Le Turkménistan épargné par le coronavirus: véritable immunité ou affirmation d’Etat ?
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-Le président turkmène Gurbanguly Berdymukhamedov nie les effets du coronavirus dans son pays, il s’agit de mettre en avant les bonnes politiques du président, de combien il se soucie de la bonne santé des Turkmènes. Photo DMITRY KOSTYUKOV / AFP via Getty Images.
Le Turkménistan, un des rares pays à être épargné par le Covid-19 – selon les déclarations officielles – continue à organiser de grands rassemblements publics. Mais des experts doutent de ces affirmations, relevant que l’ex-république soviétique n’est guère habituée à reconnaître les mauvaises nouvelles.
Pays d’Asie centrale, parmi les plus fermés et autoritaires de la planète à l’instar de la Corée du Nord, le Turkménistan a fêté comme tous les ans en grand pompe la journée mondiale de la santé le 7 avril.
En rang serré, loin de tous les principes de distanciation sociale et de confinement imposées à des milliards d’êtres humains, les fonctionnaires turkmènes ont défilé en vélo et dans des survêtements identiques à travers la capitale Achkhabad pour célébrer un mode de vie sain.
La rentrée scolaire comme prévu
Le président Gourbangouly Berdymoukhammedov, un ancien ministre de la Santé qui aime s’afficher
en train de faire du sport, a lui-même fait un tour à vélo avec des subordonnés et une randonnée équestre, selon des images diffusées à la télévision.
La rentrée scolaire a, elle, eu lieu lundi comme prévu, après les vacances de printemps.
Ces initiatives semblent quelque peu paradoxales quand, parallèlement, les autorités ont adopté des mesures destinées à prévenir une épidémie du nouveau coronavirus dans le pays.
La fédération de foot, comme ailleurs dans le monde, a ainsi suspendu le championnat « en conformité avec les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé ».
-Une photo du président turkmène Gurbanguly Berdymukhammedov est vue sur la piste présidentielle à Achgabat. Photo MIKHAIL KLIMENTYEV / AFP via Getty Images.
Manifestation contradictoire
Le président a, lui, appelé ce mois-ci « toutes les populations à se faire dépister » et un numéro de téléphone spécial a été créé pour informer les Turkmènes sur les mesures pour se prémunir contre le Covid-19.
Selon les observateurs de ce pays reclus, ces comportements en apparence contradictoires ne sont pas surprenants car ils servent le discours paternaliste du chef de l’Etat.
« Il s’agit toujours de mettre en avant les bonnes politiques du président, de combien il se soucie de la bonne santé des Turkmènes », juge Rouslan Miatiev, un Turkmène émigré qui pilote depuis l’Europe un site d’information sur son pays, « Alternative Turkmenistan News ».
Ainsi, « d’un côté on entend dire que les conducteurs de voitures sont arrêtés à des points de passage pour des contrôles de température, de l’autre des rassemblements sont organisés où personne ne se soucie de la prévention du coronavirus », poursuit-il.
Cacher la gravité d’une crise
Selon lui, il est peu probable que le Turkménistan n’ait aucun cas de Covid-19, notant par exemple qu’Achkhabad affirme aussi n’avoir aucun cas de HIV.
« Je connais des Turkmènes qui vivent avec le sida pourtant », dit-il.
Pour Kate Mallinson, chercheuse au programme Russie et Eurasie du centre de réflexion Chathamm House, les autorités au Turkménistan fonctionnent encore comme à l’époque soviétique, où le premier réflexe était bien souvent de cacher la gravité d’une crise.
« Ne pas reconnaître les mauvaises nouvelles »
« Ils souffrent encore de cette mentalité +Tchernobyl+ et ne vont pas reconnaître les mauvaises nouvelles », dit-elle, en référence à la catastrophe nucléaire que l’URSS a voulu cacher au monde.
Ainsi, alors que les experts s’accordent pour dire que le Turkménistan et son économie très dépendante des exportations d’hydrocarbures ne se sont pas encore remis de la crise de 2014, Achkhabad revendique pour l’année 2019 pas moins de 6,2% de croissance.
https://youtu.be/uiemF4nlzrM
Et le pays ne devrait pas être immunisé face à la crise économique provoquée par le nouveau coronavirus, sa principale source de revenus étant le gaz naturel et son principal client la Chine.
Le pays « va ressentir un coup significatif avec le ralentissement économique mondial causé par la pandémie et du fait de la chute des cours des hydrocarbures », note Mme Mallinson, qui doute fort, encore une fois, qu’Achkhabad l’admettra.