Alors que Pékin exhorte la jeune génération à endurer les difficultés, de nombreux membres de la génération Z adoptent un mode de vie plus détendu et se qualifient eux-mêmes de « personnes-rats ». Certains analystes chinois affirment que ce phénomène souligne un sentiment inquiétant de désespoir et d’impuissance chez les jeunes quant à leur avenir, dans un contexte de déclin économique et de perspectives d’emploi moroses en Chine.
Ce mot à la mode a récemment gagné en popularité sur les réseaux sociaux chinois. Ces « rat people » autoproclamés partagent des vidéos montrant comment ils passent la plupart de leur temps au lit, ne se levant que pour aller aux toilettes et récupérer les livraisons de nourriture laissées devant leur porte.
Décrivant leur mode de vie comme « faible en énergie », ces internautes ont tendance à éviter les relations sociales et les sorties. Certains ont déclaré dans des publications qu’ils pouvaient rester au lit jusqu’à 23 heures par jour.
Les vidéos et les publications sur les « rats » ont été vues des centaines de millions de fois sur des plateformes telles que Douyin, la version chinoise de TikTok, et Weibo, l’équivalent de X. Le hashtag « rats » a été vu plus de 10 millions de fois sur Weibo au 9 mai, ce qui témoigne d’une tendance croissante.
Selon les experts, ce mot à la mode reflète un sentiment de pessimisme et de résignation très répandu chez les jeunes adultes chinois.
Dans une vidéo virale, une blogueuse de 27 ans sans emploi qui se décrit comme une « personne-rat » partage un aperçu de sa routine quotidienne qui trouve un écho chez de nombreux spectateurs. Elle commence par expliquer qu’elle se réveille à 11 heures du matin et fait semblant d’être productive en commandant un café et en consultant son téléphone. À 14 heures, elle retourne se coucher. À 17 heures, elle se lève pour aller aux toilettes et récupère le café livré devant sa porte. À 18 heures, elle savoure son café tout en regardant des vidéos sur son téléphone. À 19 heures, elle consulte son téléphone pour choisir son dîner et commande un plat à emporter. Enfin, à 21 heures, elle prend son premier repas de la journée.
Au 9 mai, la vidéo avait reçu 45.000 « likes » sur Douyin et plus de 2100 sur Weibo, suscitant de nombreux commentaires. La plupart des spectateurs ont exprimé leur admiration pour ce mode de vie tranquille, tandis que d’autres ont confié qu’ils vivaient ainsi depuis des années.
Un internaute a commenté : « Je suis un homme-rat depuis cinq ans. […] Je ne socialise pas du tout. »
Certains experts de la Chine affirment que ce mot à la mode reflète un pessimisme et une résignation généralisés parmi la génération Z.
« Les jeunes voient peu d’espoir pour la société et les gouvernements », a déclaré à l’édition en langue chinoise d’Epoch Times Li Yuanhua, historien basé en Australie et ancien professeur associé à l’Université normale de Pékin.
« Ils expriment leur défiance silencieuse à travers ce genre de renoncement, d’abandon de soi et de maintien d’un mode de vie qui ne répond qu’à leurs besoins quotidiens fondamentaux. »
Selon M. Li, ces jeunes pensent : « Je ne veux pas travailler dur, car cela ne changera rien. »
Ce phénomène récent fait écho à une tendance qui s’est répandue il y a quatre ans, lorsque de nombreux jeunes Chinois ont rejeté la course effrénée au succès (the « rat-race » en anglais, ndlr) au profit d’un mode de vie appelé « lying flat » (rester couché).
Ils ont rejeté la culture du travail exigeante, caractérisée par de longues heures, en particulier le modèle « 996 » (travailler de 9 heures à 21 heures, 6 jours par semaine), qui prévaut dans les secteurs technologiques et numériques du pays.
