Les antidépresseurs liés à l’augmentation des superbactéries – une nouvelle étude inquiétante

La résistance aux antibiotiques rend les agents pathogènes que nous rencontrons couramment potentiellement mortels

Par Emma Suttie
6 février 2023 11:59 Mis à jour: 6 février 2023 15:15

Le terme « superbactéries » se réfère à des bactéries qui résistent à pratiquement tous les antibiotiques courants. L’utilisation excessive des antibiotiques en serait la cause. Dans leur lutte pour la survie, les bactéries se sont adaptées. Un nombre croissant d’antibiotiques sont donc devenus inefficaces face à un nombre croissant d’infections bactériennes.

Une nouvelle étude publiée dans PNAS le 23 janvier 2023 montre que les antidépresseurs (certains des traitements les plus prescrits au monde), provoquent une résistance aux antibiotiques. Ils donnent aux bactéries le potentiel de devenir de dangereuses superbactéries.

« Même après une exposition de quelques jours, les bactéries développent une résistance aux médicaments, non seulement contre un mais plusieurs antibiotiques », explique dans Nature le Pr Jianhua Guo, un des auteurs de l’étude et professeur à l’Australian Centre for Water and Environmental Biotechnology de l’Université du Queensland. « C’est à la fois intéressant et inquiétant. »

Durant les travaux, les chercheurs ont exposé la bactérie Escherichia coli ou E. coli à cinq antidépresseurs courants : la sertraline (Zoloft), la duloxétine (Cymbalta), le bupropion (Wellbutrin), l’escitalopram (Lexapro) et l’agomélatine (Valdoxan). Ensuite, sur une période de deux mois, l’équipe a exposé la bactérie à treize antibiotiques représentant six classes de médicaments différentes.

Chacun des antidépresseurs a entraîné une plus forte résistance aux antibiotiques chez E. coli, mais deux en particulier, la sertraline (Zoloft) et la duloxétine (Cymbalta), ont eu les effets les plus prononcés. Ils ont produit le plus grand nombre de cellules bactériennes résistantes.

Le Pr Guo a commencé à s’intéresser aux médicaments contribuant à la résistance aux antibiotiques en 2014. Son laboratoire a constaté à l’époque qu’il y avait plus de gènes résistants aux antibiotiques dans les eaux usées domestiques que dans les eaux usées des hôpitaux.

Son équipe (et d’autres) ont découvert que les antidépresseurs étaient capables de tuer ou de ralentir la croissance de certaines bactéries. Selon le Pr Guo, c’est ce qui enclenche un mécanisme de défense des bactéries, une « réponse SOS ». Ce mécanisme leur permet de survivre et résister ensuite aux traitements antibiotiques.

Ces résultats l’ont conduit à mener la présente étude.

L’étude de deux mois a bel et bien démontré que les antidépresseurs provoquent une résistance aux antibiotiques. Mais elle a aussi révélé deux phénomènes inquiétants. Premièrement, plus la dose d’antidépresseurs est élevée, plus E. coli apprend à résister rapidement. Deuxièmement, plus la dose est élevée, plus grande est la variété d’antibiotiques auxquels E.  coli résiste.

Les bactéries présentes dans des environnements bien oxygénés développaient une résistance plus rapidement que celles présentes dans des conditions de laboratoire à faible teneur en oxygène. Cela pourrait être une bonne nouvelle. L’intestin humain, où se développe E. coli, est un environnement à faible teneur en oxygène.

L’étude a également révélé qu’au moins un des antidépresseurs, la sertraline, vendue sous le nom de Zoloft, stimule la transmission des gènes entre les cellules bactériennes. En d’autres termes, l’antidépresseur stimule la propagation de la résistance parmi la population bactérienne. Ces transferts peuvent se produire entre différents types de bactéries. La résistance peut être transmise d’une espèce à l’autre. Elle peut passer des bactéries inoffensives à des bactéries infectieuses.

L’utilisation excessive des antidépresseurs

Dans le monde entier, la résistance aux antibiotiques constitue une grave menace pour la santé publique. On estime que 1,2 million de personnes sont mortes des conséquences directes de la résistance aux antibiotiques en 2019. Ce chiffre augmentera dans les années à venir.

