La promesse perdue d’Internet

Par Jeffrey A. Tucker
6 octobre 2023 14:07 Mis à jour: 6 octobre 2023 14:07

Oui, nous aimons tous être en ligne. C’est ainsi que nous restons en contact, lisons et entendons les nouvelles, regardons des films, effectuons des opérations bancaires, achetons, vendons, trouvons notre itinéraire, surveillons notre santé, influençons la culture et la politique, lisons des livres et, d’une manière générale, restons en contact avec le monde. Je suis un adepte de l’Internet depuis 1995 environ, si ce n’est plus, et je suis le dernier à jeter l’opprobre sur l’ensemble de ce système.

Et pourtant, mon cœur souffre parfois de la différence qui sépare ce qu’il promettait de ce qu’il est devenu. Avant qu’une génération entière ne l’oublie, l’objectif de l’internet, du web, de l’économie des applications et de tout ce que nous y associons était de renforcer la liberté. Il allait briser les cartels de l’information et permettre à chacun de s’exprimer. Certains d’entre nous sont allés plus loin, croyant que le monde numérique dans son ensemble permettrait de s’émanciper du contrôle de l’État et des entreprises.

Dans mon propre raisonnement, dont je reconnais aujourd’hui qu’il était en grande partie erroné, le monde physique était toujours limité par le manque de ressources et donc vulnérable au contrôle exercé par le gouvernement. Or, le monde numérique est alimenté par l’information, infiniment malléable et reproductible, et par conséquent sans limites. Il était également moins sujet au contrôle et offrait donc une nouvelle chance pour la liberté.

Le but était de donner du pouvoir aux individus et d’encourager la démocratie. Le nom YouTube, par exemple, a une raison d’être. L’idée était de donner à chacun la possibilité de contribuer à une expérience télévisuelle non censurée et d’en faire partie. Aujourd’hui, cependant, les démantèlements sont monnaie courante sur la plateforme pour un large éventail de sujets considérés comme controversés. Faites un numéro de danse et vous n’aurez rien à craindre ; mettez en garde contre les effets néfastes des vaccins et vous serez frappé par la censure.

La plateforme a été achetée par Google, une entreprise qui avait autrefois juré qu’elle ne serait pas maléfique. Nous aurions dû nous douter que quelque chose n’allait pas du tout lorsque l’entreprise a supprimé ce slogan. C’était un aveu : nous allons maintenant faire le mal. Entre Google et toutes ses propriétés, et les autres grandes entreprises qui dominent le monde en ligne, Internet est devenu un outil et un porte-parole des gouvernements, aussi incroyable que cela puisse paraître.

Je me souviens avoir eu des débats avec d’autres personnes au début des années 2010 qui affirmaient que le monde numérique offrait à l’État un pouvoir sans précédent pour surveiller, censurer et contrôler la population. Je disais le contraire. Je me souviens avec tristesse d’un débat en particulier. C’était avec Ladar Levison, qui a créé Lavabit et Silent Circle avec Phil Zimmerman, célèbre pour PGP (Pretty Good Privacy : Algorithme cryptographique hybride permettant entre autres de chiffrer et signer des données). Il a raconté comment il avait choisi de fermer son service de messagerie électronique très populaire plutôt que de coopérer avec l’Agence nationale de sécurité en accordant effectivement une porte dérobée au gouvernement.

J’ai dit à l’époque qu’il s’agissait sûrement d’un revers temporaire. Nous finirions par trouver la voie de la liberté parfaite grâce à la technologie. À l’époque, j’avais même adopté le même point de vue à l’égard des révélations étonnantes d’Edward Snowden concernant le déploiement par le gouvernement d’outils de surveillance touchant (il y a dix ans) au moins un quart de million de personnes. Ce que Snowden a fait en risquant sa liberté et sa vie pour informer les Américains était tout à fait héroïque. Je l’ai ressenti à l’époque et je l’ai dit. Et pourtant, rien ne pouvait ébranler ma conviction que de telles pratiques étaient tellement anti-américaines qu’elles ne pouvaient certainement pas durer.

Malheureusement, mon optimisme fou m’a complètement aveuglé face aux tempêtes qui s’annonçaient. Repensez à cette période. Il y a dix ans, les allégations et les preuves de Snowden ont secoué la presse mondiale. Il a dû se rendre à Hong Kong et finalement en Russie, où il vit toujours. Qu’a-t-on fait précisément à la lumière de ses révélations pour corriger le système de sorte que nos droits ne soient plus régulièrement violés par notre propre gouvernement ? Je n’ai pas la moindre idée de ce qui a été fait à ce sujet.

