À Jakarta, des « hommes d’argent » qui en voient rarement la couleur
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Cette photo prise le 1er avril 2025 montre l'artiste de rue Ari Munandar (à dr.), le corps peint en argent, posant pour des pourboires sous la pluie à un carrefour de Jakarta.
Par un après-midi pluvieux à Jakarta, trois hommes le corps recouvert de peinture argentée font la manche auprès des automobilistes : partout sur l’île de Java, les « manusia silver » n’ont souvent pas d’autre choix que de mendier pour gagner à peine de quoi survivre.
« Je veux trouver un vrai travail, plus digne, j’ai honte de gagner de l’argent comme ça », témoigne Ari Munandar, 25 ans. « Mais la gêne disparaît quand vous vous souvenez que votre fille et votre femme sont à la maison », ajoute l’homme.
Cette photo prise le 7 avril 2025 montre des artistes de rue, Keris Munandar (à g.) et son voisin Riyan Ahmad Fazriyansah, en train de se peindre le corps en argent à Jakarta. (YASUYOSHI CHIBA/AFP via Getty Images)
Pieds nus, vêtus seulement d’un short et enduits d’une peinture irritante, Ari, son frère Keris et leur ami Riyan Ahmad Fazriyansah, vont passer cinq heures à une intersection du nord de la gigantesque capitale.
Cette photo prise le 7 avril 2025 montre les artistes de rue Keris Munandar (à dr.), son frère Ari Munandar (à g.) et leur voisin Riyan Ahmad Fazriyansah marchant vers la route principale pour faire du stop à Jakarta. (YASUYOSHI CHIBA/AFP via Getty Images)
« J’ai vu un ami gagner plus d’argent en imitant un robot »
Chaque fois que la file de voitures s’arrête, ils se figent et se déplacent en gestes saccadés, tels des robots.
Cette photo prise le 1er avril 2025 montre l’artiste de rue Ari Munandar, dont le corps est peint en argent, posant pour obtenir des pourboires sous la pluie à un carrefour de Jakarta. (YASUYOSHI CHIBA/AFP via Getty Images)
« Je fais ça parce qu’un jour, j’ai vu un ami gagner plus d’argent en imitant un robot », explique Ari, qui tend sa sébile aux automobilistes.
Cette photo prise le 1er avril 2025 montre l’artiste de rue Ari Munandar (à dr.), dont le corps est peint en argent, recevant un pourboire sous la pluie à un carrefour de Jakarta.(YASUYOSHI CHIBA/AFP via Getty Images)
Rien d’anormal à Jakarta, où de nombreux hommes sans emploi s’improvisent agents de circulation ou gardiens de parking, contre un petit billet de 2000 ou 5000 roupies (0,10 à 0,20 euro).
Les meilleurs jours, Ari peut gagner jusqu’à 200.000 roupies (10 euros), mais sa recette quotidienne dépasse rarement 120.000 roupies (6,4 euros), juste de quoi nourrir sa famille.
Un maigre revenu loin du salaire minimum mensuel de Jakarta, qui s’élève à cinq millions de roupies (260 euros) selon l’Agence indonésienne des statistiques.
« Depuis que j’ai été licencié en 2019, je mendie »
« Je ne vais pas déjeuner, mais juste me désaltérer et fumer une cigarette », dit Ari, dans un pays où la population se plaint du coût de la vie.
Cette photo prise le 7 avril 2025 montre un artiste de rue, Ari Munandar, tenant sa fille Arisya Putri Wahyuni alors qu’il achète des snacks à un kiosque près de la voie ferrée le matin, avant de se peindre le corps en argent à Jakarta. (YASUYOSHI CHIBA/AFP via Getty Images)
Le prix du kilo de riz, aliment de base dans l’archipel, a bondi de 27% entre 2015 et 2025, selon l’agence des statistiques.
Le peu d’offres d’emploi est la principale raison pour laquelle des jeunes, hommes ou femmes, doivent se résoudre à faire la manche.
« Depuis que j’ai été licencié en 2019, je mendie », raconte Ari. « Avant cela, je nettoyais des toilettes. »
Selon les données officielles, le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté (fixé à 595.000 roupies par mois, soit 31 euros) dans la métropole de 11 millions d’habitants est passé de 362.000 en 2019 à 449.000 en septembre 2024.
« Une énorme augmentation de la mendicité »
« À Jakarta (…) de nombreux jeunes de 20 à 40 ans avec peu de qualifications se sont retrouvés au chômage », relève Bhima Yudistira, directeur du Centre d’études économiques et juridiques de Jakarta.
« Même s’il n’existe pas de décompte national, il y a eu une énorme augmentation de la mendicité depuis le confinement de 2021 (Covid19) », ajoute-t-il.
Après cinq heures à tourner sur le même carrefour, les trois compagnons d’infortune rentrent chez eux. Entassés à l’arrière d’un tuk-tuk, ils comptent leurs maigres gains et allument une cigarette qu’ils se partagent.
Cette photo prise le 1er avril 2025 montre les artistes de rue Keris Munandar (à g.), son frère Ari Munandar (ctre) et leur voisin Riyan Ahmad Fazriyansah (à dr.), comptant leurs pourboires sur le chemin du retour dans un taxi à trois roues après s’être produits à un carrefour à Jakarta. (YASUYOSHI CHIBA/AFP via Getty Images)
Retour dans leur bidonville
Bien loin des rutilants gratte-ciel du centre-ville, ils regagnent leur bidonville coincé entre une voie de chemin de fer et une rivière à l’eau crasseuse et nauséabonde.
Cette photo prise le 7 avril 2025 montre l’artiste de rue Ari Munandar (2e à dr.) tenant sa fille Arisya Putri Wahyuni avant de se peindre le corps en argent à Jakarta. (YASUYOSHI CHIBA/AFP via Getty Images)
Des enfants jouent sur les rails au rythme des trains qui sifflent.
Leurs modestes habitations, qui ne font pas plus 15 m2, sont faites de toile et de bois abîmés par le temps.
« Au début, la peinture me brûlait »
À la nuit tombée, Ari, accroupi, s’asperge le corps d’eau, éclairé par une lampe torche que tient son épouse, Wahyu Ningsih.
Cette photo prise le 1er avril 2025 montre Keris Munandar, artiste de rue, se préparant à prendre un bain pour nettoyer son corps recouvert de peinture argentée à son domicile de Jakarta. (YASUYOSHI CHIBA/AFP via Getty Images)
Sous le regard de leur fille d’un an, il se frotte énergiquement la peau pour effacer les dernières traces de la peinture huileuse et collante.
Cette photo prise le 1er avril 2025 montre Keris Munandar, artiste de rue, se baignant pour nettoyer la peinture argentée de son corps tandis que sa fille Nimas Apriyani l’aide devant leur maison à Jakarta. (YASUYOSHI CHIBA/AFP via Getty Images)
« J’espère qu’elle ne fera jamais ce que je fais »
« Au début, la peinture me brûlait, j’ai gardé une cloque dans le cou. Aujourd’hui, ça ne me pique plus que les yeux », confie Ari.
Une fois séché, il file chez lui et joue avec sa fille. « Dès que je suis ici, j’oublie toute la fatigue », sourit-il, avant de confier un dernier vœu, le regard plein d’amour pour son enfant : « J’espère qu’elle ne fera jamais ce que je fais. »