Une étude épidémiologique menée par l’Université de Bristol et publiée dans le British Journal of Psychiatry Open, a analysé les données de plus de 200.000 personnes. Les chercheurs ont examiné l’utilisation à long terme d’antidépresseurs, sur cinq ans et sur dix ans. Ils ont cherché à déterminer si cette consommation pouvait être associée à six grands problèmes de santé : le diabète, l’hypertension artérielle, les maladies coronariennes, les accidents vasculaires cérébraux (et les syndromes connexes), le décès par maladie cardiovasculaire et enfin, plus globalement, le décès provoqué par tout type de pathologies.

Les chercheurs ont constaté que l’utilisation à long terme d’antidépresseurs était associée à un risque accru de maladie coronarienne et à un risque accru de décès par maladie cardiovasculaire ou autre. L’étude note que les risques étaient plus élevés pour les personnes prenant des antidépresseurs non ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine), qui comprennent la mirtazapine, la venlafaxine, la duloxétine et la trazodone, et que leur utilisation était associée à un risque deux fois plus élevé de maladie coronarienne, de mortalité cardiovasculaire et de mortalité toutes causes confondues au bout de 10 ans.

Selon le Pharmaceutical Journal, les prescriptions d’antidépresseurs au Royaume‑Uni ont augmenté de 35% au cours des six dernières années, et ces prescriptions ont augmenté de 5,1% en 2021/2022, soit la sixième année consécutive.

Quel est le danger de la résistance aux antibiotiques ?

Selon l’Organisation mondiale de la santé, la résistance aux antibiotiques est une des plus grandes menaces pour la santé, la sécurité alimentaire et le développement dans le monde. Elle indique qu’une liste croissante d’infections, dont la pneumonie, la tuberculose, l’empoisonnement du sang, la gonorrhée et les maladies d’origine alimentaire, deviennent plus difficiles, voire impossibles à traiter, car les antibiotiques deviennent moins efficaces.

L’OMS prévient que « sans action urgente, nous nous dirigeons vers une ère post-antibiotique, dans laquelle des infections courantes et des blessures mineures peuvent à nouveau tuer. »

Parmi les infections bactériennes les plus meurtrières figurent la tuberculose, l’anthrax, le tétanos, la pneumonie, le choléra, le botulisme et les infections à pseudomonas. Le SARM, ou Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline, est une des infections les plus courantes qui sont devenues résistantes aux antibiotiques. Les symptômes commencent généralement par des bosses rouges gonflées et douloureuses sur la peau, qui ressemblent à des boutons ou à des piqûres d’araignée. De nombreux cas sont bénins, mais certains peuvent provoquer des infections plus graves qui peuvent mettre la vie en danger. Le SARM étant difficile à traiter et résistant aux antibiotiques, il est souvent qualifié de « superbactérie ».

Implications pour les humains

Étant donné que ces effets n’ont été observés que dans des boîtes de Petri, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour savoir si les antidépresseurs pourraient favoriser l’apparition de superbactéries dans le corps humain ou dans l’environnement.

Les implications pour les humains sont difficiles à prévoir, mais les chercheurs ont signalé que les deux antidépresseurs qui ont exercé les effets les plus extrêmes et la plus grande résistance – la sertraline et la duloxétine – avaient provoqué des effets après seulement un jour d’exposition. En d’autres termes, à des concentrations cliniquement pertinentes dans le côlon humain (par exemple, 50 mg/L), il peut y avoir suffisamment d’antidépresseurs dans le côlon pour entraîner une résistance.

Une autre préoccupation est de savoir si les niveaux d’antidépresseurs dans les eaux usées peuvent entraîner une résistance des bactéries, ce qui pourrait constituer une crise de santé publique. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour bien comprendre quelles concentrations seraient significatives et leurs implications pour l’avenir.

Compte tenu des défis sans précédent auxquels le monde a été confronté ces dernières années et de la prévalence croissante des antidépresseurs, les nouvelles découvertes liant les antidépresseurs aux superbactéries donnent une raison supplémentaire d’explorer d’autres traitements de la dépression.

** Si vous prenez des antidépresseurs, n’arrêtez pas de les prendre brusquement. La façon la plus sûre de procéder est de réduire lentement la quantité sur plusieurs semaines ou mois. Si vous souhaitez diminuer votre dose ou arrêter complètement les antidépresseurs, veuillez consulter un professionnel de santé en qui vous avez confiance pour vous aider dans ce processus.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.