Frustrés par la concurrence et la pression constantes, beaucoup optent pour une vie plus simple, loin des produits coûteux, de la fondation d’une famille ou de l’achat d’une maison. Cette mentalité a suscité les critiques du Parti communiste chinois (PCC) au pouvoir. Xi Jinping, le dirigeant du Parti, a publiquement mis en garde contre le « Tang Ping » et a appelé la génération Z à travailler dur et à être capable de « manger l’amertume », une expression chinoise qui signifie « endurer les épreuves ». Xi Jinping a réitéré ce message lors de la Journée de la jeunesse, le 4 mai. Dans un article publié en première page du Quotidien du Peuple, le journal officiel du Parti, il a exhorté les jeunes adultes à s’installer à la campagne pour travailler et soutenir la version du Parti de la modernisation.
« L’espoir s’amenuise » dans un contexte de ralentissement économique
Xi Jinping a fait ces remarques alors que l’économie du pays continue de décliner.
Une crise immobilière prolongée a mis une pression énorme sur de nombreux Chinois de la classe moyenne qui ont investi toutes leurs économies dans l’achat d’une maison. Cette situation est encore aggravée par une répression réglementaire qui dure depuis des années contre le secteur privé – de la livraison de repas à domicile aux établissements d’enseignement parascolaire – qui a entraîné la suppression de dizaines de milliers d’emplois.
« Ce mode de vie découle en fin de compte de la mauvaise santé de l’économie et du marché de l’emploi en Chine. De nombreux diplômés universitaires ont du mal à trouver du travail, surtout après la pandémie », a récemment révélé à Epoch Times Geng Luqi, un jeune Chinois qui enseignait auparavant la musique dans un centre de soutien scolaire.
Geng Luqi a affirmé qu’« une génération entière de jeunes se bat pour des opportunités limitées », soulignant que « malgré la concurrence féroce, l’espoir s’amenuise ».
Selon lui, c’est la raison pour laquelle tout le monde choisit simplement de « rester couché ».
Les données officielles montrent que le taux de chômage des 16-24 ans dans les villes a atteint 16,5 % en mars.
Ce chiffre n’inclut pas les personnes inscrites dans un établissement scolaire ni celles qui ont cessé de chercher un emploi. Selon les directives officielles chinoises, une personne est considérée comme sans emploi uniquement si elle a activement cherché un emploi au cours des trois derniers mois et peut commencer à travailler dans les deux semaines suivant une offre d’emploi.
Les inquiétudes quant à l’avenir de l’économie se sont accrues en raison de la guerre tarifaire en cours avec les États-Unis. Avec des droits de douane américains dépassant 100 %, de nombreuses petites et moyennes entreprises chinoises qui dépendent du commerce extérieur ont dû suspendre leurs activités et se réorienter vers le marché intérieur. Cette réorientation met en péril des milliers d’emplois dans les usines.
Les économistes de Goldman Sachs ont prédit en avril que les droits de douane américains à trois chiffres pourraient menacer jusqu’à 200 millions d’emplois en Chine, tout en abaissant leurs prévisions de croissance économique chinoise de 4,5 % à 4 % pour cette année.
Même ceux qui ont trouvé un emploi subissent une baisse de leurs revenus par rapport aux années précédentes, selon Allen Guo, qui travaille dans le secteur public à Shenzhen.
Allen Guo, qui a choisi d’utiliser un pseudonyme par crainte de représailles de la part des autorités, a récemment confié à Epoch Times que les diplômés qui obtiennent un poste dans les administrations locales ou le secteur public – des emplois très prisés ces dernières années en raison de leur sécurité – gagnent désormais entre 4000 et 5000 yuans (environ 490 et 615 euros) par mois. Ce chiffre représente environ un tiers du salaire mensuel moyen déclaré par les autorités locales de Shenzhen, où le coût de la vie est bien plus élevé que dans de nombreuses autres villes chinoises.
« Les jeunes se sentent piégés », explique Guo, c’est pourquoi « ils se réfugient dans leurs téléphones et réduisent leurs dépenses ».
« Personne ne sait ce que l’avenir leur réserve. »
Yi Ru a contribué à la rédaction de cet article.
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