Réduire simultanément la dette publique et la «dette climatique»: une mission impossible pour le nouveau ministre délégué aux Comptes publics?

Par Michel Pham
25 juillet 2023 13:00 Mis à jour: 26 juillet 2023 20:14

À peine nommé nouveau ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave a fait de la réduction du déficit public et du financement de la transition écologique – qu’il rebaptise « dette climatique » – ses priorités. Un chemin « sans issue » selon l’économiste Jean Peyrelevade. Le maire de Cannes, David Lisnard, a quant à lui averti que la transition écologique ne serait pas seulement une question d’ordre budgétaire.

L’Élysée a dévoilé jeudi dernier la nouvelle composition de l’équipe gouvernementale, avec peu de changements importants, à quelques exceptions près dont la promotion de Gabriel Attal à l’Éducation, laissant le siège du ministre délégué aux Comptes publics au député Renaissance Thomas Cazenave. Le nouveau ministre – « un fidèle de la Macronie » selon l’AFP  a fait vendredi dernier du redressement des comptes publics de la France et du financement de la transition écologique ses priorités.

Cependant, financer davantage la transition écologique sans aggraver le déficit public sera une « mission quasi-impossible » pour Irène Inchauspé, chroniqueuse de l’Opinion. La journaliste s’appuie sur un rapport de l’économiste Jean Pisani-Ferry et de l’inspectrice générale des finances Selma Mahfouz pour trouver des arguments à son affirmation. Portant sur « les incidences économiques de l’action climatique », ce rapport évalue à 66 milliards d’euros d’investissements supplémentaires – dont 34 milliards de dépenses publiques  qu’il faut engager chaque année, d’ici 2030, afin de réussir la transition écologique programmée par le gouvernement. De quoi poser un dilemme entre la réduction du déficit public d’une part et l’augmentation de l’investissement public pour la transition écologique d’autre part.

« Dette climatique »

Le prédécesseur de Thomas Cazenave, Gabriel Attal  lorsqu’il était encore à la tête du ministère du Budget  a reformulé ce dilemme sur France Info comme suit : « S’endetter pour investir dans la transition était utile pour le pays, la planète, l’économie, les recettes fiscales (…). Mais la priorité est le désendettement de notre pays ».

Le nouveau ministre délégué aux Comptes publics a quant à lui proposé sa propre version du même dilemme en renommant la transition écologique comme étant une « dette climatique ». « La dette financière n’est pas notre seule dette. Tenir nos engagements, c’est aussi réduire notre dette climatique », a insisté Thomas Cazenave avant d’ajouter : « Nous devons réduire ces deux dettes, financière et climatique, en poursuivant le travail de réorientation de nos dépenses et de soutien aux investissements nécessaires pour la transition écologique ».

Si la dette publique s’élève à 3013,4 milliards d’euros, soit 112,5% du PIB au 1er trimestre de 2023, d’après un calcul de l’Insee, le montant de la « dette climatique » est plus difficile à chiffrer. Cette « dette climatique » peut néanmoins être estimée en additionnant, d’une part, les 66 milliards d’euros d’investissements annuels supplémentaires projetés par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, et d’autre part, le niveau actuel de l’investissement dédié à la transition écologique. Ce dernier s’élève « aujourd’hui » à « 120 milliards d’euros par an, tout confondu, secteur public et privé », à en croire Élisabeth Borne au micro du Parisien.

Un chemin « sans issue »

Selon Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, environ la moitié de ces 66 milliards d’euros supplémentaires serait annuellement à la charge de l’État si ce dernier poursuit sa politique actuelle de transition écologique.  Ils proposent à Matignon de redéployer « des dépenses, notamment des dépenses budgétaires » et d’avoir recours à « de l’endettement » complémentaire, et à « un accroissement des prélèvements obligatoires », lequel « sera probablement nécessaire ». Cette proposition est pour autant très vite écartée par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qui a déclaré lors de son déplacement aux Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence que « l’augmentation des impôts ou de notre dette » n’étaient « pas de bonnes options ».

