Le scandale autour des élèves enchaînés des écoles coraniques au Sénégal divise le pays

Par Epoch Times avec AFP
1 décembre 2019 07:31 Mis à jour: 3 décembre 2019 13:40

Au mois de juin dernier, Human Rights Watch avait dénoncé le fait que « plus de 100 000 enfants seraient forcés de mendier chaque jour par leur maître coranique, sous peine de brimades physiques ou psychologiques ».

Un maître d’école coranique peut-il impunément maintenir ses élèves enchaînés ? Le Sénégal se déchire sur une retentissante affaire confrontant traditions et droits de l’enfant, emprise des confréries religieuses et autorité de l’État. L’image d’un garçon chaînes aux pieds a déclenché un vif débat dans ce pays ultra-majoritairement musulman.

L’enfant sur la photo est élève, avec des dizaines d’autres, de la « daara » de Ndiagne (nord-ouest), une des milliers d’écoles coraniques du Sénégal. Il a été repéré traînant dans la rue le 22 novembre. Le scandale n’aurait pas éclaté – et n’aurait pas eu lieu d’être – si ceux qui l’ont trouvé n’avaient largement diffusé cette image sur les réseaux sociaux, disent de nombreux défenseurs du marabout, le maître coranique.

Le sort de l’enfant et de ses camarades a envoyé leur maître, mais aussi leurs parents devant le juge. Il a provoqué le saccage d’un tribunal. Il est remonté jusqu’aux guides religieux, avec cette question : laisseront-il condamner le maître ?

Enchaînés pour ne pas fuguer

Dans un pays en développement, mais où la pauvreté affecte environ 40% de la population, de nombreux enfants déguenillés errent chaque jour jusque dans le centre de Dakar.

Human Rights Watch avait dénoncé en juin le fait que « plus de 100 000 enfants seraient forcés de mendier chaque jour par leur maître coranique, sous peine de brimades physiques ou psychologiques » et  « seraient 30 000 rien que dans la capitale ». Beaucoup de ces élèves, ou talibés, sont victimes d’abus sévères et de négligences qui ont entraîné la mort d’une quinzaine d’entre eux ces deux dernières années, selon l’ONG. Tout cela dans une grande indifférence. Mais, cette fois, les langues se sont déliées, pour accabler ou défendre le marabout et la coutume.

D’autres enfants ont été découverts entravés dans l’école. Le maître, quatre pères et mères, ainsi que le forgeron qui a confectionné les chaînes, ont été arrêtés. Ils ont comparu mercredi devant le juge, et ont reconnu les faits. Le maître coranique, Cheikhouna Guèye, a expliqué que les parents demandaient qu’on entrave les enfants pour les empêcher de fuguer, certains les amenant déjà entravés.

Les parents en sont convenus. Ils ont déclaré qu’ils voulaient juste que leur fils apprenne le Coran. Tous ont dit qu’ils n’auraient pas agi de la sorte s’ils avaient su que c’était interdit. Le père d’un des enfants, Mor Loum, a dit à l’audience qu’il était paysan et que son fils avait fugué dix fois. « Quand il disparaît, j’arrête mon travail pour me mettre à sa recherche », a-t-il dit selon la presse.

Un enfant avec un verset du Coran. (Photo : CARL DE SOUZA/AFP via Getty Images)

« C’est un bon maître »

Le parquet a requis deux ans de prison, dont deux mois ferme, contre Cheikhouna Guèye. Le jugement sera rendu mercredi. Mais quand les dizaines de proches, fidèles et autres maîtres coraniques venus soutenir Cheikhouna Guèye ont appris que la justice refusait de relâcher les prévenus avant cette date, ils ont passé leur colère sur les portes et les meubles du tribunal.

« L’État doit prendre ses responsabilités »

Ces maîtres, « on veut les humilier », a dit Abdou Samathe Mbacké. Ce dernier dirigeait une forte délégation de maîtres coraniques qui est allée prendre les instructions du calife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké. Les mourides sont une des quatre principales confréries musulmanes du pays. Elles jouent un rôle prépondérant dans la vie des Sénégalais. Les chefs de ces confréries sont des figures éminemment respectées, très écoutées aussi des politiques.

« Je pense qu’il y a eu un traumatisme dans tout le Sénégal. C’est l’occasion de dénoncer ça et demander à l’État qu’il faut aller jusqu’au bout. Il faut traduire les auteurs de ces actes de tortionnaires, disons-le carrément, de maltraitance extrêmement grave et tous ceux qui sont coupables. L’État doit aller plus loin. Aujourd’hui, tous ceux qui se solidarisent par rapport à cet acte ignoble doivent être poursuivis », commente Mamadou Wane, coordinateur pour la protection des droits humains.

« Enchaîner les enfants ne signifie pas les maltraiter », lancent les partisans du maître.

Enchaîner les enfants est une « vieille pratique », a dit le chef de la délégation au leader spirituel des mourides. Il dénonce une campagne menée par des organisations étrangères de défense des droits humains. Le calife a préconisé d’attendre le jugement. Des propos diversement rapportés par les médias comme temporisateurs ou menaçants pour la justice et l’État.

Le dossier, évoqué au parlement vendredi, est délicat pour le gouvernement. Le président Macky Sall a rendu visite au calife des mourides au lendemain du procès.« L’État doit prendre ses responsabilités », a déclaré le sociologue Mamadou Wane, « aucune morale, aucune philosophie, aucune loi n’accepte » qu’on enchaîne des enfants.

Mais « on a un État qui se cache. L’État a peur » des religieux, tranche-t-il.

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