Gestion du discours et de la pensée en Chine

15 avril 2015 03:49 Mis à jour: 26 octobre 2015 18:32

 

WASHINGTON – Le chef du Parti communiste chinois, Xi Jinping, a lancé une campagne anticorruption peu après avoir pris le pouvoir en novembre 2012. Cette campagne est beaucoup discutée dans les médias, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Chine, et semble lui avoir permis de consolider son pouvoir.

Une autre campagne de Xi, celle contre l’influence néfaste des «valeurs occidentales», est moins connue et elle affecte ses politiques concernant Internet, les universités, les médias chinois, le domaine des arts et du divertissement, les instituts de recherche et les organisations non gouvernementales.

Un forum pour discuter de l’intérêt de Xi Jinping pour la propagande et l’idéologie s’est tenu au Wilson Center de Washington le 2 avril dernier et avait pour titre «Les valeurs occidentales menacent-elles la Chine? Les motifs et les méthodes de la campagne idéologique de Xi Jinping».

Robert Daly, directeur du Kissinger Institute on China and the United States et modérateur de la discussion, a affirmé que la menace des valeurs occidentales devait être un sujet important pour Xi. La nouvelle commission sur la sécurité nationale qu’il préside se penche sur le sujet et y accorde autant d’importance qu’au terrorisme et au séparatisme.

La campagne idéologique a ses origines dans un communiqué chinois, appelé «Document n°9», qui a été publié en avril 2013 et qui parle des dangers de la pensée occidentale. Il énumère «sept sujets à ne pas mentionner», explique M. Daly, qui ne doivent «pas être abordés librement dans les médias et le milieu universitaire». L’idée générale était d’avertir les membres du parti d’être sur leurs gardes concernant les idées, les institutions et les personnes étrangères qui menacent le pouvoir du parti.

Le premier sujet qui «ne peut être mentionné» est la démocratie constitutionnelle occidentale. Ensuite viennent les autres sujets subversifs comme les valeurs universelles, la société civile, l’économie néolibérale et le concept occidental de journalisme. De plus, il est interdit de remettre en question le socialisme en Chine et l’histoire officielle du Parti communiste.

Campagne idéologique

À travers la Chine, les cadres du Parti communiste assistent à des réunions pour entendre les avertissements que la mainmise du parti sur le pouvoir pourrait être en danger s’ils ne font pas face aux menaces. Le Document n°9 a été publié par l’organe central du Parti, mais non diffusé publiquement, selon le New York Times.

Sans l’ombre d’un doute, le communiqué a dû recevoir l’aval du dirigeant communiste Xi Jinping, qui a pris le pouvoir cinq mois avant sa parution.

Les conséquences de la publication du document ont été immédiates. En 2013, le Times a rapporté que «depuis la publication du document, les publications et les sites web du parti ont dénoncé avec véhémence le constitutionnalisme et la société civile, des concepts qui n’étaient pas considérés tabous ces dernières années. Les responsables ont augmenté leurs efforts pour bloquer l’accès aux points de vue critiques sur Internet».

ChinaFile, qui a traduit le document en anglais, indique qu’une «répression sévère contre les avocats défenseurs des droits de la personne, les médias, les universitaires et autres libres penseurs» est survenue après la diffusion.

(De gauche à droite) Robert Daly, directeur du Kissinger Institute; Anne-Marie Brady, professeure agrégée des sciences politiques à l’Université de Canterbury; et Richard McGregor, ex-chef de bureau du Financial Times à Pékin et Washington. (Gary Feuerberg/Epoch Times)
Serrer la vis

Anne-Marie Brady a mentionné durant le forum qu’il est important «de voir au-delà de la rhétorique et d’observer les actions [du régime]». Mme Brady est considérée comme la plus grande spécialiste occidentale en matière de propagande communiste chinoise. Elle a écrit deux livres sur le sujet,

  • en 2007, Marketing Dictatorship: Propaganda and Thought Work in Contemporary China (Marketing de la dictature: propagande et travail sur la pensée en Chine contemporaine)
  • en 2014, China’s Thought Management (Gestion chinoise de la pensée).

Mme Brady affirme qu’après la prise du pouvoir par Xi Jinping, c’était comme s’il y avait «un nouveau balai ici, il faut serrer la vis, mais ce n’est pas [de nature] anti-occidentale».

