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Les violences contre les religieuses, un des derniers chantiers tabous de l’Église

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La secrétaire de l'Indian Women Theologians Forum et de l'Ecclesia of Women in Asia, l'Indienne Virginia Saldanha (C), participe à une manifestation de victimes d'abus sexuels et de membres de Ending Clergy Abuse (ECA), une organisation mondiale d'éminents survivants et militants qui se trouvent à Rome pour le sommet papal de cette semaine sur la crise des abus sexuels au sein de l'Église catholique, le 23 février 2019 sur la Piazza del Popolo, à Rome.

Photo: VINCENZO PINTO/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 7 Min.

C’est pour beaucoup l’un des derniers tabous de l’Église : les religieuses agressées sexuellement par des prêtres. Depuis quelques années, des témoignages, parfois à visage découvert, font surface sur ces violences qui seront l’un des chantiers attendant le futur pape.
« Dans le passé, les sœurs ont beaucoup souffert et ne pouvaient en parler à personne, c’était comme un secret », affirme à l’AFP sœur Cristina Schorck, arpentant la place Saint-Pierre avec ses parents. Cette Brésilienne de 41 ans, qui œuvre auprès des Filles de Marie Auxiliatrice à Rome, estime que le pape François a ouvert « une première porte » à la parole des femmes.
A un sommet inédit au Vatican sur les violences sexuelles en 2019 avait succédé une série de mesures : levée du secret pontifical sur les violences sexuelles du clergé, obligation pour les religieux et laïcs de signaler tout cas à leur hiérarchie, plateformes d’écoute…
« On n’en a jamais autant parlé qu’aujourd’hui »
« C’est à la fois encore un tabou et quelque chose qui a avancé » car « on n’en a jamais autant parlé qu’aujourd’hui, et pas seulement en France », analyse Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, pour l’AFP.

La théologienne française Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (CORREF), à Paris le 9 septembre 2021. (JOEL SAGET/AFP via Getty Images)

L’affaire Marko Rupnik
Emblématique de ce timide dégel, l’affaire Marko Rupnik, influent prêtre et artiste slovène, accusé par des religieuses de violences sexuelles et psychologiques au début des années 1990. C’est seulement sous pression que François lève la prescription en 2023 pour ouvrir une procédure contre le religieux.

Gloria Branciani (à g.) et Mirjam Kovac, deux anciennes religieuses ont accusé d’abus sexuels le Slovène Marko Rupnik, religieux et artiste mosaïste de renommée mondiale, assiste à une conférence de presse le 21 février 2024 au siège de l’Ordre des journalistes italiens, à Rome. Rupnik, 69 ans, est accusé d’avoir abusé sexuellement et psychologiquement d’au moins 20 femmes pendant près de 30 ans au sein d’une communauté religieuse en Slovénie. (ANDREAS SOLARO/AFP via Getty Images)

Les religieuses devraient être mieux protégées
L’avocate italienne de cinq femmes accusant ce prêtre, Me Laura Sgro, estime auprès de l’AFP que les religieuses devraient être mieux protégées « tant par les États que par le droit canonique », notamment en allongeant le délai pour porter plainte, et appelle le prochain pape à agir « immédiatement ».

Laura Sgro (à dr.), avocate de la famille Orlandi, parle à la presse alors que Pietro Orlandi, frère d’Emanuela Orlandi, s’entretient avec le promoteur de justice au Saint-Office du Vatican, à Rome, le 11 avril 2023. – Le Vatican a confirmé le 10 janvier 2023 qu’il avait ouvert une enquête sur sa plus célèbre affaire non résolue, la disparition d’une adolescente il y a 40 ans. Emanuela Orlandi, la fille de 15 ans d’un employé du Vatican, a été vue pour la dernière fois à la sortie d’un cours de musique à Rome le 22 juin 1983. (ANDREAS SOLARO/AFP via Getty Images)

Mais les associations reprochent au Vatican de ne pas être allé assez loin, notamment sur la question du secret de la confession.
François « a dénoncé toutes les formes d’abus »
« Les choses avancent pas à pas », affirme à l’AFP une haute responsable ecclésiastique sous couvert de l’anonymat, rappelant que François « a dénoncé toutes les formes d’abus ».
En noir, gris, blanc, beige ou marron, des dizaines de religieuses, venues pour étudier, travailler ou accompagner des pèlerins, s’affairent chaque jour sur la place Saint-Pierre, loin de l’emballement médiatique autour des cardinaux.
Parmi elles sœur Marthe, Camerounaise d’une quarantaine d’années, appelle surtout l’Église à « savoir comment » répondre aux « abus sexuels (ou) de pouvoir ».
Pour la première fois, une femme à la tête d’un « ministère » au Vatican
François a nommé en janvier, pour la première dans l’histoire deux fois millénaire de l’Eglise, une femme à la tête d’un « ministère » au Vatican. Mais de nombreuses voix réclament davantage de place pour les femmes, bien plus nombreuses dans l’Eglise que les hommes : 559.228 contre 128.559, selon le Vatican.
C’est l’héritage d’une « vision pyramidale », voire « machiste », constate la secrétaire générale des Augustines servantes de Jésus et Marie, Marta Gadaleta.
On ne traite pas les religieuses « comme des « domestiques »
En janvier, François avait lui-même appelé à « dépasser » la « mentalité machiste » au sein de l’Église, insistant pour qu’on ne traite pas les religieuses « comme des « domestiques ».
Le temps d’une pause, sœur Eugenia, 67 ans, d’origine africaine, se dit convaincue qu' »en luttant contre le cléricalisme, on lutte aussi contre tous les abus ».
L’Union internationale des supérieures générales (UISG) a elle pris les devants : une déclaration datant de 2016 les invite à signaler les violences, et des formations sont menées pour les « sensibiliser », explique sa secrétaire générale Patricia Murray.

La secrétaire exécutive de l’UISG (Union internationale des supérieurs généraux), la religieuse Patricia Murray, répond aux journalistes lors d’une conférence de presse sur « La protection des mineurs dans l’Église », dans le centre de Rome, le 25 février 2019. ( ANDREAS SOLARO/AFP via Getty Images)

Les sœurs doivent aussi connaître leurs droits
L’organisation a aussi créé en 2020, avec l’Union des supérieurs généraux, une commission pour promouvoir « une culture du soin et de la sauvegarde au sein des congrégations ».
Il faut des « relais » de ces formations auprès des communautés locales, prévient Mme Margron, qui estime que les soeurs doivent aussi connaître leurs droits et se connaître, y compris « leurs corps parce que malheureusement, ce n’est pas toujours le cas ». Surtout, dit-elle, « il ne faut pas tout attendre du Vatican » pour ne pas retomber « dans le même cléricalisme » consistant « à attendre la parole des hommes ».