Elisa Rojas, l’avocate qui rend visibles les femmes handicapées

7 mai 2021 INTERNATIONAL

Un fauteuil, une robe, un « combat »: à 42 ans, l’avocate franco-chilienne Elisa Rojas secoue le militantisme avec une gouaille et une écriture provocatrices pour que les personnes handicapées puissent jouir de la même liberté que les autres.

Apparue en couverture du magazine Marie Claire le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, elle est une des rares femmes handicapées en fauteuil roulant à avoir fait la Une d’un féminin.

Un « symbole », revendique à l’AFP cette militante de longue date, qui se méfie toutefois de l’image de « nouveau visage » qu’on lui prête.

« En termes de représentation, c’est important de voir une femme handicapée. Mais je sais qu’être exposée est à double tranchant », poursuit celle qui a récemment publié son premier livre, « Mister T & moi » (Editions Marabout), une romance engagée dans laquelle une femme handicapée tombe amoureuse d’un homme qui ne l’est pas.

Spécialisée dans les droits des travailleurs

Elisa Rojas n’aime pas tellement parler d’elle. Et déplore qu’on donne trop souvent la parole aux personnes handicapées pour « des témoignages plein de pathos, jamais pour l’expertise ».

Avocate au barreau de Paris, spécialisée dans les droits des travailleurs, elle ne cache toutefois pas les obstacles qui se sont érigés sur son chemin.

Née en 1979 au Chili, elle arrive en France à deux ans. Ses parents s’installent d’abord en Bretagne puis à Paris pour que leur fille, atteinte d’une maladie rare qui fragilise ses os et ralentit sa croissance, puisse bénéficier des meilleurs traitements.

Ses premières années sont rythmées par les opérations chirurgicales et une scolarité dans des établissements spécialisés pour enfants handicapés.

Elle en garde un souvenir douloureux, et a fait de la « désinstitutionalisation », c’est-à-dire le fait de sortir les personnes handicapées des institutions, le « cœur du combat ».

« On vit dans une société qui trouve normal de regrouper les personnes handicapées entre elles et les couper du reste de la société. Si on considérait notre présence comme naturelle, l’aide humaine, technique, et l’accessibilité couleraient de source », plaide l’avocate, balayant les critiques de ses détracteurs qui la jugent « extrémiste et irrationnelle ».

Bac littéraire, études de droit, Elisa Rojas est « la bonne élève méritante handicapée ». Celle aussi que ses camarades doivent porter dans les escaliers et qui ne peut pas sortir seule par manque d’accessibilité.

Son premier livre, d’apparence léger

Elle ne se plaint pas. Elle écrit. Relatant avec réalisme et cynisme le quotidien des personnes handicapées, d’abord à son meilleur ami, puis sur son blog « Aux marches du palais » et sur Twitter, où elle est suivie par près de 20.000 personnes.

C’est en 2004 qu’elle se fait connaître: « Je m’appelle Elisa, j’ai 25 ans et je suis née avec une maladie génétique », écrit-elle dans une lettre au fort retentissement publiée dans Le Monde pour dénoncer la « sensiblerie » du Téléthon, une « émission racoleuse » qui ne « fait qu’illustrer le désengagement des pouvoirs publics et le retard honteux de la France à l’égard de ses malades et de ses handicapés ».

Plus de quinze ans plus tard, son premier livre, d’apparence léger, souvent drôle, est aussi la critique acerbe d’une société « qui infantilise, invisibilise, et rend vulnérables » les personnes handicapées.

Car au-delà d’un amour déçu, réellement vécu, cet épisode a été un « déclencheur du militantisme ». « J’ai pris conscience que c’est la société dans laquelle je me suis construite en tant que femme handicapée qui m’a donné des idées toxiques et qu’il nous fallait plus de prises de parole publiques pour rompre avec le discours institutionnel », explique-t-elle.

« Cette présence qui attire le regard »

En 2016, elle cofonde un collectif pour lutter contre le « validisme », le fait que les personnes valides se sentent supérieures à celles qui sont handicapées. Depuis, d’autres se sont créés, à l’instar du collectif de femmes « Dévalideuses ».

« Sa force, c’est qu’elle n’a pas peur. Elle maîtrise les réseaux sociaux, la plaidoirie, et elle a cette présence qui attire le regard », estime son amie la réalisatrice afro-féministe Amandine Gay, qui partage avec elle l’activisme et le sens de la fête.

Leur dernier karaoké dans un bar, avant la pandémie, s’est terminé prématurément car les toilettes handicapés étaient « inaccessibles, remplies de fûts de bière et de cartons », raconte Amandine Gay.

« Elisa, elle a tracé un chemin pour plein de personnes handicapées. Mais il est encore long. »