’elles seront acceptées.

L’intermédiaire avait lequel il s’est associé a expliqué à M. Zhao qu’il était généralement admis que les employés de banque étaient ceux qui prenaient le plus de risques et, par conséquent, étaient ceux qui recevaient la plus grande part des bénéfices de l’escroquerie. Les initiés au sein des banques ne rencontrent jamais les demandeurs de prêt en raison des risques.

« Les initiés au sein de la banque disent que dans le cas des prêts aux entreprises, ceux qui ont de bonnes qualifications peuvent emprunter jusqu’à 5 millions de yuans, et les autres entre un et deux millions de yuans », a affirmé M. Zhao.

Selon les instructions de la banque à l’intermédiaire, M. Zhao devait d’abord rembourser quelques centaines de yuans par mois, puis se déclarer en faillite pour cause de mauvaise santé et de mauvaise gestion au bout d’un an, déclenchant l’arrêt les remboursements. « Ils disent que peu importe le montant que vous remboursez, si vous commencez à rembourser un peu chaque mois, la banque peut passer l’éponge ».

Aujourd’hui, M. Zhao et sa femme ont ouvert un magasin et gagnent plus de 10.000 yuans (environ 1300 euros) par mois.

Il déconseille aux jeunes de suivre cette voie : « Si vous pouvez gagner correctement votre vie par d’autres moyens, vivez correctement. Si vous envisagez vraiment de devenir endettée, réfléchissez bien, car vous serez mis sur liste noire ».

Un autre porteur de dette, Chen Li (pseudonyme), âgé de 31 ans, était sans emploi lorsqu’il a décidé de participer à la fraude au défaut de paiement à la fin de 2023 par le biais d’un intermédiaire à Xuzhou, dans la province de Jiangsu.

Le 22 avril, il a déclaré à l’édition chinoise d’Epoch Times qu’au départ, les agents intermédiaires l’avaient aidé à créer un ensemble de faux documents et preuves d’identité, répondant ainsi aux critères d’éligibilité du prêt et obtenant un prêt automobile de 300.000 yuans (38.000 euros).

Quelques mois plus tard, lorsque la banque a débloqué les fonds sur son compte, les agents intermédiaires ont demandé à M. Chen de retirer l’argent et de le leur remettre afin qu’ils procèdent à sa distribution. Mais l’intermédiaire a disparu avec les 300.000 yuans, le laissant avec la dette.

Après avoir réalisé qu’il avait été victime d’une escroquerie, il a immédiatement signalé l’incident à la police, mais des mois se sont écoulés sans qu’aucune solution n’ait été trouvée.

M. Chen a expliqué les raisons qui l’ont poussé à devenir un mauvais payeur volontaire : « Les gens ordinaires ne peuvent pas gagner un ou deux millions de yuans au cours de leur vie avec des emplois réguliers. Devenir un mauvais payeur ne mène pas en prison. Ce sont les banques qui se retrouvent avec les problèmes ».

M. Chen reconnaît ouvertement qu’il n’a aucune intention de rembourser l’argent : « Il est trop difficile pour les gens ordinaires de rembourser leurs dettes en occupant des emplois normaux, je suis sans défense maintenant, je n’ai pas d’autre choix que de travailler honnêtement et de gagner de l’argent pour subvenir à mes besoins d’abord. »

Intermédiaires et complices

L’édition en langue chinoise d’Epoch Times s’est entretenue avec deux intermédiaires en Chine.

Wang Jun (pseudonyme), réside dans la province de Heilongjiang, et se présente comme un expert en la matière : il entretient des contacts directs avec les banques et prépare les documents nécessaires pour que les porteurs de dette apparaissent comme des emprunteurs crédibles aux yeux des banques.

Selon lui, l’industrie des « porteurs de dette » existe depuis sept ou huit ans, mais elle a vraiment pris son essor depuis un an ou deux.

« En raison des trois années de restrictions liées à la pandémie, les entreprises ont connu des difficultés et de nombreuses personnes ont fait faillite. Maintenant que l’économie est en mauvaise posture, de nombreuses personnes envisagent de devenir porteurs de dettes », explique-t-il.