L’économiste Jean Peyrelevade a qualifié cette attitude de Bruno Le Maire « d’homéopathie fiscale ». Le polytechnicien (X1958) assure au contraire qu’« un effort massif de redistribution est donc inévitable » du fait que « la transition climatique sera spontanément très inégalitaire ».

En outre, l’ancien directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy estime que la transition écologique impliquerait indiscutablement une « réorientation de notre appareil productif », qui « se traduira probablement, au moins pendant quelques années, par une perte de productivité ». En d’autres termes, réduire la « dette climatique » nécessitera selon lui un ralentissement de croissance économique. Par conséquent, financer encore davantage la transition écologique en ne s’appuyant sur « ni impôt nouveau ni hausse de la dette » – comme l’a répété à plusieurs reprises le locataire de Bercy – mènera sur « un chemin (…) sans issue ».

« La tâche est immense »

« La tâche est immense », a reconnu Thomas Cazenave. Sa mission sera d’une part de tenir la promesse du gouvernement en matière de budget, celle de ramener la dette publique à 108,3% du produit intérieur brut (PIB) en 2027 (contre 111,6% fin 2022) et le déficit à 2,7% du PIB, sous l’objectif européen des 3% (contre 4,9% prévus cette année). Et d’autre part, il lui appartiendra de trouver le budget nécessaire pour la transition écologique.

Le nouveau ministre délégué aux Comptes publics se dit cependant motivé, et dans « l’écoute, le dialogue, le travail d’équipe » pour mener à bien ses missions. Familier avec le dossier depuis des années, son collègue Bruno Le Maire peut sans doute lui apporter une grande aide. Le locataire de Bercy a par ailleurs déclaré avoir trouvé une solution permettant « de débloquer des sommes très importantes sans avoir à mobiliser de l’argent public ». Il s’agit de mobiliser l’épargne des Français, qui s’élève au total à 5800 milliards d’euros, dont 3200 milliards placés sur des produits de long terme. « Ce qui nous permettrait de mobiliser 150 milliards d’euros par an », a précisé le ministre de l’Économie.

Au-delà d’une problématique budgétaire

Toutefois, le remboursement de la « dette climatique », ou autrement dit la réussite de la transition écologique, ne relève pas uniquement de la question budgétaire. Car il y une autre dimension à considérer dans les équations, celle de l’efficacité. Or, on peut investir abondamment dans la transition écologique mais de manière totalement inefficiente, d’après David Lisnard dans sa tribune sur l’Opinion.

Pour justifier ses propos, le maire de Cannes s’appuie sur une étude allemande qui « a conclu, en 2020, que malgré plus de 340 milliards investis dans la rénovation énergétique depuis 2010, la consommation d’énergie n’avait pas connu de changements significatifs tandis qu’elle avait diminué de 31 % entre 1990 et 2010 ».

Pour consolider encore plus ses arguments, le président de l’Association des maires de France et figure emblématique de la droite française se base sur une autre étude, réalisée cette-fois ci par le prix Nobel d’économie Esther Duflo, une économiste de la « gauche pragmatique ». La professeure au Massachusetts Institute of Technology (MIT) a évalué un « programme d’efficacité énergétique résidentielle mené sur 30.000 ménages dans l’état du Michigan », avant d’en tirer la conclusion que « ces politiques sont très coûteuses et ne donnent pas de résultats spectaculaires ».

« Il ne s’agit pas de nier la nécessité de la transition énergétique. Il s’agit de questionner les méthodes employées pour l’atteindre et que les investissements aillent à ce qui est efficace. Au préalable, il faut donc hiérarchiser les actions à mener au vu de leur intérêt écologique sur des bases scientifiques et après des études d’impact », conclut David Lisnard dans sa tribune de presse, dont le but est essentiellement de nourrir le débat sur le vote au Parlement européen de la « loi de restauration de la nature ». Un débat qui dépasse le domaine d’intervention du nouveau ministre chargé du Budget.

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