Mme Brady a souligné que lorsque Xi et d’autres hauts responsables font de graves déclarations mettant en garde contre l’influence pernicieuse de «l’idéologie des forces occidentales antichinoises», ce n’est pas un nouveau concept. Selon elle, une différence majeure avec l’ère Mao est que les Chinois d’aujourd’hui n’ont pas à mémoriser les déclarations officielles de leur dirigeant.

Xi a mentionné le démantèlement de l’Union soviétique dans un discours secret en 2012, il l’a attribué à une crise de croyance; «les gens avaient perdu la foi dans le Parti communiste», explique Mme Brady. Il a parlé de la leçon à tirer des politiques de Mikhaïl Gorbachev qui ont désintégré le bloc soviétique. Mme Brady estime que la leçon selon Xi est d’être prudent dans le relâchement du pouvoir des masses, ce que Gorbachev n’aurait pas fait.

L’objectif de Xi est donc de renforcer le «soutien populaire au règne du Parti» et de «réajuster les limites de l’expression populaire», affirme Mme Brady. «Les militants devront peut-être se retenir un peu […] décidément, c’est une période qui n’est pas aussi libre et ouverte qu’auparavant.»

Interprétation de la campagne idéologique

Il faut également être conscient des efforts du régime pour manipuler la perception que le monde a de la Chine. Les dirigeants chinois savent que la Chine a un problème d’image. Mme Brady s’est dite surprise de constater que la traduction, par l’outil de traduction de Google, du mot chinois xuanchuan est «publicité». Elle affirme que la définition de ce mot dans le dictionnaire est propagande. Selon elle, cela démontre comment le Parti communiste chinois influence insidieusement l’Occident.

Richard McGregor, ancien chef de bureau du Financial Times à Pékin et Washington, suggère que le comportement de Xi Jinping en ce qui a trait aux campagnes anticorruption et idéologique est une réaction à la période de tension en 2012 lorsqu’il a pris le pouvoir, alors que la transition n’avait pas été aussi douce que pour son prédécesseur. Zhou Yongkang, qui contrôlait l’appareil de sécurité et était membre du Comité permanent du Politburo, avec son complice Bo Xilai, membre du Politburo, avaient comploté contre Xi Jinping et tenté une purge.

M. McGregor estime que beaucoup de gens en Occident agissent sous l’illusion que le Parti communiste chinois (PCC) pourrait d’une manière quelconque être réformé. «Le PCC n’est pas un système broche à foin qui est graduellement réformé d’une manière qui le rendrait plus semblable à un système démocratique occidental.» Selon lui, les dirigeants communistes croient que leur parti est «entièrement intact et indépendant» et doit simplement être «constamment raffiné» et «renforcé».

Un documentaire autorisé puis interdit

La récente censure d’un documentaire sur l’environnement, «Under the Dome», illustre la nouvelle direction. M. Daly a expliqué que le film, avant d’être banni, avait été «diffusé et encensé par le ministère de l’Environnement». Le film, qui appelle les citoyens à poser des gestes individuels pour diminuer la pollution et le gaspillage, est devenu inacceptable pour le régime qui veut contrôler les réformes.

«Le fait que ce documentaire indépendant a pu être réalisé et recevoir l’appui du ministère de l’Environnement démontre que M. Xi […] ne tente pas de réprimer complètement l’opinion publique, mais plutôt de la contenir dans des balises acceptables», a écrit Mme Brady dans le Financial Times.

Un autre exemple récent de la répression accrue de la dissidence est la détention de cinq militantes féministes après qu’elles ont planifié une manifestation contre le harcèlement sexuel.

«Cette nouvelle m’a bouleversée parce que la détention de jeunes féministes est un cas qu’on n’a essentiellement jamais vu en Chine», a commenté au Financial Times Zhao Sile, une chroniqueuse et pigiste chinoise.

Mme Zhao rapporte que les jeunes femmes, toutes dans la vingtaine, avaient seulement l’intention de distribuer dans les autobus des dépliants contre le harcèlement sexuel, le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale de la femme. Toutefois, elle explique que les responsables impliqués dans la «sauvegarde de la stabilité» ont tendance à «réprimer toute forme de militantisme citoyen».

Mme Brady prédit que ces nouvelles mesures visant à serrer la vis risquent de générer «plus de résistance et non le contraire».

En effet, il est probable que les féministes chinoises répliquent. «Leur détention a en effet créé une certaine panique et tension, mais les militantes n’ont pas battu en retraite. Elles ne pensent qu’à la manière de maintenir le mouvement et de l’étendre», indique Mme Zhao.

Version originale : Managing Speech and Thought in China

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