Exhumations sauvages dans le cimetière parisien de Pantin : retour sur la polémique

Par Etienne Fauchaire
26 mai 2023 09:22 Mis à jour: 26 mai 2023 11:53

Exhumations bâclées, dépouilles pillées, sépultures juives profanées… Un « scandale que la mairie de Paris voudrait enterrer ». Lundi matin Pierre Liscia, conseiller régional d’Île-de-France a publié une vidéo choc sur sa page Twitter intitulée « Cimetière parisien de Pantin : le témoignage choc d’un agent municipal ». Vue plus d’un million de fois, cette vidéo contient de lourdes accusations portées par Didier Lecleve, employé suspendu du cimetière parisien de Pantin (Seine-Saint denis) depuis juin dernier. À visage découvert, l’ancien fossoyeur dénonce l’utilisation illégale de pelleteuses dans le cadre d’exhumations sauvages, le vol de bijoux sur les cadavres et des menaces à son encontre suite à ces dénonciations.

Première preuve avancée : des ossements humains joncheraient les divisions du cimetière communal, le plus grand de France avec ses 107 hectares et ses 145.000 sépultures. Officiellement, la Ville de Paris, qui en a la charge, explique la présence de ces os à la surface par le mouvement des sols, explique M. Lecleve : « Même si on a averti la hiérarchie en disant que les gens n’allaient pas y croire, elle nous a dit : “Mais vous savez les gens sont bêtes !“ », fustige-t-il.

« Exhumations sauvages » à la pelleteuse

En réalité, la véritable raison derrière ces morceaux de squelette éparpillés tiendrait au recours à la pelleteuse, une pratique illégale : déterrer une sépulture par ce biais est théoriquement autorisé à condition que l’engin s’arrête à 20 centimètres près du corps, la loi prévoyant que le fossoyeur descende dans la fosse et récupère la dépouille du défunt manuellement, avant de la déposer dans un reliquaire.

Une méthode qui permet de réserver au mort un traitement décent. Une méthode en revanche plus chronographe et moins profitable : « Le fossoyeur doit faire en général 5 ou 6 exhumations dans la matinée, sauf que j’ai des collègues qui se vantaient de faire 20, 30, 40 exhumations. Et donc il y a des restes qui sont sur place et qui ne sont pas ramassés. Un fossoyeur sur une exhumation va toucher un peu moins de 2 euros. En faisant une vingtaine de corps par matinée, il peut grossir sa paie de 300 à 400 euros ».

Des vols sur dépouilles, en particulier dans le carré juif

Ce gardien au cimetière de Pantin depuis 2011 dévoile un autre intérêt, plus sordide, derrière cette façon de faire : « Lorsqu’une personne est exhumée, on retrouve régulièrement des bijoux, des colliers, des bagues, et au lieu d’être remis dans le reliquaire, ces bijoux sont récupérés pour être revendus. […] La totalité du cimetière est concernée mais surtout les divisions de confession israélite. »

Et d’enchainer : « La Mairie dit que ces pratiques sont définitivement finies, mais je peux vous assurer que non : ça continue. » En 2018, trois fossoyeurs du cimetière parisien avaient en effet été condamnés pour des faits remontant à 2012 – vols de dents en or lors d’exhumations de cadavres – à des peines s’étalant de six mois à un an de prison avec sursis. Néanmoins, à ce stade, aucun élément matériel ne permet pour l’instant d’attester des faits de pillage relatés par M. Lecleve.

En alertant ses supérieurs sur ces pratiques, celui-ci affirme avoir subi pressions et menaces. Suspendu de ses fonctions depuis juin 2022, il est aujourd’hui sur le point de passer en conseil de discipline, le 1er juin prochain, pour un dossier qui concerne des soupçons de harcèlement sur un ancien collègue ayant mis fin à ses jours. « En juillet, la justice l’a totalement mis hors de cause dans cette affaire », le défend Pierre Liscia. Cependant, selon les informations du Parisien, cet employé de la Ville de Paris depuis 16 ans est toujours visé par une procédure disciplinaire en interne ; la commission l’entendra le 1er juin prochain.

La Ville de Paris nie en bloc

« Les accusations scandaleuses de Pierre Liscia sont fausses et intolérables », s’est insurgé Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la mairie de Paris, en écho à Paul Simondon, adjoint de la maire socialiste Anne Hidalgo chargé des Affaires funéraires, qui tente de contrecarrer point par point le témoignage du fossoyeur : « [Cette vidéo] attaque les agents du service public dans leur éthique professionnelle et cherche ainsi à atteindre bien sûr l’image de la ville de Paris, mais surtout à chercher le buzz le plus sordide qui soit. » Dès le 22 mai, la Ville de Paris, a annoncé sa volonté de porter plainte.