Li Qi (pseudonyme), un intermédiaire basé à Wuhan et spécialisé dans les documents frauduleux pour les emprunteurs comme les magasins de briques et de mortiers, a déclaré que le secteur de la fraude aux banques a connu une forte demande ces derniers temps.

« Dès que nous publions des annonces, un grand nombre de personnes nous contactent », dit-il.

Zheng Xiang (pseudonyme), avocat en Chine, a déclaré à l’édition chinoise d’Epoch Times le 23 avril qu’il avait connaissance de nombreux cas de ce genre.

« Au cours des années précédentes, lorsque l’économie était florissante, de nombreuses personnes ordinaires ont contracté des dettes importantes pour acheter des maisons ou créer des entreprises et ont dû travailler dur pour les rembourser. Aujourd’hui, alors que l’économie est au plus bas et que les entreprises ne font pas de bénéfices, il est impossible de gagner de l’argent et de poursuivre les activités, si bien que les gens se tournent vers cette méthode. Le fait d’être porteur de dettes signifie que l’on peut manquer à ses engagements sans se soucier des conséquences », explique-t-il.

« Dans les zones rurales et les classes sociales inférieures, il y a beaucoup de gens qui n’ont pas de prêt à leur nom et qui ont un bon dossier de crédit, ce qui leur permet de se présenter comme emprunteurs qualifiés, et qui fait que le marché est florissant », a-t-il ajouté.

Aujourd’hui, les professionnels de l’endettement, les intermédiaires et les banques génèrent beaucoup de profit. M. Wang est conscient que les initiés du secteur bancaire jouent un rôle crucial dans ces opérations.

Le secteur, dit-il, exploite les failles du système bancaire, les intermédiaires y voient de « l’argent gratuit », et les employés sont motivés par les incitations à la performance.

« La collusion à l’intérieur et à l’extérieur est un comportement frauduleux, et les employés de banque sont bien conscients de ce qu’ils font, savent qu’ils enfreignent l’éthique professionnelle et nuisent aux intérêts de la banque. Les poursuites judiciaires ne permettent pas de récupérer l’argent et risqueraien même de révéler leur collusion, de sorte que les banques finissent par passer ces créances irrécouvrables par pertes et profits », a-t-il déclaré.

Arrestation d’escrocs

La police chinoise a déjà traité un certain nombre de cas de non-paiement délibéré de dettes et enquêtent sur les banques elles-mêmes.

Le 26 janvier, une banque appelée Ningbo Xiangshan, dans la province de Zhejiang, a connu une véritable débâcle. Le président de la banque, les différents directeurs de départements, et des employés ordinaires ont été reconnus coupables d’avoir accordé frauduleusement des prêts difficilement remboursables pour un montant total de 425 millions de yuans (soit environ 53 millions d’euros).

Le tribunal a constaté que, dans certains cas, les emprunteurs avaient utilisé de faux documents pour déposer les demandes de prêts. Dans d’autres cas, le directeur général de l’unité commerciale et deux autres employés ont approuvé des prêts alors même que les demandeurs ne répondaient pas aux critères.

Entre 2014 et 2017, ces trois personnes ont été impliquées dans environ 60 émissions de prêts illégaux totalisant 425 millions de yuans, causant des pertes économiques de 294,8 millions de yuans (environ 37 millions d’euros).

En décembre 2023, la police de Shanghai a découvert une affaire de fraude hypothécaire portant sur 60 millions de yuans (environ 8 millions d’euros), orchestrée par des porteurs de dette, des agents immobiliers, des agents de crédit et des employés de banque, qui a conduit à l’arrestation de 34 suspects.

Selon Li Linyi, commentateur de l’actualité, l’émergence significative des « porteurs de dette » accélère l’instabilité financière, exacerbant le problème déjà grave des créances irrécouvrables dans les banques chinoises.

Mary Hong a contribué à cet article.

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