On peut s’interroger sur l’attitude de Snowden à l’égard de cette expérience. Il a renoncé à sa stabilité professionnelle et a risqué sa vie pour informer le monde de ce qui se passait. Il croyait sûrement que quelque chose en résulterait, peut-être des efforts législatifs importants pour restaurer le rêve initial que représentait l’internet. Je me demande ce qu’il doit penser maintenant que nous avons accumulé de nombreuses preuves qui montrent que ce qu’il avait découvert n’était qu’un début.

Dix ans plus tard, nous sommes confrontés à un puissant complexe industriel de censure qui implique le gouvernement, les entreprises, les universités, les organisations non gouvernementales, les fondations privées, les bureaucraties mondiales et un énorme enchevêtrement de bosquets corporatistes de surveillance et de contrôle. Cette machinerie bureaucratique militarisée fonctionne avec très peu de surveillance réelle, voire aucune, et sans aucune réticence réelle quant à la légalité et à la moralité de ce qu’elle entreprend. Même les procès en cours ne semblent pas faire bouger les choses.

L’affaire Missouri v. Biden est particulièrement intéressante dans ce contexte. Elle a commencé avec quelques scientifiques qui ont remarqué que la censure exercée sur les médias sociaux coïncidait directement avec des courriels du directeur des Instituts nationaux de la santé portant sur une réfutation rapide et dévastatrice de la déclaration de Great Barrington. Ce constat a suscité la curiosité quant à l’existence d’un lien possible entre le gouvernement et la censure, qui violerait clairement le premier amendement.

Mais au fur et à mesure que l’affaire avançait, Twitter changeait de mains et découvrait bien d’autres pressions gouvernementales. Lorsque des chercheurs et des avocats ont su où chercher, ils ont déniché une machine impressionnante et effrayante qui fonctionnait depuis de nombreuses années, à savoir depuis l’élection du président Donald Trump. C’est comme si le régime tout entier avait décidé qu’internet représentait une menace fondamentale pour le contrôle de la classe dirigeante sur l’ensemble du système politique. Ils étaient déterminés à ce que cela ne se reproduise jamais.

Le prétexte du Covid-19 a permis de faire un nouveau grand pas en avant dans la surveillance numérique sur tous les fronts. L’excuse du test, du suivi et de la traçabilité d’un virus a fourni le prétexte à des atteintes considérables à la vie privée, voire à une tentative pour imposer des passeports vaccinaux dans les États. Cette tentative n’a pas été couronnée de succès et a fini par échouer. Mais gardez à l’esprit que ce n’était que la première tentative. Ce n’est pas comme si la motivation derrière le contrôle total via Internet avait disparu ; il s’agit simplement d’un revers temporaire dans un domaine.

La perspective la plus alarmante en matière de surveillance numérique vient de l’intention de créer une banque centrale de monnaie numérique qui permettrait au gouvernement de contrôler directement les moyens de subsistance des citoyens, autorisant la construction d’un système de crédit social à la chinoise qui mettrait effectivement fin à la démocratie et à la liberté telles que nous les connaissons.

Je repense à ces deux décennies qui ont suivi le tournant du millénaire et je suis étonné de ma propre naïveté sur ce sujet. Beaucoup de gens la partageaient. Nos libertés et nos droits étaient en train de disparaître, et l’outil qu’ils utilisaient pour y parvenir est le système même que moi et d’autres avions longtemps célébré comme l’instrument de notre libération. Cette conviction a provoqué une sorte d’aveuglement face aux troubles qui grandissaient sous notre nez.

Pour ma part, il a fallu les confinements de mars 2020 pour me réveiller sur la réalité qui se préparait depuis des années. Une fois que je l’ai vu, je n’ai pas pu l’ignorer. Il m’a fallu une période d’adaptation incroyable pour passer du statut de techno-utopiste heureux à celui de chroniqueur plus réaliste capable d’expliquer comment la vision originale de l’ère numérique s’est trouvée complètement trahie. Trois ans plus tard, je suis beaucoup plus enclin à regarder avec plus de sympathie des communautés telles que les Amish, qui ont échappé à tout ce système.

La vision initiale peut-elle être rétablie ? Pas sans un changement radical de la trajectoire existante. Nous avons besoin de toutes les mains sur le pont si nous voulons éviter que nos libertés et nos droits ne soient dévorés par un Léviathan numérique. Il est triste de constater que le système que nous pensions être le plus grand ami de la liberté est devenu l’une des plus grandes menaces auxquelles nous sommes confrontés.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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