Pour autant, les dégradations dans ce cimetière ne datent pas d’hier. En novembre 2020, un reportage de France 3 titré « L’état du cimetière de Pantin indigne les familles de défunts » dévoilait déjà la présence d’ossements humains dans les allées du cimetière. « Une vertèbre humaine en plein milieu d’une allée. Un morceau de crâne, des tibias et des côtes abandonnées », liste le journaliste en voix-off.

Lors de sa visite, Pierre Liscia déclare avoir pu constater des parties de squelettes à même le sol. En revanche, comme l’a révélé Le Parisien, la plupart des images d’ossements diffusées dans la vidéo sont en réalité des images d’illustrations issues d’autres vidéos YouTube, dont certaines sont vieilles de plus de 4 ans. « Les vidéos d’ossements servent à illustrer mon reportage, mais j’ai quand même pu filmer un os de crâne en restant seulement 2 heures au cimetière de Pantin », se défend Pierre Liscia auprès de Factuel.

Des documents qui corroborent le témoignage de Didier Leclève

Selon Factuel, deux documents viennent soutenir les affirmations de Didier Leclève. Le premier, issu de l’inspection générale de la ville de Paris, rapporte le témoignage d’un agent d’accueil et de surveillance du cimetière de Pantin dans le cadre d’une audition devant deux inspectrices de la ville de Paris le 20 septembre 2022. Celui-ci partage son inquiétude quant à la non-conformité de l’utilisation de la pelleteuse avec la législation en vigueur : « Je n’ai pas envie d’être incriminé. Par exemple, j’ai peur en exhumation, car on sort les ossements avec la pelleteuse. Ce n’est pas conforme et ça me fait peur. (…) J’ai des collègues qui parlent d’argent tout le temps, j’ai l’impression qu’ils travaillent chez SFR. Moi, je propose qu’on fasse un forfait pour éviter ce système de primes. »

Dans un second document, logoté de la ville de Paris et daté du 26 septembre 2022, Magali Notte, la conservatrice-adjointe du cimetière de Pantin, admet devant les deux inspectrices que les agents municipaux peuvent transgresser la loi : « On a l’autorisation du service central pour procéder aux exhumations sans être assermenté. S’agissant de la pelleteuse qui ne doit pas toucher les corps, la réglementation veut qu’on creuse jusqu’au cercueil, que les fossoyeurs ouvrent le cercueil à la main. Pour gagner du temps, les fossoyeurs allaient jusqu’au corps avec la machine. On leur a demandé des rapports en cas de non-respect de la réglementation. On n’a pas reçu de rapport des AAS (Agent d’Accueil et de Surveillance, NDLR) qui surveillent ces opérations ».

Tentative de diversion

Pénélope Komitès, adjointe à la maire de Paris en charge de l’Innovation, a fait savoir sur Twitter avoir pris attache auprès du grand rabbin de France, Haïm Korsia, pour lui signifier que les vols dénoncés sur des sépultures juives au cimetière de Pantin « n’existent pas ». Et Haïm Korsia d’embrayer : « Après échange avec le directeur de cabinet d’Anne Hidalgo et 2 entreprises funéraires juives, je peux vous confirmer que les exhumations des cercueils – quand elles doivent avoir lieu – ne se font qu’à la main, dans le respect de la dignité de nos défunts et en conformité avec la Halakha (guide officiel de la vie religieuse et civile dans le judaïsme, NDLR) ».

Dans le but de saper le crédit des propos tenus par Didier Decleve, Pénélope Komitès a retweeté un message du compte « Team PS », qui diffuse des photos de profil provenant de son compte Facebook. Sur celles-ci, l’employé de la ville affiche le logo du parti politique Les Patriotes dirigé par Florian Philippot ou encore une photo de l’humoriste Dieudonné, condamné à plusieurs reprises pour antisémitisme. « Je suivais l’humoriste à une époque, pas l’homme. Quand il a commencé à partir en vrille, j’ai arrêté de le suivre, comme tout le monde. Si l’argument de la défense tient à ça, c’est quand même un peu maigre. Depuis que j’ai dénoncé ces pratiques, j’ai droit à une campagne de dénigrement complète : mon nom et ma réputation ont été détruits », proteste Didier Decleve auprès de Factuel.

Pour le conseiller régional d’Île-de-France, il s’agit d’une tentative d’étouffer ces révélations. « J’ignorais tout cela, je l’ai découvert hier (lundi 22 mai, NDLR). Cela n’enlève rien au problème de fond : ce qu’il dit est corroboré par au moins 2 autres témoignages qui émanent de la ville de Paris ». Pierre Liscia a annoncé avoir saisi le procureur sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale, lequel prévoit que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit, est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

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